Ces cinq erreurs de politiques publiques qui coûtent incomparablement plus cher à la France que quelques dîners au luxe malvenu<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Ces cinq erreurs de politiques publiques qui coûtent incomparablement plus cher à la France que quelques dîners au luxe malvenu
©ludovic MARIN / AFP / POOL

Cherchez l'erreur

Depuis l'élection d'Emmanuel Macron, les dépenses publiques au coût exorbitant et à la rentabilité quasiment nulle se sont multipliées.

François Ecalle

François Ecalle

François Ecalle est ancien rapporteur général du rapport annuel de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques ;  ancien membre du Haut Conseil des finances publiques, Président de FIPECO et fondateur du site www.fipeco.fr sur les finances publiques.

Voir la bio »
Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : Quelles seraient les cinq plus graves erreurs de dépenses publiques à retenir et que révèle chacune d'entre elles quant à la politique économique du gouvernement ?

Mathieu Mucherie : On peut commencer par quelque chose qui n'est pas encore en place : le contrôle des loyers. Le contrôle des loyers n’est pas encore en place, mais on y va tout droit avec Benjamin Griveaux. Cela n'a l'air de rien, mais pour peser sur tout la collectivité, pour attirer les prix immobiliers vers le haut, et pour dégrader l'ensemble de la qualité du marché, c'est l'idéal. Cela a été testé à de nombreuses époques et dans de nombreux pays (comme à New York), et cela a toujours été comme la bombe à neutrons : cela préserve les apparences, mais cela ronge, comme les termites, le marché immobilier. C’est excellent pour détruire de la valeur. Ce premier exemple est toujours sous-estimé : on parle souvent de coûts directs, comme des dépenses qui ne servent rien, mais on oublie les coûts de réglementations mal pensées, pernicieuses, et qui détruisent énormément. Ce qu’il fallait faire, c’était construire. Comme ils ont décidé de ne pas construire, les prix sont partis vers le haut alors que la demande n’était pas spécialement élevée. Répondre par le contrôle des prix à une hausse qu’ils ont eux-mêmes créé par une politique qui consiste à ne surtout pas construire, c’est le cas d’école de ce qu’il ne faut pas faire. Cela renvoie à des erreurs du passé (la période Chirac-Sarkozy-Hollande). Et en plus, cette méthode s’est mise en place avec un discours macronien sur la startup nation, et cela rend cette réglementation encore plus insupportable : on ne peut pas dire qu’on prend Guilluy au sérieux, Piketty au sérieux, et puis dans le même temps avoir une politique immobilière aussi bête.

Le deuxième point, c’est le fond de la politique gouvernementale, ce qu’on pourrait appeler la tuyauterie « budgétaro-fiscale ». On a, avec Macron, le maintien de la stratégie de tous les gouvernements de gauche et droite confondus depuis 1991 : faire semblant de baisser les charges et augmenter des impôts comme la CSG ou la TVA. C’est la stratégie de départ de ce gouvernement, qui n’est pas novatrice. Ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Mais si on n’a pas une politique cohérente sur le salaire minimum (avec des coups de pouce endogènes donnés au SMIC), c’est ce qu’on appelle une usine à gaz. C’est en effet un processus qui n’a pas de fin et qui consiste à déshabiller Paul pour habiller Jacques. Cela a été préparé comme une révolution alors que c’est dans la continuité totale de ce qui se faisait auparavant. Ce n'est pas une catastrophe, mais énormément d’argent est mobilisé pour cela. Les transferts en brut sont importants et mobilisent une énorme partie de l’énergie gouvernementale.

