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Emmanuel Macron et Valeurs Actuelles : petites confidences (inutiles) entre pas vraiment amis
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Confidences du chef de l'Etat

Un double biais affaiblit le constat par ailleurs lucide effectué par le président de la République sur l’état des tensions communautaristes en France.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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En se confiant à Valeurs Actuelles, Emmanuel Macron poursuit sa stratégie de l’évitement du sujet de l’islam politique et du défi qu’il représente pour la République, en dehors même de tout aspect lié au terrorisme. Emmanuel Macron fait l’autruche en considérant qu’il pourra échapper à un grand discours sur la laïcité, le communautarisme et le modèle politique renouvelé qui aurait vocation à être le nôtre pour garantir demain ce vivre-ensemble qui se délite de plus en plus (assimilation, intégration, multiculturalisme... ?). Le modèle d’assimilation est en effet très bousculé par la nouvelle réalité ethnique et culturelle du pays. Mais oublier cette référence et réduire les débats à des considérations techniques sur la rapidité de traitement des demandes d’asile ou l’aide médicale accordée aux étrangers rend les tensions actuelles incompréhensibles. 

Le en-même-temps du Président de la République n’est en effet tenable qu’en découpant ses propos et en choisissant ses interlocuteurs puisqu’il se fait alternativement partisan de l’ultra fermeté face à la menace de l’hydre islamiste et de la dénonciation -mal calibrée- de la stigmatisation des musulmans. Assurer l’égalité républicaine et la sécurité des Français musulmans est évidemment son affaire. Mais pas en entretenant une forme de confusion entre ce qui relève d’une allergie caractérisée et irrationnelle aux musulmans et ce qui relève de la défense -même contestable sur la forme ou sur le fond- du modèle républicain, de la laïcité et du vivre-ensemble. 

Sur le fond, les confidences d’Emmanuel Macron à Valeurs Actuelles montrent qu’il perçoit évidemment l’enjeu et son côté explosif. Mais deux travers font perdre beaucoup de sa puissance aux réflexions qu’il expose. Fidèle à lui-même, Emmanuel Macron pense d’une part que la France pourrait échapper au tragique de l’histoire puisque selon lui, l’enjeu n’a rien de véritablement civilisationnel et  que le problème est simplement économique dans la mesure où la machine à intégrer les nouveaux venus économiquement et socialement est grippée. D’autre part, il réduit le discours politique qu’il lui appartient de tenir à son équation politique personnelle : entretenir un duel largement artificiel entre lui, posant en champion du progressisme et le Rassemblement national.

La France doit pourtant se confronter aux réalités qui sont désormais les siennes et aux défis qui en découlent. 

Tout d’abord, on a subtilement menti aux Français sur les chiffres de l’immigration. Et notamment sur les chiffres concernant la part de la population française qui est désormais d’origine arabo-musulmane. La réalité d’aujourd’hui, c’est que -sans céder au fantasme d’un grand remplacement qui serait organisé délibérément dans l’ombre par on ne sait trop qui- le visage de la société française a radicalement changé. Comme l’a montré Jérôme Fourquet dans L’Archipel français, en 2016, les enfants portant un prénom arabo-musulman représentaient près d’une naissance sur cinq (18%). Il assure par ailleurs que les musulmans seraient  3 à 4 millions en France. 

Les vagues d’immigration précédentes étaient différentes : une part non négligeable des Italiens ou des Espagnols venus en France sont repartis, ceux qui sont restés sont devenus des Français comme les autres sans prétentions culturelle, religieuse ou politique par ailleurs. Et le flux s’est rapidement tari. En ce qui concerne, l’immigration en provenance d’Afrique du Nord ou d’Afrique sub-sahélienne, les flux ne se tarissent pas et on ne voit pas ce qui pourrait les amener à le faire rapidement. 

Que cela leur plaise ou non, les Français n’ont pas d’autre choix que d’accepter que la France n’est plus celle d’hier et avaler la pilule amère de ce qu’on leur a imposé sans les consulter voire en dépit de ce qu’ils exprimaient. Malgré des résultats électoraux indiquant de manière récurrente une demande des Français (y compris d’origine étrangère bien souvent) de contrôler les flux migratoires et les critères d’acquisition de la nationalité, la thèse officielle de l’intelligentsia demeure celle d’une France de 65 millions d’habitants tout de même bien capable d’accepter et assimiler sa juste part de la misère mondiale en acceptant quelques centaines de milliers de nouveaux venus chaque année. La même antienne a été utilisée pour les migrants au moment de la crise syrienne : comment un continent de 512 millions d’habitants pourrait-il ne pas accueillir quelques millions de nouveaux venus ? Le raisonnement des « grands accueillants » se focalise systématiquement sur les flux en prenant grand soin d’oublier les effets de « stock ». Tout en se concentrant sur une lecture très matérialiste de la situation puisque les migrants sont présentés comme les bras qui manquent à nos économies et le sang neuf qui pallie les taux de natalité défaillants de notre si vieille Europe.

