Exil fiscal : la vague actuelle de départs a-t-elle vraiment à voir avec l'arrivée de François Hollande au pouvoir ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Ceux qui partent ont l’habitude de payer des impôts forts depuis longtemps et n’en meurent pas."
"Ceux qui partent ont l’habitude de payer des impôts forts depuis longtemps et n’en meurent pas."
©Flickr / SylvainP

Nouveau départ

Aujourd’hui, le profil de l’exilé fiscal est radicalement différent. Plus qu'un "fuyard", on pourrait désormais le considérer comme un "libéré fiscal". Et les cabinets d'avocats fiscalistes ne désemplissent pas...

François Tripet

François Tripet

François Tripet est avocat fiscaliste.

Avocat au Barreau de Paris depuis 1978, il est essentiellement un " patrimonialiste international " qui, avec son équipe, apporte son concours et son assistance à plus d'un millier de familles réparties sur les cinq continents.

François Tripet est l'auteur de l'ouvrage de réference "Droit Fiscal Francais et Trusts patrimoniaux Anglo-saxons " ( LITEC, 1989 )

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Parler des « exilés » fiscaux, c’est en fait choisir un terme qui stigmatise au mieux un « fuyard » au pire un « banni ». L’idée la plus répandue est que l’exilé fiscal cherche un havre étranger où il est peu ou pas imposé, ce qui laisse supposer qu’il ne l’était pas davantage en France, pays qui serait devenue soudainement hostile.

Ce cliché est évidemment totalement faux. Ceux qui partent ont l’habitude de payer des impôts forts depuis longtemps et n e s'en émeuvent pas.

En Mai 1981, la peur a pu pousser quelques personnes vers l’étranger pour des raisons d’analyse idéologique superficielle, mais l’exode fut finalement très limité.

Aujourd’hui, le profil de l’exilé fiscal est radicalement différent. Il ne part pas parce que Hollande arrive. Tout initié sait, du reste, que la taxation à 75% n’est qu’un épouvantail politicien qui sera  probablement censuré par le Conseil constitutionnel. Il part parce qu’il a acquis la conviction depuis 2010/2011 que les Francais non vertueux ont vécu au dessus de leurs moyens pendant 35 ans et que lui, Français vertueux qui a vécu en dessous de ses moyens et a épargné, est désormais en première ligne pour payer l’addition de tous les autres. Aucune animosité idéologique, juste un calcul froid et lucide. Même si Sarkozy (qui voulait taxer par le passeport !) avait gagné, la plupart des candidats à l’exil seraient partis. 

Les cabinets d’avocats spécialisés ont accueilli nombre de « candidats au départ » entre septembre 2010 et septembre 2011, souvent pour évaluer les avantages comparés de telle ou telle solution. Cette période est aujourd’hui dépassée : ceux qui reviennent, en nombre impressionnant, le font pour  passer à l’acte. Les cabinets correspondants à l’étranger les reçoivent sans désemparer. On a même vu des notaires genevois travailler le samedi, ce qui est assez remarquable.

Les exilés sont de tous âges et de toutes origines de fortune : des  quadras qui ont gagné de l’argent en France ou à l’étranger au moment du boom numérique  ou boursier, des grands patrons qui veulent consacrer toutes leurs forces à leur entreprise sans avoir à se préoccuper de savoir si leur rémunération sera jugée normale ou anormale par des médias plutôt orientés, des héritiers qui ont à cœur de préserver ce qu’ils ont reçu pour le transmettre aux générations suivantes, des créateurs qui n’en peuvent plus d’une réglementation étouffante et surtout, fait absolument nouveau, de  très nombreux jeunes actuellement sans fortune, mais qui savent être engagés dans des activités ou des niches qui feront demain leur fortune et qui n'ont aucune intention de combler le "trou" public français.

Les exilés vont vers les principales destinations suivantes :

  • La Grande Bretagne : elle taxe en fonction de ce que le contribuable entend rapatrier effectivement au Royaume Uni, notamment pour financer son train de vie . l'addition peut etre lourde mais elle est totalement volontaire ;

  • La Belgique parce qu’elle est a beau être sévère dans la taxation des revenus de l’année,  elle  laisse en paix l’épargne des années précédentes ;

  • La Suisse parce qu’elle est respectueuse des héritages ;

  • La Russie parce qu’elle est trop jeune pour avoir eu le temps de taxer tout ce qui bouge et se contente d’être tout simplement raisonnable ;

  • Le Portugal et le Maroc parce qu’ils ont compris qu’ils récoltent par la dépense d’autant plus d’argent qu’ils sont moins gourmands.

