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To Reform or not to Reform après les Gilets jaunes : l’argument de l’inégalité des Français face aux retraites peut-il être efficace ?
©GEORGES GOBET / AFP

5 décembre

Selon un sondage Elabe pour BFMTV, la mobilisation du 5 décembre est perçue par les Français comme une mobilisation globale d'opposition à la politique de l'exécutif. En misant sur l’argument de l’inégalité face aux retraites, le gouvernement commet probablement une erreur stratégique.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Bernard Sananès

Bernard Sananès

Bernard Sananès est président d'Elabe. Il est diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques d'Aix en Provence, et de l'Institut Pratique de Journalisme.

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico.fr : Ces derniers jours, le gouvernement semble vouloir désamorcer le mouvement social qui s'annonce en soulignant le caractère égalitaire de la réforme des retraites et en insistant sur la suppression des régimes spéciaux. Les Français seraient pourtant une majorité à considérer que la manifestation du 5 décembre dépasse largement cette question.

Un sondage Elabe pour BFMTV publié hier montre que la mobilisation du 5 décembre est plutôt perçue comme une mobilisation globale d'opposition à la politique menée par l'exécutif, plutôt qu'une mobilisation pour défendre les régimes spéciaux. De ce point de vue-là, des discours comme celui de Richard Ferrand dans le JDD de ce dimanche ("Le 5 décembre est une mobilisation pour conserver les inégalités") ont-ils une chance d'isoler les manifestants dans l'opinion ? 

Bernard Sananès : Quand on demande aux français interrogés par ELABE quelles sont à leurs yeux les raisons de la mobilisation du 5 décembre, ils citent en 1er, pour 46 % une mobilisation globale à la politique menée par l’exécutif, 29 % une mobilisation avant tout pour défendre les régimes spéciaux,24 % une mobilisation contre l’ensemble de la réforme des retraites. Politiquement, on constate que les principales raisons de cette mobilisation diffèrent selon les électorats. La perception d’un mouvement « corporatisme » est plus forte dans les électorats de François Fillon et d’Emmanuel Macron. Quand le gouvernement choisit d’utiliser cet argument, il sait donc qu’il a une fonction, celle de ressouder autour de lui son socle électoral élargi. Mais, s’il s’agit d’ un puissant moteur de la mobilisation des agents concernés à basculer dans la grève, ce n’est pas sur le sujet des régimes spéciaux que l’opinion entre dans le débat sur les retraites. La double inquiétude de l’opinion repose sur deux moteurs : la crainte de devoir travailler plus longtemps, et celle de voir dans le même temps son niveau de pension diminuer. L’argument des régimes spéciaux a donc un objectif politique, celle de diminuer le soutien à la grève, mais pris isolément il ne transformera pas la réforme des retraites en réforme populaire.

Christophe Bouillaud : A en croire, ce sondage Elabe, ce sont tout de même 29% des Français qui croient actuellement que cette mobilisation du 5 décembre est seulement contre la réforme des régimes spéciaux, 24% contre la réforme des retraites en général, et 46% sur la politique du gouvernement en général. L’opinion selon laquelle la mobilisation ne serait que contre la réformes des régimes spéciaux est particulièrement forte parmi les CSP+ et les électeurs d’Emmanuel Macron et de François Fillon à la présidentielle de 2017. On peut supposer qu’en pratique, lorsqu’on parle dans un sondage de régimes spéciaux, les répondants, influencés par ce qu’ils voient et entendent dans les médias, ne pensent qu’à celui des cheminots et des salariés de la RATP. On peut donc dire que le discours gouvernemental des derniers jours prend tout de même sur un petit tiers de l’opinion publique. Or, comme le gouvernement l’a bien précisé lui-même en annonçant sa propre réforme, et comme il ne l’a jamais démenti depuis, tous les régimes de retraite, sans exception aucun (salarié du privé et du public, indépendants de tous les secteurs), sont concernés. De fait, il faut rappeler que les régimes de retraites de toutes les professions libérales sont concernés : or ceci ne va pas sans difficultés pour ces régimes qui ne faisaient pas parler d’eux jusqu’ici, par exemple les avocats qui entendent eux aussi participer à la mobilisation du 5 décembre. Qu’un aussi évident mensonge  d’une mobilisation seulement sur les seuls régimes spéciaux  de la SCNF et de la RATP puisse persuader ne serait qu’un petit tiers de l’opinion est déjà une belle réussite en soi pour le gouvernement.  Il faut sans doute y voir aussi l’effet d’une présentation de la grève à venir par les médias audiovisuels qui insistent par avance sur les perturbations à prévoir dans les transports publics.

