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Emmanuel Macron, combattant sans arme de la paix, de la prospérité et de la puissance européennes
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Forum de Paris sur la paix

Dans le cadre du Forum sur la Paix qui se déroule à Paris, Emmanuel Macron a rappelé que le multilatéralisme était essentiel mais qu'il était aujourd'hui profondément et dangereusement menacé par l'unilatéralisme et par l'émergence d'un bilatéralisme sino-américain.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico.fr : Quelques jours après avoir donné une interview dans The Economist sur ce sujet, Emmanuel Macron a à nouveau mis l'accent hier, au Forum sur la Paix qui se tient à Paris, sur le fait que le système de sécurité international était en crise. Mais ses appels n'ont pour l'instant que peu d'écho parmi la communauté internationale. 

Emmanuel Macron a notamment rappelé que le multilatéralisme était essentiel mais qu'il était aujourd'hui profondément et dangereusement menacé par d'un côté, l'unilatéralisme, d'un autre côté par l'émergence d'un bilatéralisme sino-américain sur d'autres questions. Dans quelle mesure son analyse est-elle justifiée ? 

Christophe Bouillaud : L’analyse d’Emmanuel Macron lors de ce Forum correspond largement à une analyse plutôt standard de l’état présent des relations internationales. Il est en effet difficile de ne pas voir une montée de l’unilatéralisme de la part de certains acteurs majeurs. En particulier, comment ne pas lui donner raison, alors même que les Etats-Unis de Donald Trump mettent ces jours-ci à exécution leur menace de sortir des Accords de Paris (2015) sur le climat dans un an exactement (4 novembre 2020) ? Or, s’il y a bien un point où le multilatéralisme constitue une question de vie ou de mort pour nos existences d’êtres humains sous toutes les latitudes, sous tous les régimes politiques, c’est bien la lutte contre le réchauffement climatique. Les Accords de Paris ne sont certes pas parfaits et sans doute ne règlent rien en eux-mêmes s’ils ne sont pas suivis ensuite de décisions nationales fortes, mais ils constituent au moins la reconnaissance par tous les pays signataires qu’il y a là vraiment un problème de la plus grande urgence à régler par la communauté internationale. Le très récent appel des 11000 scientifiques à ce sujet, qui, au vu du consensus scientifique, demande aux politiques de tous les pays d’agir maintenant vite et fort, ne fait que renforcer de ce point de vue cette nécessité du multilatéralisme. Par ailleurs, sur le plan des relations commerciales entre pays, l’OMC (qui est la suite du GATT de 1947) n’arrive plus à avancer, alors que se multiplient les accords commerciaux bilatéraux (comme le récent CETA entre l’UE et le Canada par exemple). Pour prendre un autre exemple, qui renvoie directement à l’interview d’Emmanuel Macron dans The Economist, l’attitude de la Turquie d’Erdogan dans le nord de la Syrie n’est pas très loin d’avoir complètement mis l’OTAN en crise : comment accepter qu’un des pays de l’Alliance atlantique poursuive des buts de politique intérieure (l’éradication du PKK et de ses alliés syriens) au prix d’une mise en danger de l’objectif suprême de cette même Alliance que devrait être la lutte contre le terrorisme de Daesh ? On pourrait multiplier les exemples : il y a bel et bien une crise du multilatéralisme, même si bien sûr, comme le notent les spécialistes des relations internationales,énormément de choses continuent tout de même à fonctionner dans notre monde de 2019 sur un tel mode sans même que nous y pensions (comme les voyages internationaux en avion ou Internet).  

Par ailleurs, autant qu’on puisse le savoir, les négociations commerciales sino-américaines ne prennent en compte que les seuls intérêts des Etats-Unis et de la Chine en négligeant totalement les aspects de leurs choix respectifs qui pourraient léser d’autres pays. Cette négociation ne prend pas non plus en compte tous ces aspects de changement climatique, et pour cause, les Etats-Unis de Donald Trump ne veulent pas en entendre parler. La Chine, qui elle ne nie pas les acquis de la science, n’entend pas se battre sur ce point précis. 

Peu de dirigeants européens semblent avoir, depuis la semaine dernière, suivi le Président de la République sur ces questions : comment expliquer cet isolement ?

De fait, les grands pays européens subissent pendant cet automne 2019 pour beaucoup d’entre eux des crises politiques : l’Espagne sort des secondes élections anticipées de l’année qui ne règlent pas grand-chose a priori, mais propulsent l’extrême-droite à la troisième place des forces politiques ; le Royaume-Uni est désormais en pleine campagne électorale – la plus décisive sans doute de son histoire récente -, avec un Premier Ministre qui y joue son sort en enfer ou au paradis; même si elle a échappé à des élections anticipées cet automne, l’Italie est en crise politique larvée depuis des semaines ; quant à l’Allemagne, l’avancée de l’AfD aux récentes élections régionales de Thuringe interroge le pays sur la réussite ou l’échec de sa réunification de 1990. Tout le monde semble avoir ses problèmes de gouvernabilité, sauf quelques pays comme …la Hongrie, le Portugal ou la Pologne. Parmi les grands pays, il n’y a bien dans le fond qu’en France, qu’un chef de l’Etat jouit encore de par la Constitution de la Vème République et grâce à la règle électorale du scrutin majoritaire à deux tours d’une telle stabilité permettant de consacrer une part de son énergie à des grands projets de réorganisation de l’ordre international et de l’Union européenne. L’existence même de ce Forum sur la paix, qui a été créé à l’occasion du centenaire de la fin de la Première guerre mondiale, témoigne de cet investissement de notre Président, de cette projection dans une visée de sécurité collective – à la manière d’ailleurs d’un De Gaulle dans les années 1960, d’un VGE dans les années 1970, ou d’un Mitterrand dans les années 1980.