En définitive, le puissant mouvement qui est en train de se dessiner sous nos yeux, bien loin d’illustrer la théorie du « fuyard », consacre une catégorie conquérante : le « libéré fiscal » !  

Bien entendu, cette situation n'est pas du tout du goût de Bercy qui n'a pas pour tradition de laisser filer la matière imposable sans réagir.

La réplique de Bercy est multiple :

  • Tout d'abord, une emprise mentale incontestable sur un nombre croissant de Médias. Nombre de journalistes complaisants ou se découvrant une âme de justicier, multiplient les émissions ou les articles sur la fraude et l'évasion fiscale. C'est devenu un sujet "tendance". l'objectif est d'entretenir un climat de stigmatisation de certaines catégories de contribuables, afin d'apaiser des foules qui, la plupart du temps, ne paient aucun impôt ;

  • Ensuite, une emprise remarquable sur tout le secteur banque-finance-assurance. Sous le prétexte de lutter contre la vraie criminalité, Bercy a mis en place, en à peine 15 ans, un formidable réseau de dénonciations massives de tous mouvements financiers en vue de detecter des comportements d'évasion. L'objectif est de créer un climat permanent de culpabilisation des centaines de millers de salariés du secteur bancaire et financier de façon à susciter des comportements automatiques d'auto censure ;

  • De troisième part, un arsenal législatif visant à rendre techniquement plus complexe un départ à l'étranger (loi du 29 Juillet 2011 sur les trusts, reinstauration de l'Exit Tax pour frapper les plus values potentielles des entrepreneurs candidats au départ, requalification des stock-options en salaires imposables, etc.) ;

  • Enfin, à travers l'OCDE et l'union Européenne, un renforcement de la coopération internationale pour affaiblir le secret bancaire, déstabiliser les paradis fiscaux et multiplier les clauses d'échanges de renseignements.


Nul n'ose le dire, mais cette offensive (qui mobilise les meilleurs inspecteurs qui auraient pu etre deployés vers des taches plus essentielles comme, par exemple, la fraude de TVA carrousel qui porte sur des dizaines de milliards) est souvent brouillonne et d'une efficacité limitée.

Pour ne prendre que deux exemples, assez symptomatiques, la Directive épargne de 2003 croyait avoir trouvé la solution pour faire plier le Liechtenstein accusé d'abriter des centaines de milliards : l'affaire s'est soldée par la récupération de quelques centaines de milliers d'euros !  L'activité de dénonciation du secteur banque-finance-assurance qui mobilise des centaines de milliers d'heures sans valeur ajoutée, se traduit chaque année par 25 000 déclarations de soupçons dont TRACFIN n'en retient que quelques centaines pour examen.

La France se vante de porter des coups fatals à 40 paradis fiscaux. Elle oublie que les deux principaux paradis fiscaux de la planète sont les États-Unis et la Chine ! Il est facile de terroriser Jersey ou les Cayman, mais nul n'ose s'attaquer aux deux principales puissances de la planète . Cherchez l'erreur !

Enfin et surtout la traque des évadés fiscaux, pour être efficace, suppose la réunion de trois éléments : des voisins coopératifs, un droit "malléable", des tribunaux et des avocats à la botte.

Or, à peine le spectre de la crise est ressenti comme contrôlable chez les Anglais et les Allemands, qu'ils s'empressent d'oublier l'union sacrée contre l'évasion fiscale et jouent outrageusement leur partie en solitaire. Du côté des tribunaux et du respect du Droit, la récente condamnation du Gouvernement français pour avoir utilisé des fichiers volés d'HSBC Genève, en dit long sur l'indépendance et la compétence de nos magistrats que le monde entier nous envie. Quant aux avocats, ils se battent pied à pied depuis 15 ans pour préserver leur indépendance et le secret professionnel avec l'appui signalé de nos Cours Suprêmes.

En définitive, le temps est loin où, dans les années 1970, Gérard Nicoud et le CID-UNATI plaidaient la cause des martyrisés du Fisc auprès d'une opinion publique acquise à leur cause. Aujourd'hui, la cohorte des libérés fiscaux a beau susciter la colère de Bercy et la réprobation de nombre de Médias, elle tend à devenir, à juste titre, un sujet croissant d'angoisse pour le vaste peuple des non contribuables de France. 

Et si l'avenir de notre pays se passait maintenant de l'autre coté de la frontière ?

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