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Le régime iranien confronté à une double contestation
©STR / AFP

A l'intérieur comme à l’extérieur

Une révolte liée au prix du carburant se déroule actuellement en Iran. Depuis vendredi soir, le pays connait une vague de contestations violentes face à l'annonce du gouvernement d'augmenter fortement le prix à la pompe.

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico.fr : Un an après le soulèvement des Gilets jaunes en France, une autre révolte liée au prix du carburant est actuellement en cours en Iran. Depuis vendredi soir, le pays est parcouru de contestations violentes face à l'annonce du Gouvernement d'augmenter fortement le prix à la pompe.

En quoi le Gouvernement Iranien se trouve-t-il dans une situation compliquée à l'intérieur et à l'extérieur avec ce qui se passe en Irak ? 

Ardavan Amir-Aslani : Ces manifestations et ces critiques à l'égard du régime surviennent dans un moment où le gouvernement de Hassan Rohani est déjà considérablement affaibli et décrédibilisé par la situation économique de l'Iran. Depuis le retrait des Etats-Unis de l'accord de Vienne le 8 mai 2018, et l'application de nouvelles sanctions économiques, le pays va très mal et se trouve en récession pour la deuxième année consécutive. Depuis la fin des dérogations américaines accordées à huit pays pour importer du brut iranien, les exportations d'hydrocarbures ont chuté de moitié. Selon les prévisions du FMI, le PIB iranien devrait se contracter de 9,5% en 2019, du jamais vu depuis 1984, quand l'Iran était en guerre contre l'Irak. L'inflation a déjà dépassé les 40% et le rial, la monnaie iranienne, a perdu 60% de sa valeur par rapport au dollar. Les Iraniens vivent de plus en plus difficilement, dans la crainte des pénuries de denrées alimentaires et pharmaceutiques. On peut facilement comprendre qu'un peuple soit démoralisé et fasse porter, avec raison, la responsabilité de cette situation sur son gouvernement. 

Ces manifestations font évidemment écho à celles que connaissent l'Irak, mais aussi le Liban, depuis plusieurs semaines. Toutes trois ont effectivement plusieurs points communs : un ras-le-bol économique mais aussi social, une envie de changement face à des régimes corrompus, et une détestation de la République islamique et de sa politique, tant intérieure qu'étrangère.

Au-delà des revendications liées au pouvoir d’achat, pourquoi l’Iran-il est contestée à l'intérieur et à l’extérieur de son territoire?

Sur la scène intérieure, les revendications des manifestants sont invariablement les mêmes depuis les débuts de la République islamique : l'envie d'une société plus libre, plus juste, plus ouverte sur le monde. Ce sont les principes mêmes du régime - qui est une théocratie - qui sont contestés. 

C'est aussi l'échec de Rohani qui est critiqué. Rappelons que le président est un réformateur, qui a été élu sur la promesse de faire de l'Iran un pays « fréquentable », tant sur le plan économique que politique. La qualité de vie des Iraniens allait notamment bénéficier des retombées de l'accord de Vienne, enfin signé le 14 juillet 2015. Le cabinet de conseil international McKinsey prévoyait alors 1000 milliards de dollars d'investissements en Iran sur 20 ans. Or, cet accord mort-né n'a jamais apporté les dividendes escomptés. Plus de quatre ans après sa signature, un des signataires – les Etats-Unis - s'en est retiré unilatéralement, tandis que les autres – à savoir les Européens – ont eu toutes les peines du monde à trouver une solution pour le maintenir. La menace des sanctions américaines a fait fuir tous les grands groupes, comme Total, Vinci, PSA et d'autres, qui avaient promis d'investir massivement en Iran. Aucune banque internationale n'a plus souhaité se porter garante pour financer de grands projets. Rohani a failli à sa promesse, et c'est bien ce que les Iraniens lui reprochent.

Les critiques qui viennent du Liban et de l'Irak s'attaquent avant tout à l'influence iranienne dans ces pays. Pour se défendre contre un voisin avec lequel il a été en guerre durant huit ans, et pour assurer sa présence au Proche-Orient, l'Iran a effectivement beaucoup misé sur l'Irak et le Liban, pays qui comptent de fortes communautés chiites. Pour autant, même les chiites irakiens et libanais aujourd'hui se retournent contre Téhéran. Les peuples veulent être indépendants, l'ingérence n'est plus tolérée. Les Etats-Unis l'ont d'ailleurs appris à leurs dépends. 

