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Dissolution de l’ordre public : le vrai procès du siècle que les Français devraient intenter à l’Etat
©François NASCIMBENI / AFP

Renoncement coupable

Jean-Louis Leroux, un agriculteur de la Marne mis en examen pour tentative de meurtre après avoir blessé au fusil à plomb un jeune homme soupçonné de vol de carburant dans son exploitation, a été remis en liberté jeudi. Son exploitation avait fait l'objet d'une quarantaine de vols. Comment expliquer ce renoncement de l'Etat en matière d'ordre public ?

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico.fr : Un agriculteur de la Marne, Jean-Louis Leroux, a été mis en examen pour tentative d'homicide involontaire après avoir tiré sur un homme qui tentait de lui voler du carburant dans son exploitation. S'il a été libéré ce jeudi, le cas de l'exploitant agricole est un exemple type du renoncement de l'Etat en matière d'ordre public : son exploitation avait déjà fait l'objet d'une quarantaine de vols et, bien qu'il ait porté plainte une trentaine de fois, absolument rien n'avait été fait. 

Le cas de Jean-Louis Leroux est a ajouter à une longue liste de cas similaires. Dans la Marne, lors d'une marche organisée en son soutien, les agriculteurs ont dénoncé "l'abandon des territoires ruraux". Quartiers perdus de la République, campagnes... quelles sont ces catégories de la population oubliées par l'Etat et quels sont les délits que l'Etat juge "si peu importants" (exemples concrets) ? 

Gérald Pandelon : Les grands oubliés de l'Etat sont ceux qui en subissent les défaillances sans pouvoir veritablement en tirer quelque bénéfice en termes de sécurité. Des maires de petites communes se font régulièrement agressés sans pouvoir disposer d'une protection élémentaire des forces de l'ordre, qui, parce qu'elles sont en sous-effectifs, arrivent souvent trop tard pour empêcher que ne s'exercent des violences ou, lorsqu'elles arrivent suffisamment tôt, demeurent limitées dans leur intervention par le nécessaire respect du sacro-saint principe de légitime défense. Un principe en vertu duquel nul ne saurait riposter à une menace d'une façon exponentielle à l' attaque, afin que celle-ci soit graduée et proportionnée, mais qui, à l'épreuve des faits, fait craindre le pire pour ces mêmes forces de l'ordre. Je crois qu'il conviendrait désormais d'étendre la notion en permettant à des personnes privées de pouvoir anticiper ladite agression en cas de flagrant délit afin de pallier les risques encourus au premier chef par les victimes. En effet, les critères retenus par la circonstance de légitime défense place, in fine, sur un même pied d'égalité les délinquants et ceux qui en subissent les infractions. 

Régis de Castelnau : Le cas de Jean-Louis Leroux est absolument exemplaire. Le nombre de vols dont il avait été victime et le nombre de plaintes qu’il avait déposées en vain démontrent le retrait de l’État et son impossibilité désormais à assurerla sécurité des citoyens, ou au moins essayer de le faire. Rappelons qu’en France, à la différence des États-Unis par exemple, le fait de posséder des armes est interdit aux particuliers et c’est un monopole de l’État, chargé de maintenir l’ordre et la sécurité dans la société civile. Et c’est bien cette mission qui est la contrepartie de cette interdiction. Le problème est qu’aujourd’hui, et il faut le dire nettement l’État a abandonné la France périphérique et en particulier les territoires ruraux à une délinquance prédatrice qui met les habitants en rage et peut les amener pour pallier l’impuissance affichée de l’État à recourir à l’autodéfense. Et il n’y a pas beaucoup d’arguments à opposer à une population qui ne veut pas d’une violence incontrôlée mais qui ne supporte plus d’être ainsi abandonnée. Il y a des centaines d’exemples de cette dégradation de la vie civique dans les petites villes et dans les campagnes. La nouveauté depuis une quinzaine d’années, c’est l’arrivée de gangs étrangers organisés et qui se livrent à une véritable prédation sur les territoires qu’ils occupent. C’est l’exemple extraordinaire des associations caritatives dont certains de ces groupes ont pris le contrôle ! Les associations Emmaus par exemple, dans l’ouest ellessont contrôlées par des réseaux tchétchènes qui récupèrent la partie lucrative des dons pour mettre alimenter les trafics dans leur pays d’origine. Ce sont les Roms souvent mandatés par des ferrailleurs qui récupèrent tous les métaux possibles allant jusqu’à profaner les cimetières pour y récupérer les croix métalliques ou couper les fils de téléphone pour récupérer le cuivre. Il y a aussi chose extraordinaire, le vol de bétail dans les champs ou carrément du matériel agricole lourd qui prend ensuite le chemin des Balkans. Les compagnies d’assurances ne suivent plus, et les gendarmes faute de moyens n’interviennent même plus. Le pire étant qu’en général les auteurs des forfaits sont connus mais que dans le souci d’éviter des troubles sociaux, les forces de l’ordre vont se garder d’intervenir.