Tout à l’évitement de la dimension historique, démographique et culturelle de leur intégration, les migrants sont perçus comme nécessairement ouverts, bienveillants et progressistes (puisque victimes de la barbarie). Ou dans un autre registre, comme nécessairement prêts à accepter ad vitam aeternam ces emplois pénibles dont les Européens ne voudraient plus. 

Le droit d’asile et les situations humanitaires doivent évidemment être prises en compte et gérées avec détermination par l’Union européenne qui perdrait son âme à ne pas le faire, néanmoins c’est aller bien vite en besogne que d’oublier que parmi les flux de migrants de la crise de 2015-2016, un nombre important n’étaient pas des réfugiés humanitaires. Il est néanmoins des réalités que les grands moralistes ne veulent pas connaître. 

Exemple intéressant de ce point de vue d’ailleurs : le cas de la Pologne. Les données Eurostat montrent qu’en 2018, elle est l’Etat membre de l’Union qui a délivré le plus de permis de séjour à des ressortissants non européens. Cela ne l’empêche pas de passer pour un pays fermé, mauvais élève qui trahirait les valeurs européennes. Certes la Pologne privilégie Ukrainiens ou Biélorusses. La « misère » économique ou politique des ressortissants de l’ex Union soviétique vaudrait-elle moins que celle celle de migrants africains ou venus du Moyen-Orient ? 

Pour en revenir à la France, elle est devenue multiculturelle. Cela pourrait n’être qu’une réalité sociologique de fait, reflétant la diversité des origines de ses habitants. C’est devenu une réalité politique puisque dans le même temps, le multiculturalisme comme modèle politique s’est substitué à celui de l’assimilation ou de l’intégration. 

Comme l’expliquait très bien Anne Rosencher de l’Express dans C dans l’air cette semaine, les musulmanes voilées de France  -quels que soient les projets pour elles des Frères musulmans et autres Salafistes- ne veulent pour la plupart pas vivre comme à Riyad. Mais comme à Londres. Dans un modèle de société multiculturelle. 

Et la France qui a toujours globalement rejeté ce modèle du multiculturalisme ne sait plus quoi leur opposer puisqu’elle est dans le flou total sur son propre modèle. 

Et d’autant plus dans le flou que sa volonté d’assimilation et son ouverture étaient sincères. Les Français pensent que le modèle républicain permet à des étrangers de devenir pleinement français. Les Britanniques acceptent le voile et le multiculturalisme car au fond d’eux ils croient impossible qu’un étranger devienne véritablement britannique. Même trader, même Européen. Ils ne mesurent donc pas chaque jour comme nous le décalage entre une aspiration et le réel...

Les élites intellectuelles ont ainsi largement contribué à jeter aux orties le modèle traditionnel de l’assimilation car cela supposait de continuer à croire en la France et à la figure du Français républicain idéal. La déconstruction chère aux penseurs des années 60/70, l’examen de conscience historique (nécessaire) transformé en  culpabilisation mémorielle obsessionnelle et virant à la haine de soi ont littéralement dissous le modèle du citoyen idéal laissant au vestiaire ses particularités identitaires ou confessionnelles pour intervenir dans le débat public. Sans cette référence, pas d’assimilation possible pourtant. Quelles valeurs assimiler s’il n’y a plus de valeurs ?  

L’essor des luttes intersectionnelles contre tous les piliers de notre société sensés être générateurs de discriminations a achevé l’entreprise de démolition de cette République modèle puisque les principes républicains ont été traités au mieux comme une fiction non effective dans le réel, au pire comme le faux nez d’un racisme systémique. L’homme blanc est devenu le coupable. 

Malgré les meilleurs efforts de nombre de combattants du modèle républicain, il est peu probable que nous parvenions à réanimer le modèle de l’assimilation. La nouvelle réalité démographique du pays (même si nous sommes loin de la submersion fantasmée par certains), l’archipellisation de  la société française très bien démontrée par Jérôme Fourquet et la crise du sens qui fragilise notre démocratie le rend inopérant de facto. Comme plusieurs enquêtes d’opinion réalisée par l’Ifop pour Atlantico, les Français ne croient d’ailleurs plus aux discours sur la laïcité ni sur les valeurs de la République. Pas parce qu’ils les rejettent en soi mais parce qu’ils constatent le décalage criant entre les mots et la réalité.  

