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 Covid-19 : Le graphique pour tout comprendre de la stratégie des pouvoirs publics face au Coronavirus (et de leurs failles éventuelles…)
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Contre la montre

Alors que la totalité de l'Italie est sous quarantaine depuis lundi soir une question se pose : avons-nous, en Europe, trop tarder pour réussir à contenir l’épidémie comme ont su le faire Hong-Kong, Taïwan ou Singapour ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Alors que l'épidémie de coronavirus se propage en Europe, les pouvoirs publics se doivent d'agir vite afin de diminuer l'intensité de l'épidémie et de l'étaler au fil du temps (cf. graphique). Pourquoi est-il crucial d'agir ainsi ? En quoi un tel schéma d'action est-il crucial pour préserver le système de santé ?

Stéphane Gayet : L'épidémie s'étend, c'est indéniable, inéluctable d'une certaine façon. Les mesures barrières individuelles et les mesures de distanciation sociale ne peuvent que freiner son évolution. Et c'est déjà considérable. La pire des attitudes serait le fatalisme. Au contraire, il faut tout faire pour ralentir son extension. De cette façon, l'offre de soins (équipements et personnel médico-paramédical) pourrait résister à l'engorgement. Et c'est possible, mais à la condition d'une politique ferme et contraignante. À la condition aussi de mettre en place les mesures de protection suffisamment précocement, ce qui ne va pas de soi.

Sur ces deux courbes, sont représentées deux situations un peu caricaturales. La courbe qui monte le plus haut correspond à une épidémie non endiguée. Fatalement, l'offre de soins va être vite saturée. Il y aura une perte de chance pour un grand nombre de patients qui ne pourront pas bénéficier des soins les plus appropriés.

L'autre courbe correspond à l'inverse à une situation relativement contrôlée. L'épidémie n'atteint pas un pic critique, et le système de santé peut plus ou moins y faire face. L'épidémie s'étale dans le temps, ce qui permet d'effectuer de façon plus sereine et efficace les prises en charge des patients, surtout graves.

Au niveau des hôpitaux, que se passe-t-il si l'épidémie n'est pas rapidement contenue ? Comment, notamment, gérer la question des places en service de soins intensifs ? N'est-ce pas là le vrai problème ?

Stéphane Gayet : Dire qu'il y aura une perte de chance pour un nombre plus ou moins important de malades n'est pas politiquement correct, mais c'est une réalité. Dans les unités de soins continus souvent appelés soins intensifs, il n'y a en principe pas d'assistance respiratoire par respirateur. Ces malades de soins continus sont dits « tièdes », mais il leur faut une surveillance continue et active, avec un personnel paramédical rompu aux soins techniques. À tout moment, on peut être amené à les transférer en secteur « chaud », c'est-à-dire en réanimation.

Les malades atteints par la maladie CoVid-19 ne relèvent de la réanimation qu'essentiellement pour bénéficier d'une mise sous respirateur (ventilation dite mécanique, soit invasive avec intubation trachéale, soit non invasive (VNI).

C'est là que va se former le goulot d'étranglement. Or, les hôpitaux publics sont déjà en grande difficulté financière : il ne semble pas très réaliste de faire, toutes affaires cessantes, une commande de respirateurs. Et nonobstant ces difficultés qui sont bien critiques, il ne faut pas perdre de vue que le secteur hospitalier public va se trouver encore plus affaibli une fois que l'épidémie sera franchie (la prise en charge des malades CoVid-19 ne va pas renflouer les caisses des hôpitaux, au contraire : avec la tarification à l'activité ou T2A, ce sont les actes techniques qui déterminent le financement. Or, chez les malades CoVid-19, on recommande de faire le moins possible d'examens (pour une raison de risque contagieux).

Est-ce par cette rapidité ou non d'action que l'on explique la différence dans l'ampleur qu'a pris la crise de coronavirus, par exemple, en Italie et à Singapour ou Hong Kong ?

Stéphane Gayet : C'est culturel et sociétal. Les Asiatiques ont le sens de la discipline et du bien commun, enfin plus que les Européens. Dans ces pays, on a mis en place de mesures drastiques avec des sanctions en cas de non-respect des consignes réglementaires. Sans aller jusqu'à la « tolérance zéro », les services de maintien de l'ordre n'ont aucun état d'âme pour verbaliser toutes les personnes contrevenantes. Cela peut aller jusqu'à un emprisonnement.

