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Les relations de travail toxiques ou la vraie raison de l’allergie des Français au recul de l’âge de départ en retraite
©KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Toxique ?

La contestation contre la réforme des retraites entre dans sa troisième semaine. Or, le recul de l'âge de départ à la retraite pourrait être plus facile à accepter si le travail en France n'était pas aussi toxique.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Comment expliquer l’obsession des Français sur la question de la retraite alors que d’autres problèmes plus graves traversent le monde de l’emploi (comme la souffrance au travail qui est très élevée et la qualité de management qui est assez faible selon les classements) ?

Alexandre Delaigue : Ce qui est frappant avec la question des retraites, c'est le degré de crispation que l'on voit qui n’est pas généralisé autour de cette question. Et cette crispation est liée au fait que suggérer aux gens qu'ils pourraient avoir moins de retraite ou devoir partir plus tard génère des réactions véritablement épidermiques. Or si l'on compare avec un certain nombre d'autres pays, les gens n'apprécient pas particulièrement que l'âge de la retraite soit augmenté mais ça à l'air de se passer un peu plus facilement. La question que l'on peut se poser c'est celle du rapport que les gens ont au travail.

Comment se fait-il que l'idée de rester au travail un peu plus longtemps apparaisse comme aussi difficile ? Quand on sait par ailleurs que c'est quelque chose qui a été bien explicité, en particulier par un livre de Thomas Philippon qui s'appelle "Le capitalisme d'héritiers" : en France nous avons une qualité de management qui est relativement contestable. On a une forme de management qui s'accompagne d'un degré assez significatif de souffrance au travail. La France n'est pas très bien classée dans les indicateurs de souffrance au travail. Nous ne sommes pas bien classés non plus dans les classements sur la qualité de management. C'est particulièrement le cas dans les anciennes entreprises, celles qui ont été privatisées dans les transports notamment, et dans les anciens secteurs comme le secteur public.

On pourrait émettre l'hypothèse que l'un des problèmes posés par cette manifestation autour des retraites c'est le fait que la perspective de devoir travailler un peu plus apparaît absolument insupportable pour les gens à cause de ces problèmes de management. S'y ajoute un autre élément. Les gens ont l'impression que trouver un travail quand on est relativement âgé est extrêmement difficile. Les plans de licenciement, les départs anticipés sont très largement utilisés dans les entreprises. Il y a tout un discours général consistant à dire qu'au-delà d'un certain âge les gens sont soit impossibles à recruter, soit sont des poids pour l'entreprise. Si on prend en compte ces deux éléments-là, on peut comprendre la raison pour laquelle la perspective de devoir partir à la retraite plus tard, de retarder l'âge de départ à la retraite soit vécu de manière aussi difficile.   

Existe-t-il un lien de corrélation entre les personnes qui sont satisfaites au travail et le fait de ne pas être inquiet pour la question des retraites ? 

Il y a un certain paradoxe ici. Il y a toute une série de secteurs d'activité dans lesquels on passe notre temps à constater qu'il y a des gens qui sont en place depuis extrêmement longtemps et qui n'envisagent en aucun cas de partir. Il suffit de regarder la moyenne d'âge du personnel politique, en particulier des députés. On pourrait aussi regarder dans le secteur des médias avec ce que l'on pourrait appeler le syndrome Michel Drucker. C'est à dire des personnalités des médias qui n'envisagent même pas l'idée de partir. Récemment je lisais une interview de Christophe Dechavanne qui a soixante ans et qui exprimait son désir d'une seule chose, de recommencer à faire de la télévision.

C'est uniquement anecdotique mais cela laisse suggérer qu'il y a beaucoup de gens pour lesquels partir à la retraite est quelque chose qu'ils n'envisagent pas et en général ce sont des gens qui se déclarent extrêmement satisfaits de leur travail. 

Il y a un point que l’on néglige souvent. Partir à la retraite en soi n'est pas quelque chose qui est si plaisant que ça. Quand on regarde ce qui se passe dans pas mal de pays avec les statistiques accessibles, le départ à la retraite s'accompagne souvent de dégradations de l'Etat de santé, de dépressions (on peut penser au Japon par exemple). On constate une explosion des taux de suicide entre 65 et 75 ans. Le choc d'un changement de mode de vie aussi radical que le passage à la retraite après avoir été actif pendant très, très longtemps, tous les changements de vie que cela implique, un certain sentiment d'inutilité... Ca n'a rien d'un passage facile à faire.     