Comme le constate Emmanuel Macron, la France a un problème spécifique avec son immigration d’origine musulmane en raison de son passé colonial. Mais la digestion de ce passé ne fait pas tout. On le dit et le répète, l’islam est à la fois religion et principe ordonnateur de la vie civile. Le nouveau président tunisien l’exprimait très bien en expliquant au lendemain de son élection qu’il ne voyait pas l’utilité de mener des débats politiques sur l’égalité hommes femmes ou sur les droits des homosexuels puisque le Coran règle déjà ces aspects là. Il pourrait bien sûr en aller différemment mais l’islam n’a ni clergé qui puisse faire bouger les choses avec autorité, ni tradition de l’interprétation du texte sacré qui se substituerait à sa simple lecture littérale. Le tragique de l’histoire se joue aussi là-dessus. La prospérité du pays et des quartiers populaires pourrait certainement atténuer les tensions communautaristes. La demande de sens à laquelle répond l’islam n’en existerait pas moins. 

Face à cet islam politique, la laïcité est elle-même un concept éminemment chrétien qui peine à prendre en compte la spécificité de religions fondées sur l’observance alors que le christianisme est plutôt construit sur la sincérité de la foi intérieure. Comme l’explique très bien Rémi Brague, l’islam –ou le judaïsme- sont des orthopraxies là où le christianisme est une orthodoxie. 

Dès lors, il convient de ne pas céder à la pensée magique... 

Le progressisme et la victoire dans les urnes contre le RN en 2022 ou après ne feront pas disparaître les enjeux. Dans un autre registre, interdire le voile lors de sorties scolaires produirait probablement à peu près les mêmes effets sur les défis que pose l’islam politique à la République que le blocage du Châtelet par Extinction Rébellion sur le sauvetage de la planète. Malheureusement, la gadgétisation des débats (à l’image de celui sur le voile en sortie scolaire) fonctionne le plus souvent comme un ersatz à la réflexion et à l’action face à l’ampleur des défis posés par l’islam politique ET par la crise du sens qui fragilise les démocraties occidentales. 

Islam politique et crise du sens en Occident sont en effet indissociables. Le voile dans son incarnation actuelle est certes le produit d’une culture religieuse traditionnelle et d’un projet politique islamiste mais il est aussi une réalité éminemment française. 

Nous n’avons toujours pas digéré intellectuellement le choc de civilisation de 1939-45 qui nous a fait douter de notre histoire, factuelle comme intellectuelle en l’analysant par le prisme exclusif du bien et du mal et comme si nous étions les seuls à être touchés par le mal. Le doute sur nous-mêmes, sur la confusion parfois opérée entre universel et occidental (voire français) et sur les dérives possibles de l’esprit des Lumières (telles que l’histoire du 20e siècle les a mises en évidence) est sain. A condition de ne pas nous y noyer. 

Pas de démocratie sans fondements civilisationnels stables et assumés. Pas de résistance à une idéologie conquérante qui ne connaît pas le doute sans être capable de maîtriser celui qui nous habite. Pas de débats constructifs et non hystérisés sans une réflexion globale. 

Les stratèges de l’islam politique ont compris nos failles identitaires, spirituelles et politiques et les instrumentalisent à merveille, entre victimisation, exploitation des échecs de l’Etat providence et cadre rigoureux offert à des orphelins de systèmes de pensée. Ils ont également parfaitement intégrés nos codes de communication politique voire marketing comme le montre le succès commercial du halal, arme majeure dans l’endoctrinement mis en œuvre par les islamistes. En outre, une foule d’idiots utiles ayant besoin de se rassurer sur leur supériorité morale aident ces islamistes en niant la résilience et l’ouverture globale de Français accusés de tous les maux malgré une réalité qui dément le plus souvent les descriptions apocalyptiques faites d’eux. Il suffit pour s’en convaincre de consulter le détail des attaques dites islamophobes dans le pays. Elles sont à la fois numériquement très limitées, en baisse et nettement inférieures aux violences subies par les juifs lorsqu’on les ramène au nombre de personnes concernées. 

Nous ne combattrons ni le #communautarisme ni l’#islamisme en refusant de voir que les racines du mal sont aussi chez nous. Et les confidences somme toutes assez « techniques » d’Emmanuel Macron sur le sujet dans Valeurs Actuelles ne vont pas beaucoup nous y aider. 

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