La question des « quartiers perdus de la république » est une peu différente, la faillite du système d’assimilation à la française, a concentré dans les banlieues anciennement rouges des populations dont la majorité n’a aucune perspective d’intégration. L’État s’est retiré de ces territoires et la nature ayant horreur du vide en a laissé l’organisation à l’alliance entre la pègre et les barbus, le tout avec des administrations municipales qui pour se reproduire se vautrent très souvent dans un clientélisme qu’on n’imagine pas. Aucune tendance politique n’est épargnée et aujourd’hui en Seine-Saint-Denis le parti de Christoph Lagarde en fait une splendide démonstration.

Comment expliquer ce renoncement total de l'Etat en matière d'ordre public ? Quelles en sont les causes ? Est-ce dû à de trop lourdes préoccupations budgétaires où est-ce également le fait d'une vision idéologique de la politique pénale ou de la répression différenciée selon les profils de délinquants ou criminels ? 

Gérald Pandelon : Il manque effectivement les moyens mais je crains que l'essentiel ne soit ailleurs. Il faut en effet avoir le courage de reconnaître que nos politiques sont dépassés par les nouvelles formes que prend aujourd'hui le grand banditisme, plus précisément le néo-narco-banditisme des cités. Il convient selon nos édiles d'acheter la paix sociale, ce qui constitue le cadre indépassable de la philosophie politique de nos gouvernants depuis 40 ans. Or, cette lâcheté a conduit à une crise sans précédent de l'Etat, thème pourtant récurrent depuis le début des années 1990, qui s'avère désormais impuissant, par les instruments qui sont les siens (respect des droits de l'homme, idéologie de l'excuse absolutoire, respect du principe de présomption d'innocence, davantage d'ailleurs pour de gros voyous que pour des citoyens lambda ou des avocats), à extirper ce diable, dont Baudelaire disait que "sa plus belle ruse était de nous faire croire qu'il n'existait pas", un mal endémique qui a son siège au coeur de la République. A cette lâcheté congénitale du politique, mêlée à une incompétence crasse sur le phénomène, se rajoute ce que le philosophe allemand de l'Ecole de Francfort, Jürgen Habermas nommait le "patriotisme constitutionnel", à savoir une idéologie reléguant la vérité et l'observation objective des faits, donc la réalité, au respect des seules procédures au sein d'un État de droit. Or, c est précisément cette pensée qui génère de la faiblesse dans l'action à l'heure où l'avenir, qu'on l'accepte ou le déplore, sera celui des démocratures, selon le mot de Nicolas Baverez. 

Régis de Castelnau : C’est d’abord une question de moyens, et clairement l’inspection générale des finances de Bercy s’opposera à toute allocation de ressources supplémentaires aux forces policières chargé de l’ordre républicain sur le territoire et surtout chargé de prévenir et de lutter contre la délinquance qui pourrit la vie des citoyens : violence, vols, cambriolages, agressions gratuites, toute cette violence de tous les jours dont les statistiques nous ont montré l’explosion.

