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Loi bioéthique, l’impossible compromis
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Tribune

Une tribune de Laurence Trochu, la présidente de Sens Commun, à l’occasion du vote par le Sénat du projet de loi bioéthique.

Laurence Trochu

Laurence Trochu

Laurence Trochu est présidente du Mouvement Conservateur.

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Actuellement discutée au Sénat avant son vote solennel le 4 février, puis une deuxième lecture à l’Assemblée Nationale, la loi de bioéthique a été modifiée mais, entre tentatives d’améliorations, réels progrès et terribles aggravations, l’esprit du texte ne change pas fondamentalement. Les Sages sont à la recherche d’une via media et de conciliations entre des propositions à caractère divergent, voire contradictoire. Sur des sujets aussi graves qui touchent à la conception même de l’homme, une philosophie du milieu, chère à Paul Ricoeur, le philosophe dont Emmanuel Macron se réclame, est-elle possible ? 

Dans un compromis, il s’agit de se mettre d’accord pour « faire avec » nos différends. Rude défi en bioéthique puisque le compromis pointe l’absence d’un ordre et de normes reconnus par tous. Les législateurs se lancent donc à la recherche d’un point d’équilibre et le compromis se révèle comme l’autre nom du « en même temps ». 

Ainsi, dans l’article 1 portant sur la PMA sans père, la mention « nul n’a le droit à un enfant » fait consensus et s’accommode curieusement de l’adoption de l’article permettant à toutes les femmes de satisfaire leur désir d’enfant. De même, le critère d’infertilité médicale a été réintroduit pour les couples homme-femme mais la mesure d’instauration d’un plan national infertilité a été rejetée, alors que c’est un enjeu sanitaire capital. En outre, si la levée de l’anonymat du donneur de gamètes a été confirmée, elle ne sera pas effective au moment du don, mais seulement lorsque l’enfant en fera la demande et si le donneur le veut bien. 

C’est avec la même logique consensuelle qu’a été abordée la question relative à la GPA. L’interdiction de la retranscription à l’état civil des enfants nés de GPA à l’étranger a été maintenue tout en autorisant la retranscription des jugements d’adoption et sans se soucier de la grave injustice que cela constitue.

Nous sommes là à l’intersection du politique et de l’éthique, dans un monde où il n’est plus question de subordonner l’un à l’autre au risque d’avoir une approche moralisante du problème que l’ère de la post-vérité ne saurait tolérer. Les propos tenus par la garde des Sceaux Nicole Belloubet pour rejeter le principe de précaution en sont le reflet : « Le principe de précaution est à la fois un système d’évaluation et la mise en place de mesures proportionnées et provisoires en cas d’atteinte grave et irréversible. Or en matière de bioéthique je pense que nous nous interrogerions à l’infini sur ce qui est une atteinte grave et irréversible, nous aurions ici une difficulté. »

Le compromis a certes le mérite de rendre les uns et les autres sensibles aux valeurs d’un autre monde, et créé ainsi les conditions pour une reconnaissance mutuelle qui rend possible la discussion comme condition de l’exercice démocratique. Entre conviction et argumentation, certains Sénateurs nous donnent à voir ce que le philosophe américain John Rawls appelle « des convictions bien pesées » tandis que d’autres trouvent refuge dans une abstention censée parvenir à la coexistence pacifique d’idées contradictoires. Lors du vote solennel le 4 février prochain, c’est en réalité sur la possibilité même du compromis que se prononceront les Sénateurs.  

« Dans le compromis, nous dit Ricoeur, chacun reste à sa place et personne n’est dépouillé de son ordre de justification ». Se révèle pourtant, dans les débats bioéthiques, le choc de deux visions du monde et de l’homme qui aboutissent à des choix politiques irréconciliables. Quelle conception de l’homme et de la société les sous-tend et inspire le vote ?

Multiculturaliste, transhumaniste, post-nationale : la ligne des progressistes de tous bords est claire et repose sur la conception d’une humanité déracinée, augmentée, mondialisée. Ce n’est donc pas seulement l’intersection entre l’éthique et le politique qui est en jeu et Ricoeur avait d’ailleurs saisi l’intrusion de l’économie. Elle s’immisce ici en tolérant la marchandisation du corps. L’inévitable pénurie de gamètes qui suivra la PMA pour toutes renforcera l’ignoble business de la procréation qui prospère déjà au mépris de la loi en vigueur. Dans une économie mondialisée, on trouve en un clic sur internet des banques de sperme qui vous invitent à créer un compte en tant que « client privé » pour sélectionner les caractéristiques du donneur selon les critères que vous voulez retrouver dans les traits de votre bébé sur mesure. Et le panier dans lequel vous mettez votre « produit » n’est rien d’autre qu’une poussette !

Les dernières digues menacent de s’effondrer. Les Sénateurs en ont préservé de solides, en refusant notamment la modification génétique des embryons à des fins de recherche ainsi que les embryons chimériques ou encore l’eugénisme du dépistage préimplantatoire recherchant des anomalies chromosomiques chez les embryons. Mais s’ils se satisfont d’un compromis qui se traduirait par l’abstention, au motif que le texte est finalement moins pire que le projet initial, alors ils glisseront de la tentative d’une impossible conciliation à la compromission sur des principes fondamentaux. L’enjeu de ce vote est de taille : « Si les hommes sont à la recherche d’une entente à n’importe quel prix, ils renoncent à se demander ce qui est juste ; et s’ils renoncent à une telle question ils renoncent à être hommes », avertit Myriam Revault d’Allonnes. 

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