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Mais que fait BlackRock de si affreux pour s’attirer tant de haine et d’hystérie ?
©Andrew Burton / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Atlantico Business

Fake news : il faut vraiment tout ignorer de BlackRock pour le soupçonner d’intervenir dans le projet de réforme des retraites. Ou alors se livrer à un débat sordide contre un soi-disant complot international fomenté par l’argent d’ailleurs... Le diable en quelque sorte.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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BlackRock est trop puissant et trop riche. Fondé à New York en 1988 par des banquiers d’origine juive, BlackRock a su éviter la crise de 2008 et s’enrichir alors que d’autres comme Lehman Brothers faisaient faillite. Et il est juif comme les deux tiers de la banque à New-York. Le monde entier sait cela.

Mais à Paris, l’hystérie est devenue tellement glauque que de deux choses l’une : ou bien ceux qui l’alimentent ne connaissent absolument rien de cette institution et ont été bernés par quelques fake news. Ou bien ils ont compris qu’en surfant sur cette vague de populisme, ça gênera forcément un gouvernement fragilisé.

Ce faisant, savent-ils qu’en se prêtant à une telle campagne, ils tombent dans l’antisémitisme le plus primaire? Ce qu’ils condamnent finalement, c’est l’existence d’un complot international financé par l’argent offshore. Celui qui n’a ni couleur, ni odeur, ni patrie.

Qu’on le veuille ou non, il y a de l’antisémitisme dans un tel débat, parce que tout est faux.

La réalité des faits qui nourrissent l’imaginaire polémique sont d’une banalité affligeante. Des témoins (très avisés) auraient vu les dirigeants du fonds américain BlackRock reçus plusieurs fois à l’Elysée au cours de ces dernières semaines. Autre fait, le président français de BlackRock Jean-François Cirelli a reçu la médaille d’officier de la légion d’honneur lors dans la promotion du Nouvel an.  

A partir de ces faits avérés, établis, « on » a, dans les milieux politiques et médiatiques, écrit un scénario absolument apocalyptique fondé sur des extrapolations, des exagérations et des approximations qu’une production Netflix n’aurait même pas osé présenter, sauf pour démontrer le machiavélisme de ses auteurs. Comme d’habitude dans le processus de fabrication des fake news, on ne sait pas qui est à l’origine de la rumeur. Il n’y a pas de coupable.

Le scénario s’embellit chaque jour d’une nouveauté étonnante.

Acte 1 : Ça commence donc par ces visites à l’Elysée du représentant de la société américaine dont on va nous « révéler » qu’elles servent à expliquer au président que la seule réforme qu’il faudrait faire en France serait de remplacer le système par répartition, par un système par capitalisation. Or en France, la capitalisation est considérée comme un outil diabolique.  

Acte 2 : quand on s’interroge sur le pourquoi de cette démarche, on vient nous raconter que BlackRock est le plus important fonds du monde spécialisé dans la gestion des fonds de pension, donc la capitalisation et comme BlackRock n’a pratiquement pas de marché en France, ils veulent installer un système global pour s’installer. D’où le lobbying et les visites à l’Elysée.

Acte 3 : la promotion de la légion d’honneur apporte la preuve que le président de la République a entendu le message et qu‘il remercie de cette façon le président en France de BlackRock pour cette bonne idée.

En trois actes, le décor, le lieu et les principaux acteurs sont définis et placés. Le jeu de scène peut commencer. Les chefs syndicaux qui cherchent à remobiliser leur troupes et les responsables politiques qui vouent une haine aveugle à Emmanuel Macron en profitent pour apporter de l’eau à la rumeur, mais pas pour la noyer, pour qu’elle embellisse et asphyxie la raison. On improvise rapidement une France  menacée d’envahissement par des agents venus de l’étranger pour pomper l’argent des petits retraités français. Formidable, même à Netflix on n’aurait pas oser y penser.

Ca faisait très longtemps qu’un faisceau de « conneries » aussi fourni n’avait pas été jetées sur la France pour en dénigrer les élites non seulement politiques mais aussi financières. Tous les conjectures tirées de ces faits sont fausses.

1°-les visites de patrons de sociétés étrangères au président de la République sont fréquentes, soit parce que le président veut écouter le bruit de l’extérieur, soit parce que les sociétés étrangères ont des projets et c’est tant mieux. Tout cela est bon pour améliorer l’attractivité de la France. Que ne dirait-on pas d’un président de la République qui refuserait tout contact avec le monde des affaires français et étrangers. On dirait simplement qu’il ne fait pas son métier.