L'Italie, pays latin par excellence, ne cultive pas la discipline ni le devoir civique, comme ces pays d'Asie du Sud-Est. Il n'y a pas vraiment de secret. Observons la façon dont les Italiens conduisent leur voiture…

Une question demeure actuellement en suspens : la manière dont les Etats-Unis vont gérer l'épidémie qui prend de l'ampleur sur le territoire. Sont-ils armés pour réagir efficacement ?

Stéphane Gayet : Les Etats-Unis ont de gros moyens financiers, mais c'est un pays inégalitaire. Tous les malades risquent de ne pas recevoir les mêmes soins, c'est ainsi. Toutefois, il n'est pas certain que l'offre de soins y soit suffisante pour absorber l'épidémie, car le secteur public est tout de même le parent pauvre du système de santé américain. Le secteur privé est au contraire assez pléthorique, et on peut douter qu'il y ait beaucoup de lits de réanimation dans les hôpitaux publics.

La façon dont ils vont gérer cette épidémie nous sera sans doute d'un riche enseignement.

Michel Ruimy: Une question demeure actuellement en suspens : la manière dont les Etats-Unis vont gérer l’épidémie qui prend de l’ampleur sur le territoire.

Economiquement parlant, sont-ils prêts à gérer la crise qui se profile ?

Preuve que la situation est sérieuse, les Etats-Unis s’apprêtent à déclencher un programme d’urgence, utilisé généralement lors de catastrophes naturelles, prévoyant que l’état fédéral rembourse les frais médicaux (tests de dépistage, frais d’hôpital, médecin…). Il n’est pas exclu, d’autre part, que le pays recourt à des blocus locaux pudiquement rebaptisés « mesures d’atténuation ».

Mais les insuffisances de la protection sociale risquent de peser lourdement sur la conjoncture. C’est pourquoi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le leadeur des démocrates au Sénat, Chuck Schumer, ont demandé à l’administration Trump d’octroyer des congés maladie - quasi inexistants aux Etats-Unis - aux salariés confinés, et d’étendre la couverture santé lorsqu’elle s’avère insuffisante.

Par ailleurs, la ville de New York va octroyer des prêts à taux zéro pour les entreprises de moins de 100 salariés connaissant un recul d’un quart de leur chiffre d’affaires. Le Congrès a voté une rallonge de 8,3 milliards de dollars pour contrer l’épidémie et, dans un contexte d’aversion au risque généralisée, la banque centrale américaine a décidé d’assurer la liquidité du système et d’augmenter le montant des fonds à court terme qu’elle offre aux banques pour se financer du jour au lendemain (« Repo ») : les montants proposés ont été augmentés, passant de 100 milliards à 150 milliards de dollars.

On voit donc que l’administration Trump ne semble pas, pour l’instant, envisager de soutien général à l’économie, mais plutôt des mesures ciblées sur les secteurs les plus touchés - tourisme, transports...

Si l’Amérique du Nord tardait à réagir efficacement quelles en seraient les conséquences pour l’économie mondiale ?

Quelle pourrait être l’origine du retard de cette réaction ? Il se pourrait que notamment la question sociale pourrait jouer un grand rôle. En effet, la crise sanitaire illustre les inégalités du système social américain. Aux Etats-Unis, il n’y a pas de couverture santé universelle comme en France ou dans d’autres pays d’Europe. La plupart des Américains sont couverts par des systèmes de santé privés, plus ou moins bien, avec plus ou moins de remboursements et plus ou moins de cotisations. On estime que près de 30 millions d’Américains - environ 10% de la population -, ne sont pas du tout couverts et près de 50 millions d’Américains sont mal couverts. Un sujet qui est au cœur de la campagne de la primaire démocrate.

Si la crise est sévère, alors l’activité serait touchée - forte baisse du nombre d’heures travaillées du fait du confinement – et un ralentissement économique pourrait se faire sentir. Du fait de la puissance commerciale des Etats-Unis au sein de l’économie mondiale, une baisse sensible de la croissance pourrait se diffuser au reste du Monde et contribuer alors à une récession mondiale.

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