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Pour comprendre l’après Carlos Ghosn, l’affaire qui a terrassé l’année 2019 dans le monde des entreprises
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Atlantico Business

Cet été sur Atlantico, Jean-Marc Sylvestre retrace la saga des grandes marques françaises. De leur naissance à leurs mutations forcées, ce sont des histoires d’hommes et de femmes, de rencontres, de trahisons mais surtout de succès.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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Aujourd’hui, Renault. Imaginez une vieille dame ayant réussi à occuper la scène politique, économique, sociale, industrielle, depuis plus d’un siècle, et qui, à plus de 100 ans aujourd’hui, affronte les vainqueurs de la révolution digitale, avec une direction plus que chamboulée au cours des derniers mois.

Ça aurait pu être le scénario d’un film. Un patron, à la tête du 1er groupe automobile mondial, suspecté de malversations financières. Et tout le monde aurait été berné, mais cela reste encore à prouver. Beaucoup ont été choqués par ces événements, parce que Renault, c'est beaucoup plus qu'un constructeur automobile. C’est devenu un drapeau, un symbole. C’est un morceau de la France. 

L’histoire de Renault est incroyable. C’est la plus passionnante de toutes les histoires d’entreprises françaises. Renault a survécu à trois républiques, à deux guerres mondiales, ses voitures ont roulé dans le monde entier. Renault a épuisé une kyrielle de patrons, ingénieurs ou fonctionnaires, Renault a bousculé des syndicats tout puissants et des gouvernements trop présents. Mais, entre les luttes ouvrières et les compromis historiques, Renault a aussi écrit les principaux chapitres du modèle social français. Les dates qui jalonnent l’histoire de Renault se confondent avec les grandes dates de l’Histoire de France. 1914, 1929, 1936. 1940, l’Occupation, 1958, la Ve République, le Général de Gaulle, mai 1968. On peut dire qu’en 100 ans d’histoire, Renault a tout connu. La petite concurrence des débuts à l’engrenage de la guerre et la sanction de l’après-guerre, un assassinat de PDG et donc un patron suspecté de fraude arrêté à sortie d’avion par des Japonais peu scrupuleux des droits de l’accusé

Une entreprise qui a réussi à occuper le devant de la scène, politique, sociale, industrielle de ce pays pendant plus d’un siècle. 

Renault s'est donné l’ambition et les moyens de devenir le premier constructeur mondial de voitures électriques. Pour se faire, Carlos Ghosn avait fait rentrer ce groupe dans le club très fermé des constructeurs à plus de 10 millions de voitures par an, grâce à cinq marques principales : Renault, Dacia, Nissan, Samsung Motors et Mitsubishi, il atteint les 10 millions de véhicules vendus, l'alliance s’assure une présence dans plus 200 pays.. Mais l’ambitieux de cet audacieux personnage, c’était de devenir le numéro un mondial de la voiture autonome et connectée, celle qui se conduirait toute seule... celle dont rêvent en secret les dirigeants de Google. 

Mais les Japonais étaient nos alliés incontournables et aujourd’hui, il manque un pilier à l’Alliance. 

Tout a commencé dans une cabane de jardin.

Au départ de cette histoire, il y a un jeune garçon : Louis Renault, né en 1877, Napoléon 3 venait de mourir. Ses parents se sont enrichis dans le commerce du textile. La famille habite à Paris dans les quartiers riches et possède aussi une propriété à Boulogne-Billancourt. Boulogne à l’époque, c’est la campagne chic et chère. Louis Renault a deux frères, Marcel et Fernand.

Au lycée Condorcet qu’il fréquente mais en dilettante, il croise un garçon qu’il retrouvera plus tard, un garçon plus travailleur que luiet qui s’appelle André Citroën. Louis Renault n’y prête aucune attention. Ce qui le passionne lui, c’est la mécanique. Dès qu'il a un moment, il sèche le lycée et s’enferme dans une cabane qui est au fond de la propriété de Boulogne.