Il faut sans doute voir aussi dans cette réponse erronée d’une part des salariés directement concernés – les cadres en particulier - une très mauvaise compréhension de leur part de ce que signifie pour eux personnellement – quand ils ne sont pas déjà retraités – cette réforme systémique faite au nom de la lutte contre les inégalités.  Le passage des systèmes actuels (en résumé, avec une référence aux 25 meilleures années dans le régime de base pour le salariat du privé et aux 6 derniers mois pour les fonctionnaires) au système universel par points (en résumé, un euro cotisé = un point de retraite) ne peut faire qu’une grosse majorité de perdants en raison des profils de carrière généralement ascendants. En effet, le système actuel avait l’avantage de lisser les « incidents de carrière », tout au moins dans le régime de base et dans le cas des fonctionnaires, et en quelque sorte, de garantir à chacun un niveau de retraite proche du meilleur statut acquis au cours d’une carrière. Un article du Figaro vient ainsi de rappeler que les femmes qui s’arrêtent un temps pour élever leurs enfants seront particulièrement victimes de cette nouvelle façon de calculer leur retraite. Par ailleurs, du côté des trois fonctions publiques, le calcul sur toute la carrière ne peut être que défavorable, puisque l’on y avance à l’ancienneté, souvent désormais après des années de précarité comme contractuel. Même le Président et son gouvernement ont dû reconnaître que le monde enseignant, en l’état de sa réforme, y perdrait vraiment beaucoup, parce que ce secteur-là de la fonction publique n’a que des primes basses qui s’ajoutent aux salaires statutaires. En effet, l’intégration des primes dans le calcul des retraites du secteur public y compensera partiellement pour certains l’abandon de la référence aux six derniers mois de traitement. En fait, si l’on cherche bien, on trouve en réalité des grands gagnants à ce jeu de bonneteau : toute la haute fonction publique qui reçoit des primes pour le moins généreuses. Jusque-là, ces primes reçues par les préfets, les directeurs d’administration centrale, les recteurs, les commissaires de police, etc.  comptaient peu pour le calcul de la pension de retraite. Désormais, elles seront prises en compte. Il faut bien dire que ce n’est pas là le moindre des paradoxes de cette réforme : les gagnants bien réels de cette prétendue recherche de justice se trouvent essentiellement dans le haut de la hiérarchie de la fonction publique. Est-ce cela que l’on entend à Matignon et à l’Elysée par une diminution des inégalités ? 

Edouard Husson : Richard Ferrand ne comprend pas l’opinion française. Associer conservatisme et inégalités est absurde. Le nouveau conservatisme français est au contraire fondé sur le souci de retrouver de la cohésion sociale. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui est associé à une politique d’inégalité. Mais il faut aller plus loin. La philosophie grecque nous a légué la précieuse idée que les inégalités sont dangereuses pour la démocratie. La démocratie doit être une « isocratie », un gouvernement des égaux. Traduit dans nos catégories sociologiques modernes, cela veut dire que sans classes moyennes solides une démocratie s’étiole. Emmanuel Macron, c’est Giscard quarante ans plus tard: il n’y a plus « qu’un Français sur trois » pour soutenir une politique « libérale, centriste et européenne ». On peut faire comme Richard Ferrand ou Edouard Philippe, regarder le conflit au premier degré - revendications catégorielles immobilistes - ou bien comprendre que la France est travaillée en profondeur et que monte un sentiment d’injustice.

La majorité a-t-elle pris la mesure de la solidarité interprofessionnelle qui existe dans l'opinion (et qui a pu se révéler notamment lors de la grève pour l'hôpital public ou celle des policiers) ? Est-ce  cette solidarité qui empêche cette stratégie de prendre ? 