De ce point de vue-là, la raison pour laquelle les gens ont envie de partir à la retraite c'est le sentiment que le travail est encore pire que ça. Mais la retraite en soi, pour beaucoup de gens, n'est pas quelque chose qui est vécu de manière extraordinairement appréciable.

Que peut nous apprendre l'exemple japonais notamment sur le plan démographique sur la question des retraites en France et comment pourrait-on améliorer le traitement des seniors dans la société et dans le monde du travail ?

Cee qui est intéressant avec le Japon c'est qu'il s'agit d'un des premiers pays développés, par anticipation, à avoir connu un vieillissement accéléré. Au Japon, on a déjà un certain nombre de villes dans lesquelles l'âge médian est supérieur à 55 ans, près de la moitié de la population est retraitée. C'est quelque chose que l'on devrait regarder pas seulement pour la question des retraites mais pour la question plus générale de savoir ce qu'il se passe dans une économie qui vieillit. Il y a des tonnes de leçons que l'on pourrait retenir en matière de macro-économie. 

Si on veut maintenant se focaliser sur cette question du vieillissement, on devrait aller étudier le Japon pas tant pour se poser purement la question des retraites. Car c'est cela qui est terrible en France, c'est cette manie de vouloir traiter la question du vieillissement uniquement sous l'angle d'une charge qui est :"ça va nous coûter cher. Qu'est-ce qu'on pourrait faire pour que ces personnes âgées ne nous coûtent pas aussi cher". Le fait est que les personnes âgées vont constituer une part de plus en plus importante de la société. Cela implique des bouleversements considérables, des adaptations énormes pour pouvoir vivre en société de cette manière-là. Il faut donc s'intéresser à ce qu'il se passe lorsque l'on se retrouve dans une ville dans laquelle la population vieillit énormément. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait des gens ?  Comment est-ce que l'on donne un sens à la vie des gens qui n'avaient pas du tout prévus de rester très, très longtemps inactif après leur période d'activité ou qui n'avaient pas anticipé de vivre aussi longtemps après, y compris avec un certain nombre de problèmes physiques potentiels, de ce point de vue-là, tout est à inventer. Or, en France on ne regarde cette question que sous le prisme financier.

C'est quelque chose qui est assez dramatique. Pour une fois qu'on a un problème qu'on peut anticiper pour lequel on a des exemples à l'étranger qui pourraient montrer ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire, on ne s'y intéresse absolument pas. On sait que l'on va vivre dans un pays plus vieux et on ne s'y prépare absolument pas.

Comment serait-il possible de résoudre la crise du nombre d'actifs en France ? Le pays est passé de 4 actifs pour 1 retraité à un système de nos jours avec 1,7 actif pour 1 retraité.

Sur ce problème précis, pour résoudre la crise du nombre d'actifs, il faut ce que l'on appelle le 3 P.

Premièrement, il faut agir au niveau de la population. C'est le premier P. La population, cela veut dire augmenter le nombre d'actifs. De ce point de vue-là, on peut jouer sur la natalité mais c'est compliqué. On l'a vu avec les politiques publiques destinées à augmenter la natalité : ça coûte extrêmement cher, pour des effets qui sont extrêmement faibles. 

L'alternative c'est une politique d'immigration qui vise à accueillir rapidement un certain nombre d'actifs supplémentaires. On peut se poser la question des modalités que cela pourrait prendre. L'idée n'est pas de jouer uniquement sur cette variable-là bien sûr mais de regarder ce qu'on peut faire avec cette variable. Il faut changer la politique migratoire française dans ce sens-là. 

La deuxième chose, c'est la participation. On peut se poser la question du  taux d'emploi relativement faible en France. Est-ce que l'on ne pourrait pas augmenter le taux d'emploi pour les actifs ?  Là ça pose la question du chômage en particulier. On pourrait aussi se poser la question du traitement des personnes âgées. Quel rôle est-ce qu’on pourrait avoir pour des personnes plus âgées qui continueraient d’être actives ? Qu’est-ce qu’on pourrait créer comme type d’emplois pour pouvoir maintenir un petit peu plus longtemps dans l’activité les personnes au fur et à mesure qu’elles vieillissent ? Cela implique des bouleversements considérables au niveau du fonctionnement du marché du travail.

Enfin la dernière chose, c’est la productivité. Il faut des gains de productivité pour que le travail des actifs soit le plus productif possible. Ceci permet de dégager des ressources afin de maintenir  un niveau de vie correcte pour les personnes âgées de plus en plus nombreuses. Là aussi, ce n’est pas quelque chose qui est si facile à faire mais ça reste quand même quelque chose de nécessaire. 

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