Le troisième élément, je crois qu’on peut le situer du côté de la politique énergétique. Ce n’est pas une spécialité de Macron, parce que cela remonte à loin. L’absence de contrôle d’EDF est quand même gênante. Des gens comme Bruno Le Maire peuvent faire des numéros sur l’EPR et le contrôle de l’EPR, etc. Mais ces gens-là étaient bien placés pour s’en occuper il y a cinq ou dix ans, et ils n’ont rien fait. Ce qui me gêne, c’est qu’il n’y a aucune stratégie, notamment sur le solaire. On fait des éoliennes qui ne sont pas rentables, pas utiles socialement, et qui coûtent très cher. En revanche, sur le solaire, où l’on pourrait faire des choses parce que la rentabilité du solaire est meilleure, il n’y a rien. On laisse Total et EDF faire à leur façon, aux Etats-Unis par exemple, mais en France il n’y a pas de vraie stratégie pour couvrir les bâtiments par des panneaux solaires. Il faudrait structurer une filière. Il faudrait aider fiscalement et budgétairement : on aurait un solar city français, ou deux ou trois. Et là, dans ce domaine particulier, on peut s’organiser pour que dans cinq ans, dans dix ans, et que tout cela soit plus efficient énergétiquement et soit moins cher et plus rentable. Résultat : on sort des véhicules électriques, mais qui ne fonctionneront pas avec le solaire. On est en train de rater la révolution des batteries parce qu’on a des acteurs historiques franco-français, très introduits politiquement (EDF, Peugeot, Total), qui verrouillent le système. Ils ne font pas rien, mais ils ne font pas grand-chose et l’Etat ne se sert pas de ses droits de vote ou de ses pouvoirs dans ces entreprises pour orienter les choses de manière constructive. A part faire des éoliennes pour faire joli, il n’y a aucune vraie stratégie énergétique. Il n’y a pas de substitution avec une véritable ambition sur le solaire.

Quatrième élément : les 80km/h. On a vu cette question uniquement sous l’angle d’un débat « Gilets jaunes » sur la liberté de circuler. Ce n’est pas un mauvais débat, mais ce n’est juste pas le seul. Une dimension du sujet a généralement échappé à tout ce beau monde : réduire la vitesse, cela a un coût pour l’économie. Or on est dans une économie qui fonctionne à flux tendu : zéro délai et zéro stock. Quand vous réduisez la vitesse moyenne sur les routes, vous ralentissez l’économie. Cela entraîne des coûts automatiques en termes de points de PIB.  Le coût économique d’ensemble des 80km/h est facile à calculer. Vous prenez le taux de respect de cette norme et vous appliquez cela à l’ensemble de la flotte, et vous le calculez sur plusieurs années, cela coûte des dizaines de milliards d’euros. Et pourant vous avancez à côté de cela des réformes structurelles qui sont censées faire gagner des dizaines de points de PIB et qui, à chaque fois, sont évidemment fallacieuses, puisque quand on voit le nombre de réformes structurelles en France depuis vingt ans, on devrait avoir le PIB de la Chine. On oublie en fait de comptabiliser les anti-réformes structurelles. Pour différentes raisons, cette mesure a été heureusement peu appliquée : les Français sont fraudeurs, et puis la verbalisation est plus rare parce que certaines personnes ont compris que c’était une erreur. Comment expliquer cela ? Le Premier ministre impose en fait ce type de réglementations des 80km/h sans expérimentations concluantes : ce sont des décisions imposées, avec l’appui d’experts qui ont le même avis que le gouvernement. Il faudrait peut-être demander des contre-expertises avec des gens qui connaissent vraiment le sujet de la sécurité routière ou des spécialistes des transports. Il aurait fallu en tout cas être clair sur le coût économique.

Cinquième élément : les réformes de l’Education nationale. Il fallait certainement faire des réformes, et il y avait visiblement un consensus politique pour dépenser plus. Un seul problème subsiste : si vous voulez faire une maitrise des dépenses publiques, comme le disait Sarkozy, vous êtes obligés de taper dans la dépense d’Education nationale. C’est indispensable parce que c’est un million de fonctionnaires. On a à faire avec des charges de personnel. Vous ne pouvez pas changer les retraites des fonctionnaires, parce que c’est trop sensible, donc vous êtes obligés de taper dans la masse salariale de la fonction publique. Le problème c’est qu’il y a beaucoup de professeurs, mais très mal payés, et payés de manière uniforme, qu’ils soient bons ou pas bons. Il y a un problème dans la structure des incitations. Que faut-il faire ? Si on est dans une problématique de maîtrise budgétaire, il faut faire attention. Si on décide de distribuer massivement de l’argent, il faut faire l’inverse de ce qu’ont fait Pécresse ou Sarkozy : par exemple, si on met de l’argent en plus dans l’université, c’est à condition que certaines règles changent (règles d’avancement dirigés par les syndicats, règles internes de l’université française). C’est ce qu’a refait le gouvernement : remettre de l’argent, mais sans remettre en question la gouvernance. On l’a fait encore une fois de manière assez forfaitaire sans se poser la question des meilleures discriminations ou de quelque chose d’un peu plus incitatif. Au final, on a plus de dépenses. On a tout un tas de mécanismes qui se développent, de quotas un peu pernicieux par exemple.  Il s'agit du prototype d’une politique de gauche menée par un homme de droite, Jean-Michel Blanquer, avec un discours de droite. Etant donné les masses en jeu, une bonne partie de la marge budgétaire du pays, il fallait faire attention : relâcher le cordon de la bourse, peut-être, mais sous conditions de gain de productivité. Il fallait essayer de faire en sorte que les chefs d’établissements soient un peu plus managers (qu’ils aient des carottes et des bâtons) et qu’ils puissent négocier avec les forces en présence. On est allé vers plus d’enseignants, et pas mieux payés. Cela donne un système qui sera encore plus difficile à réformer la fois prochaine.