Bernard Sananès : On peut soutenir les revendications des hospitaliers, des policiers, mais pas la défense des régimes spéciaux. On peut, comme une de nos enquêtes l’avaient montré en 2018, avoir une bonne image des cheminots et ne pas soutenir un mouvement qui apparaissait catégoriel. Le citoyen juge aussi en fonction de sa situation personnelle, et de ce qu’il ressent comme injustice par rapport à son voisin ou son collègue. Un employé du privé, va plus difficilement accepter la spécificité de la retraite d’un employé de la SNCF s’il se vit en précarité. Mais la solidarité dans l’opposition à la réforme me semble plutôt se faire sur la question du pouvoir d’achat. La peur d’une forme de déclassement qui serait induit par l’entrée en retraite est une peur qui touche la plupart des catégories socio- professionnelles, quelles que soient leur statut public ou privé comme l’a montré l’hétérogénéité du mouvement des gilets jaunes. Cette peur me semble être potentiellement l’élément fédérateur d’une éventuelle coagulation. C’est pour cela que le gouvernement a face à lui une urgence : rassurer sur la valeur du point. 

Christophe Bouillaud : Comme je viens de la dire, cette stratégie gouvernementale prend tout de même. Le sondage Elabe compare les niveaux de soutien et d’opposition pour différentes causes depuis le début du quinquennat : les pompiers et les personnels des EPHAD attirent la sympathie presque unanime, inversement les fonctionnaires et les cheminots ne rassemblent pas une majorité derrière leur cause. Pour l’opinion en général, la réforme des retraites semble bien être à mi-chemin entre ces deux perceptions : celle du groupe « méritant », utile et travailleur, qui a des raisons de se plaindre et celle du groupe « privilégié », inutile et fainéant, qui ferait mieux de se taire. Au-delà de cette perception générale, il faut bien souligner que la présentation gouvernementale  d’une mobilisation de « privilégiés » ne prend que très peu au sein des classes populaires : seuls 25% des CSP – (employés et ouvriers) n’y voient qu’une mobilisation sectorielle, 27% une mobilisation sur les retraites en général, et 48% contre la politique du gouvernement en général. Il faut noter aussi que 65% des CSP - soutiennent ou ont de sympathie pour cette mobilisation et que 81% de ces CSP-  pensent que la concertation ne sera pas prise en compte et que tout est déjà décidé.

Ce n’est donc pas tant une solidarité interprofessionnelle qui opère que la simple perception par les classes populaires qu’elles vont encore une fois êtres les laissés pour compte d’une réforme qui se fera sans leur avis. Comme LREM est un parti sans aucune implantation dans les classes populaires et que les syndicats ouvriers, même la CFDT plutôt favorable au principe même d’une retraite à points, ne semblent pas avoir droit au chapitre dans la conception même de cette réforme, il ne faut pas trop s’étonner de cette défiance. Plus généralement, il semble bien que toute la France populaire ait désormais bien compris que dans tous les secteurs d’action publique ce pouvoir politique agit résolument contre ses intérêts matériels et symboliques, d’où son soutien à l’idée d’une protestation générale. 

Edouard Husson : Ce qui distingue Emmanuel Macron du reste de la classe politique, c’est la démesure de sa volonté de puissance. Il est au pouvoir et il fera tout pour y rester. Aucun de ses adversaires n’a de volonté réelle de lui contester le pouvoir en 2022. Le président peut donc se contenter de naviguer à vue en espérant éviter les obstacles les uns après les autres. Car il divise les Français en deux catégories: ceux qui lui laissent tout loisir de s’adonner à son rêve de peser au sein des élites mondiales; et ceux qui lui font perdre du temps en le retenant sur des dossiers qu’au fond le président considère comme des « résidus » d’une France vouée à disparaître. Sa France, c’est celles des «Anywheres», les nomades de la mondialisation dont parle David Goodhart, avec leur armée de réserve (pour parler comme Marx), les migrants. Malheureusement pour lui, les « Somewheres», les enracinés, font de la résistance. 