A 20 ans, Louis Renault a réussi à bricoler le tricycle De-Dion-Bouton que son père a acheté. Il va transformer ce tricycle en voiturette, il va donc y installer 4 roues, un volant et un truc nouveau, il va l’équiper d’un système de transmission directe pour remplacer les courroies et les chaines. Il pense que le rendement sera meilleur. Amusé par tant d’ingéniosité, un ami de son père veut essayer l’engin du coté de Montmartre, là où il habite. On est le 24 décembre 1898. Ce soir-là, Louis Renault et son passager vont tenter de grimper la rue Lepic avec cet engin. Ils y parviennent une fois, puis deux, puis trois. A 50 km/h. C’est tellement extraordinaire que tout Paris se précipite pour voir la voiturette.

Et ce soir-là, Louis Renault va donc prendre 12 commandes fermes. En février 1899, deux mois après l'exploit de la rue Lepic, il fonde avec ses deux frères la société Renault Frères à Boulogne Billancourt.

A deux pas de l’ancienne cabane du jardin. Ces premières automobiles sont vendues très chères, aussi chères que le prix d’une Ferrari. Environ 3 000 francs de l’époque ça représenterait aujourd’hui entre 150 et 200 000 euros. Le jeune Louis Renault n’en revient pas d’avoir autant de succès. Avec son frère Marcel, ils deviennent, le dimanche, pilotes de course. La première course automobile qu’ils vont gagner est aussi la plus célèbre de l’époque. Paris-Trouville, un an tout juste après la rue Lepic en 1899. Mais un jour, Marcel son frère ainé se tue en voiture.

Louis se consacre au développement industriel et commercial l’entreprise. Pour élargir le marché, il faudrait pouvoir baisser le prix des voitures. Il faudrait donc allonger les séries. 

A partir de 1906, Renault va s’engager sur tous les appels d’offre lancés par les compagnies de cochers. Les taxis envahissent le paysage urbain. Ce sont ces mêmes taxis qui seront réquisitionnés avec leur chauffeur pour transporter les troupes françaises sur le front de la Marne au début de la guerre 14. 

En 1913, à la demande du gouvernement, de Clemenceau lui-même, il se met à fabriquer des armes, munitions et des moteurs d’avions militaires. Plus tard, il livrera le fameux char d’assaut, les Renault FT-17, des chars très légers et très rapides, les chars qui donneront la victoire à la France contre les Allemands.

Louis Renault va sortir de la guerre 1914-18 en héros. Il est considéré comme l’empereur de l’automobile, mais la concurrence se fait rude. Car André Citroën a fait son chemin, Polytechnique, puis un atelier installé quai de Javel en face ou presque de Boulogne Billancourt. 

Pour Louis Renault ce qui est insupportable, c’est que les voitures « Citroën » sont devenues à la mode, à Paris. En 1925, André a un coup de génie. Il loue la tour Eiffel avec le droit d’utiliser une fois par semaine, la face nord pour y inscrire son nom en lettres lumineuses. Le premier jour, la presse du monde entier va relayer cet évènement. Le nom de Citroën éclaire ainsi le ciel de Paris tous les dimanche soirs à la nuit tombante. Louis Renault est vert de rage. Pendant dix ans, Louis Renault qui habite en face du Trocadéro, verra le dimanche soir en se couchant, le nom de son adversaire scintiller. Insupportable.

Il lance alors la bataille de l’usine, la plus importante et la plus moderne de France sur l’Ile Seguin. En 1929, elle compte jusqu’à 20 000 salariés. 

Il jubile, Louis Renault. A la fin de la visite, André Citroën n’en peut plus. Humilié, vexé, lui qui est devenu polytechnicien, industriel courtisé, il va commettre une erreur qui lui sera sans doute fatale : il décide de lancer la construction d’une usine encore plus grande, encore plus à l’avant-garde que celle de Renault. Et en plus, il la construit sur les terrains de Javel de l’autre côté de la Seine avec un bureau au dernier étage qui devait lui permettra de surveiller celui de Renault.

