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Un virage libéral sauvera-t-il la France d'Emmanuel Macron ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Salin publie "Le vrai Libéralisme: Droite et gauche unies dans l'erreur" (éditions Odile Jacob). Il dresse un constat implacable : gauche et droite ont mené, peu ou prou, la même politique, imprégnée du même idéal collectiviste et égalitaire. Pascal Salin explique les fondamentaux de la théorie libérale, dont il montre la force insoupçonnée. Extrait 1/2.

Pascal Salin

Pascal Salin

Pascal Salin est Professeur émérite à l'Université Paris - Dauphine. Il est docteur et agrégé de sciences économiques, licencié de sociologie et lauréat de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

Ses ouvrages les plus récents sont  La tyrannie fiscale (2014), Concurrence et liberté des échanges (2014), Competition, Coordination and Diversity – From the Firm to Economic Integration (Edward Elgar, 2015).

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Il y a quelque chose de désespérant dans la situation française, l’impossibilité pour les Français de sortir d’une situation de stagnation économique et de chômage élevé depuis des décennies. Les Français sont ainsi victimes des mauvaises politiques économiques qui ont été adoptées dans le passé et qui ont été inspirées par les idées dominantes. Mais ces idées sont radicalement fausses, de telle sorte que l’on peut dire que le problème français est fondamentalement un problème intellectuel. Il ne faut alors pas trop s’étonner si les politiciens de droite et de gauche ont toujours défendu à peu près les mêmes idées et mis en œuvre à peu près les mêmes politiques (destructrices). Incapables de rechercher des analyses satisfaisantes de la situation économique et de les défendre avec conviction, ils préfèrent être le reflet des idées dominantes. Certes ils prétendent faire toutes sortes de réformes pour restaurer la prospérité, ils prétendent même pratiquer une rupture avec le passé, mais en réalité ils se contentent d’un bricolage où de petites réformes ont essentiellement pour but d’accorder quelques privilèges à certaines catégories d’électeurs. Peut-on cependant avoir des raisons de penser que des changements radicaux et positifs sont en train de prendre place ? 

Malheureusement, comme cela a été le cas dans le passé, on appelle « réformes » des petits changements qui mériteraient plutôt d’être appelées « réformettes », et par ailleurs une réformette dans une direction est fréquemment accompagnée, « en même temps », d’une réformette dans l’autre direction, ce qui en annule plus ou moins les effets. La France a terriblement besoin d’une grande réforme des prélèvements obligatoires qui impliquerait, entre autres, une forte diminution ou même la suppression de la progressivité de l’impôt sur le revenu, la suppression totale de l’ISF (et, éventuellement, des droits de succession et de l’impôt sur les plus-values), mais aussi la suppression du monopole de la Sécurité sociale et la substitution des retraites par capitalisation aux retraites par répartition. Or qu’avons-nous vu ? On supprime l’ISF sur les actifs financiers – ce qui est souhaitable – mais non sur les actifs immobiliers, on supprime la taxe d’habitation, mais pas pour tout le monde, et on augmentera probablement un impôt comme la taxe foncière en compensation ; on diminue les cotisations sociales des salariés, mais on augmente la CSG. Il est certain que l’on ne peut attendre aucune conséquence positive de ces réformettes qui sont par ailleurs créatrices de nouvelles inégalités. 

La déréglementation constitue l’autre volet des réformes indispensables que l’on doit souhaiter si l’on veut que les Français retrouvent la prospérité et la liberté. Certes certaines réformes récentes ou certains projets de réforme vont dans la bonne direction. Il en est ainsi, en particulier, de la réforme du droit du travail. Mais la manie française de la réglementation – qui limite la liberté de décision et la responsabilité des Français – est encore bien à l’œuvre. Parmi les exemples récents on peut citer la limitation du travail des bénévoles dans les spectacles, la limitation de la vitesse sur les routes à 80 km/h, ou encore la décision concernant la fixation des prix de vente des supermarchés, impliquant par exemple de définir – ce qui est en réalité impossible – des « prix abusivement bas », etc. Toutes les réglementations nouvelles impliquent nécessairement des contrôles coûteux et elles rendent impossible cette diminution des dépenses publiques si souvent invoquée et si absolument nécessaire. 

En ce qui concerne l’Europe, Emmanuel Macron prétend, comme ses prédécesseurs, « renforcer l’Europe » en exportant au niveau de l’Union européenne l’interventionnisme étatique si caractéristique du « modèle français ». C’est ainsi qu’il souhaite la création d’un « gouvernement économique » de la zone euro. Dans la plus pure et la plus destructrice tradition keynésienne, il demande que la zone euro soit dotée d’un important budget susceptible de pratiquer des (prétendues) politiques de relance, qui auraient en fait surtout pour conséquence d’augmenter les dépenses publiques en Europe (et donc en France). Et son désir de voir se réaliser la « convergence sociale et fiscale » en Europe est aussi une manifestation de cette volonté persistante  d’exporter le « modèle français » dont les excès de fiscalité et de réglementations sont à l’origine de la stagnation économique française. 