Il y a une sensibilité de plus en plus forte aux inégalités dans l'opinion française, ce que le mouvement des Gilets jaunes a pu révéler. Est-ce que ce que les membres du gouvernement appellent "égalité" (universalisation du système) recoupe bien ce que l'opinion a en tête (inégalités verticales de patrimoine, de revenu) ?

Christophe Bouillaud : Effectivement, il y a une montée de la demande d’égalité dans la société française, largement en réaction à la hausse des inégalités économiques et territoriales perçues par les citoyens. Quand Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement, prétend que la réforme des retraites répondrait à la mobilisation des Gilets jaunes, elle tente d’instrumentaliser cette demande d’égalité, sans bien sûr qu’aucun Gilet jaune de terrain ne puisse se reconnaître dans une telle manœuvre. Une réforme générale des retraites n’était pas une revendication des Gilets jaunes, même s’ils réclamaient effectivement de meilleures retraites. Comme on le sait bien, la réforme des retraites découle en fait complètement du projet politique d’Emmanuel Macron élaboré dès les années 2016-17 et annoncé dans son programme électoral de 2017. Elle correspond plutôt à l’idée néo-libérale d’équité de traitement entre individus et de suppression des spécificités liées à chaque métier au profit d’une vision uniquement monétaire de la réussite de chacun d’entre nous – la fin de tous les « corporatismes » en somme au profit d’une vision uniquement individuelle du destin de chacun. 

Rappelons en effet que, si le gouvernement a toujours présenté sa réforme comme plus égalitaire et plus juste que ce qui existe actuellement, par son principe même, un système à points, avec certes quelques filets de sécurité pour assurer une retraite minimale, cette réforme induit simplement l’inscription dans le montant de la retraite de chacun de tous les aléas d’une vie entière de travail - ou de non-travail. Or, par une simple observation du marché du travail, il est très facile de voir que les aléas (chômage, inactivité forcée, temps partiel non voulu, longue maladie, etc.) sont beaucoup plus nombreux pour ceux qui ne font pas partie de l’élite salariale ou professionnelle. Il suffit de regarder qui se trouve au chômage aujourd’hui ou qui travaille aujourd’hui à temps partiel sans le souhaiter. C’est là de la sociologie élémentaire. L’équité recherchée en réalité aboutit de fait à une augmentation des inégalités monétaires entre retraités sous un prétexte d’égalité plus grande. Il n’est pas très étonnant alors que cette formule ne séduise guère les classes populaires et moyennes.

Plus généralement, cette réforme présentée comme juste, car se voulant équitable, ne modifie en rien les niveaux d’inégalité au sein de la société française. Elle risque plutôt de les accentuer en faisant réapparaître une pauvreté massive des vieux travailleurs, comme avant les années 1970, avec la circonstance aggravante liée à l’allongement de la vie que ces nouveaux vieux pauvres devront aller en EPHAD finir leur jour sans pouvoir le financer eux-mêmes… ce qui annonce en plus une autre crise des finances publiques. 

Edouard Husson : Des trois pays qui ont inventé la liberté politique moderne - Grande-Bretagne, Etats-Unis, France - notre pays est celui qui refuse de sacrifier l’égalité sur l’autel de la liberté. Et plus la France s’est décatholicisée, plus la revendication égalitaire est devenue politique, immédiate, en même temps que les élites abandonnaient le sens de la responsabilité et l’impératif de redistribution volontaire, individuelle, qui est inhérent au christianisme. Ce que le gouvernement ne veut pas voir, c’est que dans les sociétés post-chrétiennes qui sont les nôtres, l’Etat se délégitime s’il ne fait pas tout pour conserver la cohésion sociale. Oui, les régimes spéciaux - comme les « niches fiscales» - sont des motifs d’indignation sérieuse pour beaucoup de Français. Mais le gouvernement est perçu comme insincère globalement. Ajoutons que l’on n’en est pas à la première réforme des retraites. Et les Français se demandent pourquoi, après l’immense secousse des Gilets Jaunes, le gouvernement veut faire une réforme des retraites de plus.

La crédibilité plutôt faible de la majorité sur la réduction des inégalités est-elle aussi une des raisons qui pourrait expliquer l'inefficacité de ce discours ? 