Quelle est sa situation économique, pour justifier de telles sanctions à son égard de la part des Etats-Unis ? 

Ce n'est pas en ce sens que la question doit être posée. C'est précisément parce que les Etats-Unis imposent des sanctions à l'Iran, depuis leur retrait unilatéral de l'accord de Vienne le 8 mai 2018, que le pays se trouve aujourd'hui en récession économique. Donald Trump avait alors rétabli l'intégralité des sanctions économiques qui avaient été levées avec la signature de l'accord en 2015, et en avait annoncé de plus sévères encore. Le président américain, poussé par les « faucons » de son administration - John Bolton avant son éviction et Mike Pompeo notamment – voulait obtenir un changement de régime en Iran. Pour ce faire, il a opté pour l'asphyxie économique. 

Trump a effectivement mis l'Iran en grande difficulté, mais pour autant la République islamique est encore debout. Le président américain, avec sa stratégie de la « pression maximale », ne s'attendait sans doute pas à ce que l'Iran réponde par la « résistance maximale », dans un vaste élan fédérateur de défense nationale. La stratégie iranienne, que l'on pourrait qualifier « d'équilibriste », a reposé depuis plus d'un an et demi sur l'alternance entre actions belliqueuses dans le Golfe Persique, aggravations des tensions avec les Etats-Unis et leurs alliés, notamment saoudiens, et appels à la diplomatie, pour que les Européens œuvrent en faveur d'une sortie de crise. Longtemps, le régime l'a jugée efficace. Mais cette tactique est problématique pour les Iraniens, car elle mise sur le temps long et l'espoir de l'élection d'un nouveau président aux Etats-Unis. Et dans l'attente, elle fait peser l'essentiel des efforts sur la population iranienne. Or, celle-ci n'en peut plus depuis longtemps déjà. C'est bien ce qu'elle exprime aujourd'hui dans les rues. 

Alors que les élections législatives sont dans trois mois, dans quelle mesure l'Iran est-il réformable ?

C'est une question légitime, que l'on se pose dès que les Iraniens manifestent. C'est un peuple jeune, 70% de la population a moins de 40 ans. Ils demandent avant tout une vie décente, une vision d'avenir pour leurs enfants. Or, aujourd'hui, de quoi est fait leur quotidien ? De récession, de coupures régulières d'électricité, une crise de l'eau et des sécheresses de plus en plus préoccupantes. De nombreux Iraniens envisagent l'exil. Depuis samedi, ils scandent dans les rues leur rejet de la République islamique. Tant que celle-ci leur permettait de vivre à peu près correctement, à défaut de libres, ils pouvaient prendre leur mal en patience, espérer qu'un jour le régime s'assouplirait. Mais aujourd'hui, ils supportent d'autant moins sa rigidité qu'il a largement donné la preuve de son inefficacité face à la détresse économique. 

Et quelle est la réponse du régime face à ces sujets ? Une surdité totale. Le fait que le gouvernement ait coupé les accès à Internet depuis samedi traduit non seulement une incompréhension des revendications des manifestants, mais aussi une véritable panique. L'Iran connaît régulièrement de tels mouvements de contestation. Mais ceux qui ont démarré samedi ont pris presque immédiatement une dimension nationale. C'est un très grand danger pour le régime. Car même si les Iraniens sont fatigués après 40 ans de guerre, de sanctions et d'insécurité, ils sont poussés aujourd'hui par l'énergie du désespoir et la tentation très forte du « dégagisme ». 

Pour autant, l'Iran est-il réformable, surtout en une si courte période ? C'est peu probable. La nature même de la République islamique ne changera pas du jour au lendemain. Aux élections législatives voteront surtout ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, et ceux-là ne sont pas dans la rue. En outre, le régime est divisé depuis longtemps, entre réformateurs qui ont donné la preuve de leur inefficacité, et les conservateurs qui n'attendent qu'une chose : reprendre le pouvoir. Le véritable risque serait de voir les factions les plus dures du régime, par exemple les Gardiens de la Révolution, prendre le pouvoir et remettre le pays en ordre, fusse-ce par la force. 

Propos recueillis par Aliénor Barrière

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