Il est donc certain qu’on ne peut pas attendre de miracle de ce bricolage dans presque tous les domaines et il faut bien reconnaître que le grand espoir d’un véritable changement de politique économique que l’on pouvait avoir avant la dernière élection présidentielle, à la fin de l’effrayant quinquennat de François Hollande, s’est évanoui. Certes, on peut toujours espérer que la nécessité de ce grand changement soit enfin reconnue un jour et qu’il soit mis en œuvre, éventuellement au cours du présent quinquennat. Mais un autre souci apparaît alors : si ce grand changement n’est pas mis en œuvre au cours de l’actuel quinquennat, le sera-t-il par le successeur éventuel d’Emmanuel Macron ? On peut malheureusement en douter quand on voit l’extrême timidité des propositions faites par Les Républicains et même parfois leur méfiance à l’égard du capitalisme et à l’égard de la liberté des échanges. Oui, vraiment, le problème français est un problème intellectuel, mais quand et comment se fera la révolution culturelle ?

Pourquoi les réformes fiscales  d’Emmanuel Macron  tiennent plutôt du bricolage

Les gouvernements français ont souvent prétendu faire des réformes fiscales au cours des décennies passées. Or ces réformes – qu’il conviendrait plutôt d’appeler des « réformettes » – ont généralement consisté à modifier légèrement l’assiette ou le taux d’un impôt, à créer ou à supprimer un petit impôt. Malheureusement la véritable réforme fiscale dont la France aurait tellement besoin n’a jamais été faite. 

Emmanuel Macron et son gouvernement s’inscrivent dans la lignée des pratiques précédentes et il est caractéristique qu’ils reprennent des vieux projets sans importance. Tel est le cas du prélèvement à la source. Il s’agit là d’une réforme administrative non seulement inutile, mais nuisible. Elle transforme une fois de plus les employeurs en agents du fisc et elle leur impose des charges administratives supplémentaires, ce qui peut éventuellement contribuer à décourager d’entreprendre, d’embaucher et d’investir. Or, au lieu d’instaurer ce prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, il aurait été bien préférable de supprimer tous les prélèvements à la source des cotisations sociales. Si les salariés devaient payer eux-mêmes ces cotisations qui les concernent, ils auraient davantage conscience de ce que leur coûtent les monopoles publics dans le domaine des assurances dites sociales et ils seraient plus responsables. Au demeurant on peut se demander s’il ne serait pas justifié d’introduire la concurrence dans ce domaine car la concurrence incite toujours à trouver les solutions pour satisfaire au mieux les besoins individuels. C’est par ailleurs dans ce domaine que l’on trouve une illustration frappante des méthodes utilisées dans les réformes actuelles : comme on le sait, il a été décidé de diminuer les cotisations sociales des salariés et en contrepartie on a augmenté la CSG. Or une telle réformette est particulièrement injuste puisqu’elle consiste à faire payer le financement de dépenses dont les salariés sont bénéficiaires par un ensemble de contribuables beaucoup plus vaste. Prenons ainsi le cas de deux salariés ayant les mêmes revenus et bénéficiant évidemment des mêmes assurances « sociales ». Si l’un d’eux fait l’effort d’épargner pour accumuler du capital il devra probablement payer la CSG sur les revenus de son capital sans bénéficier d’assurances supplémentaires (par exemple pour son capital !). Et bien entendu cette augmentation de la CSG contribue à détruire les incitations productives des contribuables. 

La suppression de la taxe d’habitation constitue l’une des principales mesures de la politique fiscale d’Emmanuel Macron. Or cette suppression est inégalitaire puisqu’elle ne concerne pas les titulaires des revenus les plus élevés (pour le moment tout au moins) et les propriétaires de résidences secondaires. On peut considérer par ailleurs que cette taxe constitue l’un des impôts les plus justifiés car elle correspond au paiement par les habitants d’une commune des services dont ils bénéficient concrètement (on pourrait l’interpréter comme l’équivalent des charges communes dans une copropriété). Pourquoi alors la supprimer ? Il semble que cela corresponde à un préjugé fréquent : pour relancer l’économie on prétend – suivant en cela les préceptes de la théorie keynésienne – qu’il faut accroître la consommation, donc augmenter le pouvoir d’achat des citoyens, en particulier des titulaires de revenus faibles ou moyens. Or il est totalement faux de penser que les problèmes de la France peuvent être surmontés grâce à une augmentation de la demande globale et plus particulièrement de la consommation. La croissance résulte des efforts d’épargne et d’investissement – et non de la consommation – et surtout des incitations productives (largement détruites par les excès de réglementations et de fiscalité). Cette réforme de la taxe d’habitation prouve donc bien que les décisions fiscales de l’actuel gouvernement ne reposent pas sur une analyse rigoureuse des effets de la fiscalité sur les incitations productives, mais sur des préjugés keynésiens, alors que la théorie keynésienne est la plus critiquable et la plus dangereuse des théories économiques. Par ailleurs, ainsi qu’on le constate déjà, les communes sont évidemment incitées à compenser ces pertes de ressources par l’augmentation d’autres impôts (par exemple la taxe foncière). Et au lieu que l’État décide ainsi unilatéralement de diminuer les ressources des communes, il aurait été préférable qu’il leur rende le droit de décider elles-mêmes la structure et les taux de leur fiscalité. 

