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Coronavirus : le problème Trump (et celui de l’Occident tout entier…)
©NICHOLAS KAMM / AFP

USA

La manière dont Donald Trump gère la crise du coronavirus est symptomatique des problèmes de l'occident : il n’y a plus aucune coopération et plus aucun dialogue.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Patrick Martin-Genier

Patrick Martin-Genier

Patrick Martin-Genier est spécialiste des questions européennes et internationales, des collectivités territoriales et des affaires publiques. Il enseigne le droit public public à l'Institut d'études politiques de Paris et le droit constitutionnel et administratif à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Patrick Martin-Genier est également administrateur de l'association Jean Monnet. 

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Auriane Guilbaud

Auriane Guilbaud

Auriane Guilbaud, Maîtresse de conférences en science politique à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8 et chercheuse au Cresppa-LabToP (CNRS, UMR 7217)

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Que révèle la volonté de Donald Trump d'empêcher tous les vols européens, exceptés ceux en provenance du Royaume-Uni ? 

Auriane Guilbaud : La suspension des vols en provenance de l’Union européenne annoncée par Donald Trump reflète d’abord le fait que le président des Etats-Unis se devait de réagir enfin face à l’épidémie de Covid-19, alors que jusqu’alors il en avait minimisé la gravité. Son entourage a dû le convaincre de la réalité de la menace sanitaire, et il se trouve à un moment délicat pour sa réélection, avec la montée en puissance de Joe Biden, candidat modéré, comme principal opposant, et avec le ralentissement économique et la crise boursière qui s’annoncent.

La mesure annoncée – fermer les frontières – s’inscrit dans la continuité de sa politique extérieure de repli. Elle reflète son nationalisme exacerbé et son rejet de tout ce qui est étranger – d’où sa dénomination insensée du virus comme un « virus étranger » (foreign virus) lors de son allocution. Elle renvoie aux premières mesures prises en matière de politique étrangère, dès son investiture en janvier 2017 : le « travel ban », l’interdiction d’entrée sur le territoire des Etats-Unis pour les ressortissants de six pays de confession majoritairement musulmane, et la construction du mur à la frontière avec le Mexique pour lutter contre l’immigration.

Cette mesure a été prise de manière unilatérale, sans consultation avec les pays visés. Elle reflète ainsi l’unilatéralisme des Etats-Unis, son désengagement de la coopération multilatérale, et son dénigrement de l’Union européenne. L’annonce s’est en effet accompagnée d’une attaque à l’encontre de l’Union européenne, qui aurait d’après D. Trump pris des mesures insuffisantes pour lutter contre l’épidémie. Le président américain est coutumier du fait, et de la remise en cause des alliés traditionnels des Etats-Unis (il avait par exemple sévèrement critiqué ses alliés de l’OTAN en mai 2017, semblant remettre en cause le soutien américain à l’alliance avant que son administration ne fasse machine arrière). L’exception faite pour le Royaume-Uni, dont les vols sont maintenus, n’a de sens que politiquement : la « relation spéciale » entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni se maintient sous Donald Trump, le premier ministre britannique Boris Johnson étant un des rares dirigeants à trouver grâce à ses yeux.

La mesure annoncée peut paraître spectaculaire, mais elle reflète parfaitement la manière dont Donald Trump se comporte sur la scène internationale comme aux Etats-Unis.

Patrick Martin-Genier : Il s’agit d’une mesure injustifiée discriminatoire et politiquement orientée et électoraliste. On pourrait comprendre que des restrictions aux vols internationaux interviennent afin de limiter la propagation du virus. Dans ce cas il s’agirait de mesures sanitaires justifiées sur le plan scientifique. Mais la rationalité n’est pas le fort de Donald Trump. Par la mesure qu’il a annoncée, il veut frapper fort et frapper fort contre l’Europe.

En effet, la circonstance qu’il exclut certains pays dont le plus important est le Royaume-Uni, montre bien que dans l’esprit de Donald Trump, il s’agit avant pout de ménager un partenaire avec qui il envisage de conclure un super accord commercial de libre-échange et dont il compte faire la tête de pont pour détruire l’Union européenne qu’il a toujours considérée comme son ennemie sur le plan des affaires et sur le plan politique.

Cette décision montre bien qu’il s’agit d’un choix purement politique et non scientifique, car au Royaume-Uni le Coronavirus a lui aussi pris de l’ampleur jusque dans les milieux du gouvernement puisque la secrétaire d’Etat à la santé a été testée positive. Une telle décision arbitraire laissera nécessairement des traces dans la future relation transatlantique et cela prendre beaucoup de temps avant de dissiper le très lourd malaise que vient d’amplifier Trump avec cette décision brutale.