Les usines, c’est aussi synonyme de luttes sociales. Lors des grandes grèves de 1936, les 20 000 salariés de Renault sont à la pointe du combat. Louis Renault cède aux exigences syndicales, appuyées par le gouvernement du Front populaire. Les conquêtes sociales sont très importantes mais la rupture avec le patronat est profonde. Louis Renault a été injurié, menacé, il ne digère pas cette négociation. Renault a pourtant retrouvé une position de leader mais la guerre approche. Il le sait. Louis Renault n’en est pas partisan. Il refuse de participer à l’effort de guerre qui a pourtant fait sa fortune en 1914. Il défend au contraire une entente franco-allemande pour éviter un conflit armé.

En 1939, le chancelier Hitler passe devant le stand Renault et vient serrer la main de Louis Renault. Des photos seront prises. Louis Renault ne se rend pas bien compte de ce qui se prépare, il avait déjà rencontré le chancelier pour parler voiture. Sauf qu’en 1940 quand la France est occupée par les allemands, les usines Renault sont réquisitionnées. En 1944, le 1e octobre, Louis Renault est arrêté comme collaborateur et il est enfermé à Fresnes.

Christiane Renault, sa femme, viendra le visiter chaque jour du 3 au 10 octobre. Le lendemain elle ne pourra plus l’approcher. Son mari est malade lui dit-on, il a été transporté à l’hôpital St Jean de Dieu. Une infirmière témoignera que le 20 octobre, elle a découvert des ecchymoses à la nuque. Louis Renault a le teint très pale, les yeux hagards, il bafouille et il demande, « Et l’usine ? l’usine ? » A deux reprises. Ce sont ses derniers mots. On apprendra que Louis Renault est mort le 24 octobre 1944, à 67 ans.

Est-il mort dans la maladie qui l’affectait ? A-t-il été assassiné pour éviter un procès qui aurait pu gêner beaucoup de monde à Paris ? Toujours est-il que sa disparition et son rôle exact pendant l’Occupation resteront un mystère d’Etat.

L’après-guerre, la purge et la nationalisation. 

A la Libération, la société Renault Frères est devenue la régie nationale des usines Renault. 

Entreprise, administration ? Difficile à dire. Les présidents qui se succèdent vont réussir à tenir la barre. Le Faucheux va se battre pour sortir une voiture populaire. Comme Ford aux Etats Unis, il souhaiterait fabriquer des voitures que ses ouvriers puissent acheter. C’est l’invention de la 4CV, la voiture sort en 1947. Elle est révolutionnaire. Cette propulsion arrière est un petit bijou de technologie et se révèle très amusante à conduire. C’est la voiture de l’après-guerre. Pour des clients jeunes aux moyens modestes. 

Cette 4ch va rouler de 1947 à 1961 et assurer la renaissance de Renault. Elle sera fabriquée à 500.000 exemplaires et roulera en France avant d'être exportée dans le monde entier. Ses rivales sont plus puissantes, la Volkswagen, la Fiat 500, la Morris, la Dina Panhard et seront toutes vendues à 2 millions d’exemplaires.

La vraie concurrente viendra plus tard, c’est la 2CV Citroën. Moins chère, plus simple encore. Mais Renault a d’autres modèles dans ses cartons. Pour succéder à la 4 CV, Renault prépare la 4L. C’est Pierre Dreyfus, lorsqu'il devient président, qui va imposer cette voiture mi-familiale, mi-utilitaire, aussi bonne en campagne qu’en ville. La 4L c’est la voiture à tout faire, c’est la voiture jean’s dit-il.