Pour conclure les cinq points, on a une politique économique du gouvernement qui n’est pas catastrophique budgétairement : les bêtises sont limitées d’un point de vue quantitatif parce qu’il y a les contraintes budgétaires des 3%. Mais on n’a pas profité de la bonne santé relative de l’économie d’une part. D’autre part, il s'agit de réformes en trompe l’œil. Le gouvernement a dégoûté les gens avec des coups de rabot mal placés aux endroits mal placés. Et quand on a dépensé de l’argent, on l’a mal fait. Entre le coût caché de certaines anti-réformes et l'argent déversé sans véritable contrôle, on n’a pas changé de braquet par rapport aux années Sarkozy et Hollande, sauf que Sarkozy avait une ligne de défense, c’était la récession et la vertu contra-cyclique des dépenses publiques supplémentaires, et Hollande n’avait pas une croissance extraordinaire non plus. Là le problème, c’est qu’on a un discours qui est très peu relié aux actes : discours de changement managérial qui n’est pas mis en place dans l’administration ; discours de maîtrise budgétaire, qui dans les faits n’est pas réalisé. J’ai peur que le quinquennat Macron soit perçu comme le furent les années Rocard ou Jospin : deux-trois bonnes années de croissance qu’on n’utilise pas pour faire des réformes utiles. La baisse des taux d’intérêt nous donne des marges qu’on n’utilise pas.

Est-ce qu'on aurait pas pu faire mieux ? On ne se pose pas la question du coût d'opportunité. Il y a des secteurs qui auraient pu être favorisés, des secteurs d'avenir comme le spatial, le solaire, la voiture électrique, et cela n'a pas vraiment été fait. Cela vient se rajouter à tous les problèmes de gaspillages : l'argent qui est une ressource rare n'a pas été bien orienté. 

François Ecalle : Je ne suis pas d’accord avec votre première appréciation de l’action du gouvernement actuel. La croissance en euros constants des dépenses publiques a été quasiment nulle en 2018, ce qui n’était jamais arrivé jusque-là en France, sauf en 2011. Les années suivantes seront certainement très différentes, mais cela tient pour beaucoup aux mesures sociales décidées à la suite de la crise de décembre dernier.

Il a fallu éteindre un incendie social et beaucoup d’autres gouvernement auraient fait pareil mais je pense que ces mesures constituent de graves erreurs de politique économique : annulation de la hausse de la fiscalité énergétique (11,7 Md€), baisse de l’impôt sur le revenu (5,0 Md€), mesures en faveur des heures supplémentaires (2,0 Md€), majoration de la prime d’activité (1,1 Md€) etc. Ces mesures ne sont pas financées et je ne crois pas qu’elles pourraient l’être dans le contexte social et politique actuel. Elles aggraveront le déficit public de 22 Md€ chaque année à partir de 2022. On peut y ajouter la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales (18 Md€), qu’il aurait fallu réformer et non supprimer.

Le Gouvernement fait de la relance budgétaire keynésienne, ce qui a des effets positifs seulement temporaires sur l’activité économique, alors qu’il faudrait réduire le déficit et l’endettement publics dans une vision de long terme. Les taux d’intérêt sont certes très bas aujourd’hui mais aucun économiste ne peut garantir qu’ils le resteront indéfiniment. Lorsqu’il faudra réemprunter à des taux plus élevés pour rembourser nos dettes, ce sera très difficile et il y aura très probablement de nouvelles hausses d’impôts. Cela s’est toujours terminé ainsi en France dans le passé.

Les exemples d’investissements publics totalement inutiles sont certes beaucoup plus choquants : systèmes de paye des agents de l’Etat (0,8 Md€), système d’information sur les ressources humaines de l’éducation nationale (0,3 Md€), infrastructures de paiement de l’écotaxe sur les poids lourds (plus de 1,0 Md€). Il s’agit toutefois d’opérations ponctuelles heureusement peu nombreuses dont le coût est limité au regard des 1 318 Md€ de dépenses publiques annuelles.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !