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Recours au 49-3 : cet ultime baril de poudre qu'Emmanuel Macron roule dans la fabrique d'allumettes
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Passage en force

Le débat parlementaire sur la réforme des retraites sera-t-il balayé par un recours au 49-3, ce fameux article de la Constitution qui permet de faire adopter un texte par défaut (le texte est réputé voté par le Parlement, sauf si une motion de censure s'y oppose) ? Le Premier Ministre a clairement laissé entendre qu'il contournerait ainsi l'obstruction de LFI.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Le 49-3, probablement. La réforme des retraites, comme cela était prévisible depuis le début du quinquennat, se transforme en chemin de croix pour la majorité présidentielle. Après avoir essuyé le mouvement social le plus long de la Vè République, le président Macron est désormais confronté à une paralysie du gouvernement astucieusement organisée par la France Insoumise. Si le président veut sortir du gué et revenir à la terre ferme sans manger son chapeau (c’est-à-dire retirer son texte), il ne lui reste plus désormais, comme l’a annoncé Édouard Philippe, qu’à recourir au 49-3. Mais quels sont les risques de cette solution extrême ?

Comment un groupe ultra-majoritaire est contraint au 49-3?

D’ordinaire, le 49-3 est utilisé pour contourner un Parlement majoritairement hostile à un texte présenté par le gouvernement. Ce fut par exemple le cas avec Manuel Valls, qui dut y recourir alors que les « frondeurs » menaçaient le gouvernement d’une mise en minorité. Et c’est précisément pour continuer à faire fonctionner les institutions quand le gouvernement est minoritaire au Parlement que cet article existe : il oblige l’opposition à s’unir pour voter une motion de censure (qui fait tomber le gouvernement) pour empêcher un texte d’être abordé. 

Dans le cas de la réforme des retraites, le recours au 49-3 détournerait le dispositif de son objectif initial. Il ne fait en effet aucun doute que le gouvernement disposera d’une large majorité pour adopter le texte à l’issue du débat parlementaire. Le groupe LREM à l’Assemblée est en position confortable pour voter utilement. La menace du 49-3 vise seulement à accélérer un débat obstrué par 40.000 amendements. 

Si l’on peut faire grief à l’opposition, et singulièrement à la France Insoumise, de détourner son droit d’amendement pour faire obstacle à l’adoption d’un texte gouvernemental, le détournement du 49-3 par le gouvernement n’en est pas moins aussi vrai. Édouard Philippe entend utiliser la Constitution pour écraser un débat parlementaire qu’il a voulu enserrer dans des délais extrêmement brefs. 

Mais à quoi peut servir un débat parlementaire : un cas d’école

On comprend bien la logique macronienne qui se profile derrière cette menace de 49-3. Au fond, le débat parlementaire ne servirait à rien, ou serait d’une importance secondaire, par rapport au résultat des élections et à la volonté présidentielle. Comme le dit Édouard Philippe dans la vidéo ci-dessus, il existe un « fait majoritaire » : les élections ont dégagé une majorité qui a le droit d’avoir les coudées franches pour réformer. 

Dans ces conditions (l’intention gouvernementale est à peine voilée), le débat parlementaire n’existe que pour la forme. L’opinion a tranché dans les urnes, et ses représentants sont là pour enregistrer des textes décidés ailleurs, et implicitement, par la volonté du peuple. Au fond, les véritables représentants du souverain ne seraient pas les députés, mais les ministres et le Président de la République lui-même. 

On retrouve ici le faible intérêt du général De Gaulle et de sa Constitution pour la séparation des pouvoirs. En tant qu’élu du suffrage universel, le Président devrait avoir tout pouvoir durant son quinquennat, et n’écouter que d’une oreille distraite le débat parlementaire. Ce qui pose clairement la question de l’utilité de celui-ci dans un système présidentiel.

Les arrangements d’Édouard Philippe avec la vérité

Petit problème : le « fait majoritaire » évoqué par Édouard Philippe constitue quand même un sérieux arrangement avec la vérité politique d’Emmanuel Macron. Rappelons que celui-ci a été élu avec 20% des voix sur son nom au premier tour de l’élection présidentielle, et avec un débat pipé au second tour. Sans le « cordon sanitaire » chiraquien autour du Rassemblement National, les termes de l’élection seraient très différents. 

Ainsi, il est très probable que de nombreux électeurs de Jean-Luc Mélenchon aient voté Macron au second tour pour faire barrage au Rassemblement National. C’est aussi le cas parmi les électeurs des Républicains. Ces électeurs-là n’ont pas systématiquement reporté leur vote, loin s’en faut, aux législatives, sur le parti présidentiel. 

En ce sens, et c’est la particularité des seconds tours avec un membre de la famille Le Pen dans le casting, les voix des partis « modérés » (c’est-à-dire non concernés par le cordon sanitaire anti-RN, même s’ils admirent des régimes autoritaires comme c’est le cas des mélenchono-communistes) font aussi partie de l’expression du « fait majoritaire ». Leur interdire de s’exprimer est une entorse à l’esprit des institutions, dans la mesure où le groupe parlementaire qu’ils forment à l’Assemblée à lui aussi concouru à l’élection du Président. 