Bernard Sananès : Le principe initial de la réforme, la création d’un système universel, et son corollaire l’équité reste largement partagé.

Mais, vous avez raison, alors que plus de 7 français sur 10 considèrent, et depuis plusieurs mois avec la même intensité, que la politique de l’exécutif est injuste, la crédibilité de cet argument pourrait être fragile. Ajoutons à cela deux éléments : quand on parle réforme, une bonne partie de l’opinion publique se dit « qu’est ce que je vais perdre ? ». Et quand on parle retraites, on ne se projette pas sur une question philosophique ou idéologique, mais d’abord à partir de sa situation personnelle, calculette et simulateur en main. Le gouvernement ne gagnera pas la bataille des retraites sur les grands principes, mais sur du concret et du mesurable pour chacun. Il ne convaincra pas sur un projet global mais par sa capacité à répondre précisément à une infinie diversité, et donc à une multitude d’angoisses, nées de situations individuelles différentes. 

Christophe Bouillaud : C’est sûr qu’il est un peu difficile de croire à la volonté de réduction des inégalités de la part d’un Président et d’un gouvernement qui n’ont eu de cesse, d’une part, d’exalter les « premiers de cordée » et la « start-up nation », et, d’autre part, de mettre en place des réformes sociales et fiscales ces deux dernières années qui ont, selon les premières analyses scientifiques qu’on a pu en faire cet automne, favorisé essentiellement les plus aisés parmi les plus aisés. Emmanuel Macron s’est plaint récemment de la baisse des APL de 5 euros qu’il « trainait comme un boulet ». Il devrait surtout se rappeler que c’est bel et bien lui qui a supprimé l’ISF. Son image de « Président des riches », acquise dès les premiers mois du quinquennat, entre en contradiction flagrante avec cette volonté affichée de faire une réforme systémique des retraites, qui soit un tant soit peu égalitaire.

De fait, le sondage Elabe montre très clairement que cette réforme des retraites est perçue, positivement ou négativement, largement selon l’orientation politique de chacun. En dehors des retraités actuels, ne se sentant visiblement pas concernés, il n’y a bien que l’électorat de LREM et des Républicains dans une moindre mesure pour soutenir cette réforme. Du coup, même si le pouvoir réussit à surmonter les difficultés créées par la mobilisation sociale du 5 décembre et même s’il impose finalement à une majorité réticente de l’opinion sa réforme, il risque de s’aliéner encore plus les classes populaires et moyennes, et d’accentuer encore la défiance dans la société française – soit l’inverse exact du but qu’il prétend pourtant poursuivre. Cela sera alors une victoire à la Pyrrhus, dont il est à craindre que l’addition arrive en 2022. 

Edouard Husson : Regardez l’histoire de la « clause du grand-père ». L’état de droit est normalement fondé sur la non rétro-activité des lois. Qu’y a-t-il de plus normal, si l’on veut respecter le contrat social que de dire qu’on ne change pas les règles du jeu pour ceux qui sont déjà en cours de carrière? En réalité, nos gouvernants, qui sont incapables de bien gérer l’Etat, cherchent des expédients de tous les côtés. Ils sont donc prêts à toutes les mesures confiscatoires, aux bouleversements des règles pour gagner un peu de temps, éviter des dérapages encore plus visibles de la dette globale du pays. La gabegie au sein de l’Etat est énorme: a-t-on quantifié l’ubuesque numérisation des services publics, les centaines de milliers d’heures facturées par les cabinets de conseil pour mettre en place un système différent par ministère et qui est, sauf exception, très difficile d’usage pour le citoyen? Sait-on ce que nous coûte chaque année la perte impressionnante du sens de l’autorité au sein de l’Etat: toutes ces mesures décidées qui ne sont pas appliquées; toutes les désobéissances passives de l’administration, qui suit sa logique bureaucratique contre les décisions politiques? Sait-on ce que coûte l’immigration incontrôlée au système de santé, au système éducatif? Calcule-t-on la perte de valeur que représente l’insécurité croissante dans l’ensemble du pays? 

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