Dix années plus tard, en 1972, Renault exploite le même filon avec la R5. C'est la voiture de ville qui peut aussi voyager loin. Elle vise surtout la clientèle jeune et originale. Renault récidivera avec la Twingo en 1992, petite voiture au grand succès 

Pierre Dreyfus va rester président de Renault très longtemps, pendant 20 ans. Il est plutôt de gauche mais le Général de Gaulle le maintiendra à la présidence de Renault. Les autorités françaises font visiter Billancourt aux chefs d’Etat étrangers, notamment ceux de l’est. Nikita Khrouchtchev s’y promène comme chez lui. C’est assez incroyable parce qu'on est en pleine guerre froide.

Le comble c’est que Renault, entreprise emblématique est incapable de fournir des voitures présidentielles. La voiture officielle en France, c’est la DS. La DS de Citroën est utilisée par les grands patrons d’entreprise, les ministres et l’Elysée. Et quand le général de Gaulle se rend à l’ile Seguin, il y va en Citroën. Ça fait désordre.

Il faudra attendre François Mitterrand en 1981 pour voir des voitures Renault dans la cour de l’Elysée. Il faut dire que François Mitterrand réussit à convaincre Pierre Dreyfus d’entrer dans le premier gouvernement de gauche. C’est à ce moment-là que les fameuses R25, symboles d’une France qui réussit pour des clients qui ont le pouvoir, deviennent les voitures officielles.

Avec l’estafette en 1959 mais surtout avec l'Espace conçue par Matra, Renault innove vraiment. Avec l’Espace, on peut voyager, manger et dormir. 

Pour produire toute cette gamme, il fallait que les usines tournent. Et pour qu’elles tournent, il fallait de la main d’oeuvre. Or, la France n’a pas cette main d’oeuvre à domicile. La première vague d’immigration maghrébine déferle dans les années 1950 et 60 puis, c'est au tour des italiens et des espagnols à la fin des années 60.

Chez Renault comme chez les autres constructeurs automobiles, cela va représenter plusieurs centaines de milliers d’hommes qui resteront dans la région parisienne. Qu’il faudra loger, puis intégrer. Beaucoup feront venir leur famille, grâce au regroupement familial décidé par Valery Giscard d’Estaing.

Sur l’ile Seguin, l’organisation est très particulière. En fait, il y a trois systèmes juxtaposés. Une organisation technique, classique. Le directeur d’usine, le chef d’atelier, le chef d’équipe, l’ouvrier spécialisé et non qualifié. A côté, il y a une organisation syndicale qui est très puissante, rien ne peut se faire sans l’accord des chefs syndicaux. Enfin, il y a aussi une organisation informelle d’origine maghrébine. Les règlements intérieurs sont écrits en français, traduits en arabe et annoncés en arabe oral. Plus étonnant, il y a des imams affectés aux ateliers et des coins de prières pour que chacun puisse pratiquer.

 Mai 68 aurait dû en toute logique faire sauter l’entreprise. Il s’en est fallu de peu. Les mouvements d’extrême gauche n’ont qu’un objectif, faire la jonction entre la Sorbonne et le monde ouvrier de chez Renault. Les intellectuels comme Jean-Paul Sartre viennent tous les jours haranguer les foules à la sortie des usines de Boulogne. La grève éclate le 15 mai 1968 à l’usine de Cléon puis à Billancourt. Renault est arrêté et occupé par les ouvriers dont beaucoup d’OS immigrés… La CGT et la CFDT réussissent à faire voter la reprise du travail. La classe ouvrière de Renault sort grand vainqueur des évènements de 1968. Les acquis sociaux sont considérables, comme en 1936, la facture sera très lourde pour Renault.

L’agitation est telle autour de l’usine, qu'un jour c’est le drame. Le 25 février 1972, Pierre Overney, militant maoïste, est tué par un vigile privé de Renault. Il a 24 ans. A partir de cette affaire, le groupe Action directe va continuer pendant 14 ans à multiplier les actions de violence et cibler en priorité Renault accusé de « vouloir asphyxier le prolétariat ».

