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Comment la mémoire de la Shoah se retourne paradoxalement contre les Juifs
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

Iannis Roder publie "Sortir de l'ère victimaire" aux éditions Odile Jacob. Nourri de documents exceptionnels sur la Shoah, ce livre s’adresse à tous ceux qui pensent que son enseignement peut éclairer et fortifier les citoyens que nous sommes. Extrait 2/2.

Iannis Roder

Iannis Roder

Iannis Roder est directeur de l'Observatoire de l'éducation et professeur d'hsitoire-géographie à Saint-Denis (93). 

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La Seconde Guerre mondiale et le nazisme ont délégitimé l’identité. Les leçons tirées de cet épisode historique ont eu pour conséquence d’assimiler la notion d’identité à un racisme doublé d’un rejet de l’Autre. Elle est, de fait, aujourd’hui, souvent comprise comme un repli sur soi et donc comme une possibilité ouverte au racisme. Elle serait porteuse, par essence, de haine et de violence car c’est en son nom et au nom de sa préservation que les nazis ont agi. 

La Seconde Guerre mondiale, réduite à la Shoah, a eu pour conséquence de faire de la recherche de l’universalité humaine le but à atteindre. Cette humanité – réduite en réalité à l’humanité occidentale – devrait être dégagée de tout marqueur identitaire et de tout particularisme. C’est ce que note Emmanuel Todd dans son ouvrage Qui est Charlie ?, considérant que toute identité singulière ne peut être aujourd’hui que rejetée car seul l’homme universel peut prétendre à la mise en place d’une concorde elle-même universelle. Sans identités particulières, plus de haine, plus de racisme. C’est bien au nom de la Shoah que l’identité est souvent vouée aux gémonies, comme si cette dernière ne pouvait être qu’exclusive et finalement raciste. C’est là une des conséquences de l’approche compassionnelle et antiraciste de la Shoah qui peut aujourd’hui, comble de l’absurde, se retourner contre les juifs. 

De fait, la singularité juive, c’est-à-dire le fait de vouloir continuer à exister en tant que juif – et pour les juifs en tant que peuple – dans une société massifiée et égalitariste peut poser problème à certains. Cette volonté de préservation identitaire contredit en effet l’universel antiraciste qui rêve d’effacer les différences. 

Dans ce cadre mental, le discours antiraciste entretient ainsi une sidérante inversion. Certains propos, abondant sur Internet et se présentant comme antiracistes, font des juifs les racistes qui, pêle-mêle, chercheraient à ne « rester qu’entre eux », seraient solidaires et s’entraideraient en entretenant à dessein leur singularité, parfois à des fins non avouables. Or toute conception identitaire singulière qui ne prônerait pas l’ouverture aux autres et le mélange de tous – quand existe un souci de préservation de l’identité juive dans les familles qui aspirent à des mariages à l’intérieur de la communauté religieuse juive – peut parfois être considérée comme « raciste » car le mélange, le métissage, c’est l’ouverture aux autres et le contraire du nazisme. 

Il est frappant qu’aucun élève aujourd’hui ne se dise ouvertement raciste ni antisémite. Tous condamnent unanimement le racisme car « le racisme, c’est pas bien » et ne cessent de le dénoncer. Nous pourrions nous satisfaire de ce constat qui tendrait à prouver que le catéchisme antiraciste qui s’est largement appuyé sur la mémoire de la Shoah et sur le « devoir de mémoire » a été efficace. Mais cette vision optimiste en appelle une autre qui l’est beaucoup moins car, si les élèves se proclament antiracistes, cela n’empêche pas certains d’affirmer qu’ils n’aiment pas les juifs parce que « les juifs ne nous aiment pas », ils « tuent des enfants palestiniens » et « n’aiment pas les musulmans ». Autrement dit, être antisémite, ce n’est pas être raciste, ce serait se défendre contre le racisme ! La mémoire de la Shoah a donc eu pour conséquence de faire de l’antiracisme une « nouvelle foi civique » à partir de laquelle il est à nouveau possible de mettre les juifs en accusation. 

Cette inversion, au nom même de la Shoah, est encore plus criante dès qu’il est question d’Israël.

Extrait du livre de Iannis Roder, "Sortir de l'ère victimaire, Pour une nouvelle approche de la Shoah et des crimes de masse", publié aux éditions Odile Jacob

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