Les Gilets jaunes célébreront le 17 novembre leur premier anniversaire. A l'heure où des manifestations du même type semblent avoir lieu dans d'autres pays, Emmanuel Macron n'a-t-il pas un problème de crédibilité extérieure pour refonder les principes d'une sécurité collective ? 

Oui, probablement, cela joue-t-il un peu à son détriment. En effet, à écouter son discours d’ouverture lors du Forum de cette année, l’auditeur ne pourra manquer de trouver notre Président quelque peu contradictoire. En effet, très classiquement, reprenant un discours qui pourrait être celui des instances onusiennes elles-mêmes, il plaide si j’ose m’exprimer ainsi pour une « mondialisation à visage humain », pour un multilatéralisme « inclusif » qui profiterait à tous, y compris bien sûr aux plus pauvres, pour une lutte résolue contre le réchauffement climatique, en résumé pour construire les bases économiques et sociales de la paix dans le monde – ce qui est une très vieille idée à dire vrai, datant au moins de la fin de la Première guerre mondiale. Or, d’un point de vue français, on ne peut pas dire que sa première partie de quinquennat ait été marqué par la paix sociale, la croissance « inclusive », ou  la prise en compte des enjeux climatiques. Son action, ressemblant plus à du Margaret Thatcher qu’à du Tony Blair, a même réussi à inventer un mouvement social inédit, les Gilets jaunes, mouvement qui risque de donner du travail à quelques générations de politistes, sociologues, historiens pour démêler ce qui s’est passé depuis novembre 2018. En plus, cette lutte des Gilets jaunes, surtout à cause de ses manifestations parisiennes filmées sous tous les angles, a été médiatisée dans le monde entier, et, visiblement à suivre l’actualité internationale ces jours-ci, le gilet jaune est devenu un symbole de révolte dans beaucoup de pays.Du coup, de ce point de vue, Emmanuel Macron peut être vu comme le dirigeant tellement peu à l’écoute des besoins de son peuple qu’il a presque réussi l’exploit impensable pour un dirigeant d’une vieille démocratie libérale d’être renversé par une révolte d’un type inédit. Il serait donc en bien meilleure posture internationale si le début de son quinquennat était marqué par un amour partagé de son propre peuple à son égard. 

Inversement,  pour parler uniquement crédibilité, Emmanuel Macron peut du coup parler à ses pairs dirigeants d’expérience : la mondialisation ne fonctionne plus pour un peuple comme les Français. Il n’en est pas lui-même directement responsable, comme il le dit parfois dans ses discours, mais il sait qu’il doit trouver les solutions aux malaises des Français, non pas seulement en France même, mais dans une remise « en marche » de l’ordre international. Cette vision peut correspondre à l’insistance de Macron sur le développement de l’Afrique. C’est dire en quelque sorte que si ce continent devient la source d’une migration massive vers l’Europe et donc la France, les Français ne l’accepteront pas et basculeront alors dans l’unilatéralisme le plus radical. En sauvant le monde, il entend surtout sauver la douce France de ses propres dérives.

Emmanuel Macron a par ailleurs expliqué que l'Europe devait jouer le rôle de "tiers de confiance" dans la relation entre Chine et Etats-Unis. A-t-elle les moyens des ambitions du Président ? 

Reprenant finalement une ligne très gaullienne, Emmanuel Macron souhaite que l’Union européenne prenne son indépendance morale vis—à-vis des Etats-Unis. Or, même si les Etats-Unis de Donald Trump se conduisent de manière à bien faire comprendre leur peu de fiabilité en matière d’alliances, il reste que beaucoup de pays européens ne sont pas prêts du tout à accepter pleinement cette idée. Je pense en particulier à la Pologne. Les autorités de ce pays seraient fort marries si finalement les Etats-Unis les laissaient vraiment tomber. En tout cas, pour la plupart des dirigeants européens, la période Trump apparaît sans doute encore comme des errements sans lendemain. Il est sûr qu’il est difficile de se convaincre que l’Empire américain va vraiment se retirer d’Europe sans y être contraint… 

Pour ce qui est de l’idée de « tiers de confiance », je vois mal ce que cela peut signifier. Peut-être cette expression de « tiers de confiance » peut-elle vouloir dire que les Américains ne doivent plus compter sur les Européens pour les appuyer en toute circonstance face aux Chinois – une sorte de menace voilée à l’égard des Etats-Unis. En même temps, toute l’affaire iranienne montre que, lorsque les Etats-Unis veulent sanctionner un pays, les Européens suivent de facto. Il est vrai que le marché chinois est un bien plus grand enjeu. 

De toute façon, si les Etats-Unis veulent garder une suprématie militaire et technologique que la Chine veut vraiment la leur disputer, l’Europe aussi puissante soit-elle ne pourra pas empêcher la montée aux extrêmes des deux protagonistes, et la recherche d’un équilibre – bien sûr souhaitable, plutôt qu’un conflit ouvert - passera d’abord par des discussions sino-américaines. C’est bien ici que les relations américano-soviétiques, entre les deux Grands de la Guerre Froide, ont fonctionné. Il faut laisser les médiations aux petits pays neutres comme la Suisse. 

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