2°-la légion d’honneur est devenue un évènement presque banal. Que ça serve le pouvoir pour remercier certaines personnalités ou s’attacher des obligés, sans doute. Jean François Cirelli n’aura pas accepté cette promotion pour ce qu’il fait à BlackRock. C’eut été humiliant. La légion d’honneur lui a été proposée compte tenu de son parcours au service de la République. Entre le service à Jacques Chirac et ses fonctions à Gaz de France ou chez Engie. La tradition républicaine fait que (pour ceux qui croient au rituel de la République), la Légion d’honneur ne se demande pas, ne se refuse pas et ne se porte pas forcément. Libre à chacun d’arborer cette rosette.

Sur le fond du débat de cette affaire, les erreurs sont tellement grossières qu’on frôle le ridicule. Pour trois raisons.

D’abord le fonctionnement de BlackRock ne correspond absolument pas à celui qu’on lui prête. BlackRock, c’est vrai est une énorme institution financière, un peu comme Goldman Sachs ou Warren Buffet. Ces organisations forment des Etats dans l’Etat et même sur la planète. Ils ont évidemment plus de pouvoir que le FMI. Mais ils ne gèrent pas les fonds de retraites. Leur métier, c’est l’investissement. Ils gèrent l’argent de leurs clients et leurs clients sont des épargnants. Au total, BlackRock est le plus riche du monde puisqu’il gère près de 7 000 milliards de dollars d’actifs financiers. A titre de comparaison, ça représente trois fois le PIB de la France.

 Alors que tous les épargnants soient des retraités en puissance, c’est une évidence, mais le métier de BlackRock est d’investir les milliards de dollars qu’on lui confie dans des entreprises de façon très diversifiée et pour réaliser cette combinaison optimale entre le meilleur rendement la plus grande sécurité. BlackRock est présent en France dans le capital de la plupart des entreprises du Cac 40 mais à hauteur qui dépasse rarement les 3 ou 4% du capital.

Ce qui est vrai, c’est que l’ensemble des grands fonds d’investissement internationaux, y compris les fonds souverains (comme ceux du Golfe) représentent plus de 50% du capital des entreprises françaises. Et ce qui est vrai, c’est qu’ils sont très convoités et courtisés. Pourquoi ? Tout simplement parce que les entreprises ont besoin de capitaux et que l’épargne française est insuffisante puisqu’elle est drainée par l’Etat pour le financement de son déficit public.  

Alors, c’est vrai qu’on a besoin des grands fonds comme BlackRock, mais pas pour gérer notre épargne qui est déjà préemptée, mais pour qu’ils nous apportent des moyens.

L’erreur qui consiste à penser que BlackRock cible l’argent des retraites en France est ridicule.  

Ensuite, et si par le plus grand des hasards, BlackRock décidait de changer de métier, elle trouverait sur sa route des concurrents locaux autrement mieux placés.  Sur le terrain de l’épargne française, le fonds Amundi est autrement plus puissant Axa aussi, du coté de la BNP ou des banques populaires, on se débrouille pas mal et si on rêve d’épargne retraite gérée par la capitalisation. Ils détiennent dans leur compte les fonds de l’assurance vie. Alors BlackRock et ses copains de New York ou d’Abu Dhabi n’ont pas de temps à perdre.

Enfin, l’horreur que provoquent les fonds de capitalisation mériterait une analyse psychanalytique. Parce que outre l’opposition frontale, absolue et idéologique à la capitalisation, il y a une impossibilité purement mécanique. Tant que la France aura un déficit de ses finances publiques aussi important et qui absorbe l’essentiel de l’épargne, il n y aura aucune marge de manœuvre pour la capitalisation.

Mais ce qui transpire aussi de cette polémique contre BlackRock est encore plus nauséabond. Parce que si le débat a atteint une dimension aussi hystérique, c’est qu‘il se nourrit d’un vieux fond d’antisémitisme. L’argent de l’étranger, quand en plus il vient de New-York est l’argent du diable. De celui qui finance les complots internationaux. L’histoire de France depuis la crise de 1930 regorge d’exemples plus glauques les uns que les autres. Ce qui est désolant, c’est que dans la France d’aujourd’hui, beaucoup de ceux qui participent à ce type de débat ne sont même pas conscients de l’ombre portée. Ce qui est désolant enfin, c’est qu’une partie des responsables politiques savent tout et manipulent à l’envie le verbe creux et la fausse nouvelle.

L’antisémitisme a toujours fonctionné de cette façon des fake news, une mise en scène, une imagination noire et des effets qui finissent par être désastreux.

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