Les Etats occidentaux semblent pour le moins désorganisés et désunis face à la menace du coronavirus. L'Union Européenne a-t-elle un rôle à jouer ?

Auriane Guilbaud : Les précédentes épidémies ont mis en évidence l’importance de la coopération internationale. L’OMS a tiré des leçons de ses expériences passées, mais elle reste une organisation intergouvernementale, dont les décideurs sont in fine les Etats membres. Et, comme lors des précédentes épidémies, malgré l’urgence de la situation, les financements de leur part ne suivent pas : sur les 61 millions de dollars demandés par l’organisation pour lutter contre le COVID-19, seuls 1,4 millions ont pour l’instant été reçus, et 28 millions promis.

Les pays membres de l’UE ont réagi de manière dispersée, chacun privilégiant

Elle révèle l’incapacité des autres Etats, en particulier européens, à contrer ce désengagement et à insuffler un nouveau souffle au multilatéralisme. La crise actuelle est également une menace (de plus) pour l’Union européenne/la solidarité européenne.

Patrick Martin-Genier :  Il est vrai, jusqu’à présent, l’Europe a réagi en ordre dispersé. Elle n’a pas vraiment fait preuve d’une action forte et solidaire. Chaque pays a pris des mesures en fonction de sa situation sanitaire interne mais aussi en fonction de son propre système politique et de sa culture nationale. Des Etats ont fermé des frontières, l’Italie a confiné plusieurs régions puis le pays entier. L’Irlande a fermé ses écoles hier et la France fait de même à partir de lundi.Le Danemark prévoit d’entrer de force chez les gens suspectés d’avoir le Coronavirus !

Il n’y a pas eu de réelle volonté politique de l’Europe jusqu’à maintenant. Cela a été du chacun pour soi. A la décharge de l’Europe, le traité de fonctionnement sur l’Union européenne ne prévoit pas une compétence à l’Europe sur ce point très précis. L’article 168 du TFUE dit que « l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des Etats membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l’organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux ; les responsabilités des Etats membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l’allocation des ressources qui leur sont affectées ». On ne saurait être plus clair.

Alors l’Europe tente de faire bonne figure et de mobiliser les moyens à sa disposition. Elle peut le faire avec de l’argent comme de partenariat public privé avec l’industrie pharmaceutique que vient de lancer la commission européenne qui s’intitule « l’initiative pour les médicaments innovants ». Au niveau de la commission il existe une cellule de crise qui se réunit tous les jours avec cinq commissaires et des appels à propositions conjoints de quatre pays devrait permettre d’accélérer la recherche sur le vaccin et sans doute la commande de matériels. Mais cela prend un certain temps. La commission et l’Europe ne pourront guère aller plus loin en l’état.

Elle aura un rôle sur le plan économique avec ce fonds de 25 milliards d’euros qui a été annoncé pour aider le secteur des entreprises très affecté, notamment le PME/PMI, amis cela restera modéré.

Sur le plan politique la coopération aura été laborieuse puisque la coordination se fait sur la base du volontariat. Mais il est vrai la peur d’imploser pourrait susciter un réflexe de survie pour l’Europe. Toutefois hier, la banque centrale européenne dirigée par Christine Lagarde a refusé d’abaisser ses taux et semblent appeler les Etats à la prudence. La relance budgétaire restera sous la surveillance de la BCE et d’autres Etats réticents à toute forme de dérive budgétaire comme l’Allemagne par exemple, même si ce pays semble avoir assoupli sa position lors des derniers jours.

Cette crise sanitaire, économique et politique va devoir inciter l’Europe à avoir une réflexion en profondeur sur son avenir si elle ne veut pas décliner inexorablement.

Dans quelle mesure l'épidémie du Covid-19 révèle-t-elle les limites des systèmes de santé occidentaux ?

Auriane Guilbaud : Les dernières épidémies d’Ebola, où la lutte contre la maladie est rendue très difficile dans des pays aux systèmes de santé disloqués, ont fait ressortir l’importance d’avoir des systèmes de santé forts et résilients. Sur tous ces points, beaucoup reste à faire, mais la situation est particulièrement criante concernant le renforcement des systèmes de santé, pour garantir l’accès à des soins médicaux et à des infrastructures fonctionnelles, capable d’absorber une hausse brutale du nombre de malades.

Patrick Martin-Genier :  D’une certaine façon oui. Les systèmes de santé et de soins ne sont pas adaptés à des pandémies mais ne sont calibrés que pour des pathologies classiques et connues qui s’inscrivent dans la durée. Mais il ne faut pas non plus occulter les cures d’austérité libérale auxquelles les hôpitaux ont été soumis au cours des dernières années qui en réduisent considérablement la voilure, avec la fermeture des hôpitaux, des matériels qui circulent d’hôpitaux en hôpitaux et la crise des effectifs et la faiblesse des rémunérations. Parallèlement, le secteur privé tend à prendre en charge des soins de plus en plus coûteux.