C’est exactement la même chose avec le service public de la justice. Je recommande la lecture du livre remarquable d’Olivia Dufour «Justice, une faillite française » remarquable diagnostic et réquisitoire contre cet État refusant pour des raisons budgétaires de doter la France d’une Justice digne de ce nom. Alors, face à ce manque de moyens, tant des forces de l’ordre que de l’appareil judiciaire, un certain nombre de comportements on finit par être adoptés. Il y a tout d’abord une forme de consensus entre les forces de police et les parquets pour laisser impunie toute une délinquance que l’on va qualifier « de tous les jours », délinquance qui a quand même un impact considérable sur la population. On trouve ainsi banal qu’à diverses occasions des milliers de voitures, qui sont celles des pauvres, soient incendiées. Il n’y a jamais ni recherche des auteurs (en général bien connus des forces de police) et une volonté de minorer le phénomène de la part des pouvoirs publics. Pareil pour les cambriolages, les vols avec ou sans violence, les agressions gratuites etc. Il faut savoir qu’il y a en France 1 million et demi d’infractions avec auteurs connus par an qui ne sont pas poursuivies ! Concernant la répression pénale deux facteurs rendent celle-ci impuissante. Tout d’abord énormément de décisions ne reçoivent aucune exécution, faute de moyens, c’est-à-dire de magistrats chargés de les prendre en charge, et de moyens techniques (nombre de places de prison, éducateurs, juges de l’application des peines), ce qui fait que des gens ayant parfois jusqu’à 20 condamnations sur leurs casiers judiciaires n’ont jamais fait une minute de détention. La valeur dissuasive de cette répression n’existe pas. Mais il y a aussi une part d’idéologie, ou évidemment la culture de l’excuse est très prégnante et aboutit à un « à quoi bon » tout à fait démobilisateur. Il y a une perception justifiée que la répression s’abat sur des populations déjà défavorisées ou marginales, alors beaucoup pensent que ce n’est pas la peine d’en rajouter. Paradoxalement, l’incroyable répression dont ont été l’objet les gilets jaunes et le mouvement social le démontre aussi. Dès lors qu’ils se sont trouvés en face des couches populaires et non plus des populations marginales, des magistrats ont eu la main particulièrement lourde. Ce qui démontre que le « laxisme » qui existe lorsqu’on examine les conséquences de la répression n’est pas une fatalité, mais relève bien un choix politique.En tout cas, il n’est pas excessif de dire que cette délinquance a été aujourd’hui en partie dépénalisée. Ce qui pour les « honnêtes gens » est quelque chose d’insupportable quand ils y sont confrontés. Il y a également un domaine où les magistrats ont la main particulièrement lourde comme le démontre l’affaire Leroux. Terrorisé par les risques de basculement dans l’autodéfense et la violence arbitraire qui l’accompagnerait, les tribunaux condamnent lourdement toutes les velléités de légitime défense. Suscitant d’ailleurs une incompréhension et une rage de très mauvais augure.

Comment remédier à cette situation ? Comment éviter que l'ordre public ne se dissolve davantage ? 

Gérald Pandelon : Il faudrait une vision et une volonté. En outre, du courage, un courage qui fait cruellement défaut. A telle enseigne que de façon fataliste ou cynique, je me pose la question de savoir s'il n'est pas urgent de ne rien faire. Idéalement pourtant , la solution consisterait à mettre entre parenthèses, fusse sur une période limitée, un régime de suspension provisoire des libertés, afin de juguler l'accroissement des crimes et délits, et permettre de restaurer enfin l'autorité. 

Régis de Castelnau : Je pourrais vous répondre lapidairement, « en débarrassant la France de ce gouvernement et de ce président qui n’ont qu’une obsession : démanteler les services publics y compris des grands services publics administratifs régaliens que sont la police et la Justice ». Lorsque l’on voit les réformes d’organisation et de procédure judiciaires adoptées au printemps dernier, la volonté d’Emmanuel Macron apparaît clairement. Rendre plus difficile, plus compliqué, plus cher l’accès à la justice en espérant tarir la source des contentieux. C’est exactement ce qui s’est passé avec les ordonnances travail où le recours aux prud’hommes a été à ce point compliqué, que le nombre d’affaires dont ces juridictions sont saisies s’est complètement effondré.

Donc pour remédier à la situation décrite, et revenir à un ordre républicain qui n’est plus aujourd’hui assuré, il n’y a qu’une solution : redonner à la police et à la justice les moyens d’exercer leurs missions.

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