Si, en instaurant le prélèvement à la source, Emmanuel Macron reprenait une proposition faite par François Hollande, c’est à une réformette de Nicolas Sarkozy qu’il se rattache en préconisant la détaxation des heures supplémentaires. Certes cette mesure correspond à l’idée qu’il faut dédommager les individus de leurs efforts de travail supplémentaires, ce qui justifie précisément le fait que les heures supplémentaires soient payées davantage. Mais cette mesure introduit une nouvelle inégalité : si un entrepreneur ou un travailleur indépendant augmentent la durée de leur travail et obtiennent ainsi un supplément de revenu, ils en sont punis par la progressivité de l’impôt sur le revenu. Il vaudrait donc beaucoup mieux réduire ou supprimer cette progressivité plutôt que d’exonérer de cotisations sociales les heures supplémentaires des seuls salariés. 

Emmanuel Macron a eu raison de supprimer l’ISF, mais il a eu tort de maintenir cet impôt sur le capital pour les biens immobiliers, ce qui est également nuisible pour tout le monde car les biens immobiliers sont un élément essentiel de la vie. Mais, en ce qui concerne la taxation du capital, il y a une autre réforme qui serait justifiée, c’est la suppression des droits de succession. Les droits de succession doivent être considérés comme immoraux. Ils consistent en effet à porter gravement atteinte aux droits de propriété. En effet, il serait légitime que celui qui a fait l’effort d’accumuler un capital durant sa vie puisse en transférer la propriété à ceux qu’il choisit, qu’il s’agisse de membres de sa famille ou d’associations artistiques ou charitables. Comme toujours, ce qui est immoral est nuisible. En effet l’existence de droits de succession incite à restreindre l’accumulation de capital et également à s’exiler. Elle porte par ailleurs atteinte aux traditions familiales françaises. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les gouvernements de beaucoup de pays ont pris conscience des effets néfastes des droits de succession et ont décidé de les supprimer. C’est par exemple le cas de la Suède, que l’on a longtemps considérée comme un modèle de social-démocratie. Sur les trente-cinq pays de l’OCDE, quinze ont supprimé les droits de succession depuis 2000. Mais la France maintient le taux marginal sur les successions en ligne directe le plus élevé de l’Union européenne. 

Il existe aussi un impôt peu visible (et d’ailleurs non voté par le Parlement), à savoir ce qu’on peut appeler l’« impôt d’inflation ». L’inflation permet à un État de diminuer la charge réelle de son endettement, aux dépens, bien sûr, de ses créanciers qui sont donc des contribuables cachés. Mais le gouvernement actuel l’utilise explicitement comme un instrument fiscal puisqu’il a décidé de ne pas indexer les retraites sur l’inflation, ce qui devrait pouvoir être condamné par le système judiciaire. 

Il y aurait par ailleurs des réformes fondamentales de la fiscalité qui changeraient profondément et positivement la situation de la société française. Une priorité devrait être donnée à la diminution de la progressivité de l’impôt sur le revenu ou même à sa suppression totale. En effet on peut considérer que la progressivité introduit des distinctions arbitraires entre contribuables et qu’elle est moralement injustifiée. Elle revient à punir ceux qui sont les plus productifs, les plus innovateurs, les plus courageux et, en les incitant à réduire leurs activités ou même à s’exiler, elle est nuisible pour toute la population française. Bien sûr, si une telle réforme était adoptée on dirait certainement que cela constitue un « cadeau fait aux riches ». Mais la vérité impliquerait de dire plutôt que l’État français supprime ainsi une injustice nuisible (ce qui n’a rien à voir avec un « cadeau »). 

Bien d’autres réformettes fiscales pourraient être évoquées, mais il convient enfin de souligner un autre aspect important de ces problèmes. On peut en effet considérer que la capacité d’un gouvernement à diminuer profondément la pression fiscale, en particulier celle qui concerne les impôts les plus injustes et les plus nuisibles, constitue un critère indiscutable du caractère libéral des politiques menées par ce gouvernement. Or on a présenté Emmanuel Macron comme un politicien libéral avant même son élection et, curieusement, on continue souvent à lui donner cette étiquette, alors que sa politique fiscale – ainsi d’ailleurs que la plupart de ses autres politiques – atteste du contraire de manière évidente. Il conviendra alors de ne pas attribuer à son prétendu libéralisme l’échec de ses politiques, comme on l’a malheureusement trop souvent fait dans le passé.

Extrait du livre de Pascal Salin, "Le vrai Libéralisme: droite et gauche unies dans l'erreur", publié chez Odile Jacob. 

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