Mais d’un autre côté, il faut être conscient que nos systèmes de santé restent parmi les meilleurs, d’une part parce que nous avons la chance de vivre dans de pays développés mais aussi, d’autre part, parce que nos systèmes de sécurité sociale permettent une prise en charge des soins optimale. Les Américains qui n’ont pas de couverture sociale n’ont pas cette chance et aller se faire soigner peut coûter plusieurs centaines voire plusieurs milliers de dollars ! Il n’en demeure pas moins qu’une révision générale des politiques de santé publique semble urgente aujourd’hui pour continuer à assurer aux générations futures la même qualité de soins à un coût accessible pour tous.

Comment expliquer que l'épidémie de coronavirus ait été, à ses débuts, si mal gérée, aussi bien en Europe qu'aux Etats-Unis ?

Stéphane Gayet: Il n'est plus permis d'être politiquement correct à ce stade. Le système de santé français en est arrivé à un stade où toutes les actions sont pratiquement sous-tendues par le profit, au bénéfice des Laboratoires pharmaceutiques qui influent très fortement sur toutes les décisions. Voilà où nous en sommes arrivés. La recherche médicale n'est intéressante que si elle débouche sur des thérapies innovantes présentées en général comme révolutionnaires et dès lors commercialisées à prix exorbitant.

Les pays à haut niveau de vie se croient souvent hors d'atteinte par de telles épidémies, persuadés qu'ils sont de bien savoir les contrôler et de disposer de tous les savoirs et équipements nécessaires.

En France comme en Italie, très peu de personnes et même chez les médecins, ont vraiment compris ce qu'était l'hygiène qui n'est pas le lavage ni la désinfection des mains ; c'est un ensemble de pratiques beaucoup plus réflexives que réflexes.

Dans ces deux pays latins, l'hygiène fait ricaner tout le mode et y compris les médecins, cela depuis des décennies. Il n'y a que les soignants paramédicaux, dont les infirmières, qui comprennent un peu comment fonctionne l'hygiène, qui est une discipline compliquée.

Peu de personnes savent se laver les mains et savent quand il faut le faire, y compris parmi les médecins. On peut parler d'un dramatique échec éducationnel et culturel.

La friction désinfectante des mains systématiquement toutes les heures n'est pas une mesure opérationnelle, pas du tout.

En Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Scandinavie, l'hygiène est une discipline noble et valorisée. On la prend très au sérieux ; en France et en Italie, répétons-le, elle fait sourire, se moquer et ricaner. On peut se permettre un rapprochement avec la Fable de Jean de La Fontaine « La cigale et la fourmi » (Livre I). On nous pardonnera cette dénaturation, qui demeure respectueuse : « Que faisiez-vous lorsque l'on vous expliquait ce qu'était l'hygiène, à quoi elle servait et comment on devait la mettre en œuvre ? Je m'en amusais, je m'en moquais, je ricanais. Eh bien, essayez à présent faire la fête du fond de votre lit. »

La vérité est que les mesures barrière intelligentes fonctionnent, mais que les gestes rituels, très mal compris et réalisés sans précision ni conviction, échouent. Le virus n'est aucunement transmis par le linge, la désinfection des surfaces non touchées par les mains n'a pas de sens, etc. Autant de mesures inutiles, coûteuses et qui rassurent à tort.

On trouve des crédits pour désinfecter le sol, les surfaces hautes, autant de mesures infondées. Mais on se révèle incapable de fournir les soignants médicaux et paramédicaux en masques protecteurs de type FFP2 (les seuls qui protègent vraiment ceux qui les portent). Résultat, le virus continue à circuler largement, tant dans la population qu'à l'hôpital public.

C'est bien de s'acharner à trouver un antiviral efficace ; mais il y avait quelque chose de beaucoup plus prioritaire dans le domaine de la recherche : parvenir enfin à savoir si le coronavirus respiratoire était ou non transmis dans l'air, par ce que l'on appelle des micro particules aéroportées : cela aurait permis d'adapter au mieux la prévention. C'était la recherche à effectuer de toute urgence, en toute priorité ; mais cela ne débouche sur aucune perspective de profit.

En somme, c'est un échec culturel, préventif et organisationnel. Et sans parler des réductions de lits et d'effectifs depuis des années : on paie les conséquences de toutes ces erreurs. Un petit séjour à Rotterdam permet de voir en direct ce qu'une tout autre culture sanitaire peut produire. Il y a vraiment de quoi être honteux.

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