Macron ne tire pas de leçon de ses échecs

Pour aller plus loin dans le raisonnement, rappelons que les élections de 2017 ont utilement montré que les institutions de la Vè République permettaient de dégager une majorité politique légale dans un pays divisé. Mais il appartient au gouvernement issu de cette division d’exercer le pouvoir avec sagesse en tenant compte de sa minorité réelle et en respectant la majorité tout aussi réelle que le mode de scrutin a transformé en minorité légale à l’Assemblée. 

Emmanuel Macron n’est pas un homme sage. Il nourrit l’illusion (et il s’en abuse) que sa victoire écrasante au second tour résulte d’une adhésion à sa personne et à son programme, alors que cette adhésion majoritaire n’existe pas, et que seul a existé un rejet majoritaire du Rassemblement National. Cette absence d’adhésion est évidente depuis la crise des Gilets Jaunes. Le mouvement social qui a agité le pays en décembre l’a confirmé. 

Face à ces oppositions structurelles systémiques, Emmanuel Macron fait la sourde oreille, et utilise de façon surabondante les armes que la constitution gaullienne lui donne pour gouverner contre la majorité du pays. Et il est vrai que l’article 49-3 lui donne la faculté de fouler aux pieds l’expression de députés élus par des fractions de l’opinion qui ont voté Macron au second tour des présidentielles sans adhésion à son programme électoral. Il serait toutefois malhonnête de la part du Président ou du Premier Ministre de prétendre que ces armes légales sont utilisées dans un esprit démocratique, dans la mesure où tout indique que le projet de réforme discuté à l’Assemblée est effectivement minoritaire dans l’opinion.

Mais à quoi peut servir une délibération démocratique ?

Ces erreurs d’interprétation de nos deux énarques qui tiennent le pouvoir exécutif sont un réflexe de classe ou de caste. Ce n’est pas que les hauts fonctionnaires n’aiment pas le débat. C’est seulement qu’ils n’en comprennent pas l’utilité. Dans leur vision du monde, le débat est réservé à l’élite, et le reste de la société doit obéir sans comprendre. De toute façon, les Gaulois réfractaires sont trop bêtes pour s’élever à une compréhension qui n’apporterait d’ailleurs aucun bénéfice collectif. 

Ce raisonnement-là est au coeur de la gouvernance macronienne : le peuple se prononce tous les cinq ans dans les urnes et n’a pas besoin d’être consulté entre deux élections, ou alors pour faire de la « communication ». Pour lui faire croire qu’on l’aime et qu’on gouverne pour lui. Mais, sur le fond, le peuple n’a pas à être considéré comme un allié du pouvoir, parce que le peuple est un troupeau de bourrins incapables d’une réflexion intelligente. 

On voit comment la logique énarchique, la pensée aristocratique dominante en France n’aime la démocratie que pour faire joli dans la galerie. En réalité, nos élites rêvent d’un système qui leur permet de gouverner au nom de la raison (dont elles s’estiment les seules détentrices) sans perdre de temps inutile à consulter les avis d’autrui. Si le gouvernement poussait sa logique jusqu’à réellement utiliser le 49-3, il sera intéressant de suivre la leçon de choses donnée par l’histoire en suivant la réaction réelle de l’opinion. 

Comment Macron va tuer le cordon sanitaire autour du RN

En son temps, un autre énarque Président de la République, Jacques Chirac, avait déjà fait le coup de quémander les voix de la gauche pour être élu, avant d’expliquer que son score de second tour résultait en réalité d’une adhésion à sa personne. En son temps, un autre énarque Premier Ministre, Dominique de Villepin, avait nourri la même confusion qu’Édouard Philippe, et avait commis la même sortie de route lorsqu’il avait voulu imposer le CPE coûte-que-coûte. 

Chirac était moins irresponsable qu’Emmanuel Macron. Il savait ne pas se mettre en première ligne, et il utilisait avec intelligence des fusibles (comme Villepin) pour gouverner. Cette précaution ne l’a pas empêché de connaître un naufrage politique finalement matérialisé par le recours à Jean-Pierre Raffarin (désormais soutien de Macron, ce qui est de mauvais augure pour le Président). 

Emmanuel Macron décide lui de s’exposer jusqu’au bout, en faisant donner la police et la matraque pour contenir les oppositions. Cet entêtement, et les violences policières qui en découlent, sont inédits dans l’histoire de notre République. On peut en prévoir les effets : pour la deuxième fois en moins de vingt ans, le maintien du FN/RN au second tour débouche sur un hold-up électoral. Nous parions ici qu’il n’y aura pas de troisième fois et que la diabolisation du RN aux élections est désormais défunte. 

L’histoire s’arrêtera-t-elle là ? ou bien Macron devra-t-il faire face à une contestation violente, ingérable, en cas de recours au 49-3 ? Le Président devrait comprendre qu’à force de violenter la démocratie, la démocratie pourrait bien se mettre à le violenter. 

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