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Electeurs urbains : pourquoi la France qui va bien est plus inquiète que ne le suggère le tableau des métropoles gagnantes de la mondialisation
©Reuters

Bobos en détresse

Dans une note à la Fondation pour l'innovation politique sur l'électorat urbain, la France des métropoles ne se porte pas si bien que ça. Les électorats urbains sont confrontés à la peur du déclassement.

Nelly Garnier

Nelly Garnier

Nelly Garnier est directrice associée en agence de communication, chez Havas Paris. Elle a coordonné les ateliers de refondation de la droite et du centre en 2017, après les deux défaites électorales des présidentielles et des législatives.

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Atlantico.fr : Vous publiez une note à la Fondation pour l’innovation politique sur l’électorat urbain (« Allô Maman bobo. L’électorat urbain de la gentrification au désenchantement » téléchargeable sur le site : http://www.fondapol.org/). Pour vous, la France censée aller bien, celles des métropoles, du capital culturel et de la créativité ne va pas si bien que ça. Comment êtes-vous parvenue à ce diagnostic ?

Nelly Garnier : Le point de départ de cette note, c’est de prendre le contrepied d’une grille de lecture qui est devenue dominante aujourd’hui et qui présente l’habitant des métropoles comme une élite libérale-libertaire, qui concentrerait tous les capitaux : financiers, sociaux, culturels. Cette élite urbaine, grande gagnante de la mondialisation, serait bien à l’abri dans les métropoles et n’aurait plus aucun point commun avec le reste de la France.

Cette vision de l’habitant des grandes villes a réussi à s’imposer alors même qu’elle contredit la réalité quotidienne de ceux qui habitent dans les métropoles et qui sont d’ailleurs très nombreux à rêver de quitter la ville. Les études d’opinion sont unanimes sur ce point. Un sondage Ipsos de septembre 2017 a ainsi révélé que les deux-tiers des Parisiens envisagent de quitter Paris à court, moyen ou long terme. D’ailleurs beaucoup le font. La capitale a perdu 12 000 habitants par an entre 2011 et 2016. Dans un autre sondage, publié en octobre 2018 et réalisé par l’Ifop, 8 Français sur 10 estiment que vivre à la campagne représente la vie idéale, tandis que seules 19% des personnes interrogées se disent adeptes d’une vie complètement urbaine.

Je me suis donc demandé comment s’était imposée cette vision caricaturale d’un « bobo » déconnecté, adepte de la fête et du velib’, puis j’ai tenté rééquilibrer l’image de l’urbain en décrivant quelques-unes des insécurités auxquelles il est confronté.

Vous dites que des analystes comme Christophe Guilluy ou Jerôme Fourquet ont plaqué des grilles marxistes sur la réalité et que cela les empêche de comprendre une partie de ce qui se joue : faudrait-il parler d’avantagés et de désavantagés plutôt que de dominants ou de dominés ?

Des années 1960 à 2000, les villes ont connu une transformation de leur composition socio-démographique qui a consisté en une évolution de l’équilibre entre catégories socio-professionnelles à l’échelle communale, et ce de manière particulièrement marquée dans certains quartiers anciennement populaires. Le poids des ouvriers et des employés y a fortement diminué, tandis que celui des cadres et professions intellectuelles augmentait. C’est ce qu’on a appelé la gentrification. Analyser la gentrification comme un phénomène qui existe et tend à modifier la composition sociologique des villes est totalement légitime. Considérer que les gentrifieurs sont des dominants qui imposent leur violence de classe est contestable.

D’autres travaux sont venus nuancer cette logique binaire. Mais il s’agissait à chaque fois de montrer qu’il y a des poches de pauvreté en ville ou qu’il y a aussi des phénomènes d’entre-soi dans les banlieues. Dire les difficultés de ceux qui sont dans le haut des indicateurs économiques sur le papier, personne n’a voulu le faire. Pourtant le fait d’être un privilégié ne se mesure pas qu’au niveau de salaire. Quand vous n’arrivez pas à accéder à la propriété, quand la pression au travail s’accroit, quand vous risquez le chômage à 50 ans, quand vous avez peur que vos enfants décrochent à l’école, vous n’êtes pas une élite à proprement parler.

Vous insistez sur la peur du déclassement qui traverse les électorats urbains. Comment se mesure-t-elle ?

Je vais prendre l’exemple de l’évitement scolaire. Cela a été l’un des principaux arguments pour dire que les bobos étaient hypocrites, prônaient l’ouverture en paroles mais pas dans les actes. Mais la question est : est-ce qu’on est face à des populations qui s’enferment dans leurs ghettos dorés ou est-ce qu’on est face à des populations fragilisées, qui ont peur du déclassement pour elle-même ou pour leurs enfants ? Une étude réalisée par la CNAF en 2012 et intitulée « Les enfants et la mixité sociale dans les quartiers gentrifiés à Paris, Londres et San Francisco » montre que les parents qui ont le plus d’appréhension à l’égard de la mixité sociale sont les parents de classe moyenne. Les parents de classe populaire n’ont pas de problème à ce que leurs enfants fréquentent tous les autres enfants. Les parents de classe moyenne supérieure sont suffisamment sûrs de leur capital culturel pour encourager la mixité sociale. Ce sont les parents de la classe moyenne qui vont avoir le plus tendance à mettre en place des logiques de sécurisation.                 

Politiquement, qui représente cette France des métropoles, présentée à la fois comme une gagnante et un moteur de la mondialisation, mais qui ne se sent pourtant pas toujours aussi à l’aise que ça dans le monde actuel ?

Dire que les métropoles étaient acquises à la gauche et qu’elles sont maintenant acquises à La République en Marche est faux. Il y a une diversité du vote urbain. Cependant on peut remarquer quelques traits communs. Généralement, vous avez une concentration du vote urbain sur les partis de gouvernement. Cela a longtemps été au bénéfice du PS et de l’UMP. Aujourd’hui LREM bénéficie de son positionnement très central. A côté de cela, vous avez un vote écologiste important qui est lié à la question de la pollution et un vote pour La France insoumise de ceux que le géographe Jacques Lévy appelle les « paubos », les « pauvres-bohêmes », qui sont des personnes diplômées à faible niveau de revenu. Quant aux municipales, elles ont très souvent été déterminées par la capacité de leaders locaux à appréhender les préoccupations fortes des habitants à un moment donné. C’est comme cela que vous vous retrouvez avec des maires de droite dans des villes qui votent pourtant plutôt à gauche sur des élections nationales.

Qu’est-ce que la droite peut avoir à dire à ces Français des villes qui pour l’instant votent largement pour LREM ?

La droite a longtemps souffert de se sentir en décalage avec l’évolution sociologique des métropoles. Je dirais même, elle s’est longtemps perçue comme plus faible qu’elle n’était réellement dans les faits. Alors les bobos sont devenus une obsession. Il fallait à tout prix trouver un candidat « bobo-compatible » ? Aujourd’hui, il est important que la droite comprenne qu’elle peut convaincre sur ses idées parce qu’elle a l’expérience et la crédibilité pour répondre aux insécurités au sens large des urbains. Ce que demande le bobo de 2020 à la droite, ce n’est pas d’être branchée, c’est de répondre à ses problèmes : l’incivilité dans l’espace public, le harcèlement des femmes dans la rue, les agressions de couples homosexuels, la montée du communautarisme, les difficultés propres aux familles, etc.

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