Renault traverse les années 70 en très grande difficulté. George Besse, le président, a pour mission à sauver Renault. Cet ingénieur va élaguer, supprimer des activités, vendre des filiales, externaliser et lancer des plans de licenciements. Le 17 novembre 1986, Action Directe assassine George Besse, en plein Paris dans le 14ème arrondissement.

La situation économique, sociale et morale de la régie Renault devient catastrophique. Raymond Lévy, adjoint de George Besse, prend les commandes et poursuit le plan. Le contexte concurrentiel a changé, les frontières se sont ouvertes et l’Est commence à émerger. Raymond Lévy, comme George Besse, veut rétablir la qualité des voitures. Le client demande zéro défaut et la R25, comme d'autres, est trop souvent en panne. Même l’Elysée s’en plaint.

Pour faire face à tous ces défis et sortir Renault du désastre, Raymond Lévy obtient du gouvernement de négocier une alliance avec un européen. Louis Schweitzer qui travaille déjà à la régie aux côtés de Raymond Lévy, négocie en secret avec Volvo. Côté français, ce qui bloque, c’est la privatisation même partielle. Tout va capoter. L’Etat reste le patron, trop rigide. Volvo jette l’éponge. Mais 30 ans avant, ça rappelle étrangement une autre tentative de fusion avec un italien, cette fois.

Raymond Lévy ferme l’usine de l’Ile Séguin en 1992 et donne le coup d’envoi à la construction du Technocentre, dans les Yvelines. Tout un symbole, d’un coté, il ferme le lieu le plus archaïque pour préparer le lieu le plus moderniste. C’est là que se préparent les nouvelles voitures, les nouvelles technologies du groupe. Plus de 12000 salariés travaillent dans ce centre de recherche hyper-protégé.

La mondialisation avec Schweitzer et Ghosn. 

Louis Schweitzer arrive à la tête de l’entreprise et fait une analyse très simple : Renault est certes une entreprise française très attachante mais n’a aucune position à l’étranger.

Tous les concurrents se préparent au grand saut de la mondialisation. L’Allemagne veut devenir le fournisseur mondial de voitures très haut de gamme avec BMW, Audi et Mercedes. Toyota s’entraine pour être le champion de l’hybride, les américains Chrysler et General Motors restent en Amérique quant à Peugeot, il essaie de digérer Citroën mais la digestion est difficile.

Pour Schweitzer, c'est clair : si Renault ne se mondialise pas, Renault va mourir. A l’époque, c’est assez osé mais son message sera entendu par les cadres syndicaux de la maison. A partir de cette conviction, Louis Schweitzer va faire trois paris stratégiques, ils sont énormes quand on connait un peu l’ADN de la maison.

Le premier pari va être d’imposer la privatisation de Renault au gouvernement. Sortir de ce carcan. Mais, il faut que le gouvernement le soutienne pour que les syndicats acceptent cette révolution.

Le deuxième pari va être d’investir les pays émergents avec la Logan. Son souci est de fabriquer une voiture bon marché. Ses ingénieurs ont du mal à le comprendre jusqu’au jour où il annonce tout de go à RTL, son projet de sortir une voiture correcte, sure, confortable à moins de 6000 dollars (5000 euros). Il n’a prévenu personne. Il a fait son annonce. Une fois rentré au bureau, il dit simplement « débrouillez-vous… »

L’affaire Dacia ne sera pas facile à finaliser surtout qu'au départ ces voitures lowcost sont destinées aux marchés des pays de l'Est. Mais très vite, on dit ici et là que ces voitures pourraient être aussi importées en France pour y être vendues.

Le troisième pari sera de s’allier avec un constructeur asiatique. Seule une marque asiatique lui ouvrira les portes de ces marchés. Mais comme il n’a pas d’argent et qu’aucune des entreprises japonaises solides n’est à vendre, ou alors très cher, il se rabat sur celle qui est quasiment en faillite : Nissan. La chance, c’est aussi d’avoir trouvé l’homme capable de redresser Nissan. Carlos Ghosn.

Nissan est né à Datsun en 1911. C’est la filiale automobile d’un groupe japonais qui fabriquait surtout des engins mécaniques, pour l’industrie et l’agriculture. Mais Nissan est terrassée par Toyota est dans les années 90. Le 31 mars 1999, une alliance est signée entre Nissan en faillite et Renault très récemment privatisée. Renault prend 44% du capital et Carlos Ghosn devient le premier étranger à prendre la direction d’une entreprise japonaise. 

Carlos Ghosn emmène avec lui une petite équipe et s’attelle au redressement de cette entreprise tout en apprenant le japonais. Son plan est simple : opération survie,. Réduction drastique des couts, il va supprimer 21 000 emplois. La presse japonaise ne parle que du "French cost killer". En trois ans, il délivre la promesse en temps et en heure. Carlos Ghosn est béatifié par la presse. L’opinion publique en fait une star. Les mangas s’en emparent. Il devient un personnage de bande dessinée. A Tokyo, Carlos Ghosn est beaucoup plus connu qu’Alain Delon ou Sophie Marceau.

Quand en 2004, il s’agit de préparer un successeur à Louis Schweitzer, le conseil d’administration ne se prend pas la tête : ce sera lui, le sauveur de Nissan. Cet homme a un don.

Tout va bien sauf que Renault reste le maillon faible. Renault a sauvé Nissan mais c’est Nissan qui aujourd'hui apporte la croissance à Renault. Pour le Losange, il faut redéfinir la gamme, revoir le look des voitures et inonder le marché de nouveautés. 

Dès 2006, Carlos Ghosn est à Davos et perçoit les premiers signes d’un effondrement mondial de la conjoncture. En 2007, il est à Aix en Provence et annonce aux économistes médusés qu’il faut se préparer à la plus grande crise économique mondiale depuis la guerre. En 2008, l’industrie automobile mondiale est décimée. Les groupes américains sont en faillite. Les deux groupes français appellent au secours. On ressort la prime à la casse, on pose des béquilles et des perfusions chez les constructeurs et les principaux sous-traitants.

Carlos Ghosn va gérer cette situation de crise qui va durer deux ans. Il utilise au maximum la synergie du groupe, il accélère la mondialisation, il construit une usine low-cost au Maroc afin d’approvisionner l’Afrique du nord en Logan. Mais surtout, il lui faut trouver des marges de compétitivité. 

Carlos Ghosn va tenter dans cette entreprise, qui a quand même été un champ de bataille sociale pendant un siècle, une négociation à la japonaise ou à l’allemande. Il va tenter la culture du compromis, là où ne connaissait que le conflit et le rapport de force. Il obtient un accord de modération salariale en échange d’une protection de l’emploi dans l’hexagone. La CGT nationale ne signe pas, mais les autres syndicats approuvent.

Sortie de la crise, Renault a ensuite rendez-vous avec la modernité, la voiture autonome et connectée, celle qui roulerait toute seule pendant que son conducteur lit le journal ou regarde une série. Carlos Ghosn surveille de près les projets de Google ou Amazon. Et c’est pour peser face à ses géants mondiaux qu’il voulait à tout prix atteindre la taille des 10 millions de véhicules produits à l’année. Avec qui Renault continuera-t-il sa route ? Nissan, qui sombre dans ses plus mauvais résultats depuis l’affaire Carlos Ghosn ? La famille Fiat, qui flaire que le timing est bon pour se rapprocher du Français ? 

Renault appartient à 15% à l’Etat français et on l’a vu pendant l’affaire Ghosn ou la discussion de fusion avec Fiat, l’entreprise est toujours au cœur des préoccupations des Français. Un peu comme l’équipe de France de football, tout le monde a son avis sur Renault.

Cette histoire écrite par Jean Marc Sylvestre a fait l'objet d’un film produit et diffusé par BFM Business en 2014. 

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