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Pour continuer à exister, le Libéralisme doit se reconnecter aux classes moyennes
©LUCAS BARIOULET / AFP

(R)évolution

L’épisode de la révolte populaire des Gilets jaunes est venu clore de manière spectaculaire (et extrêmement violente) une année 2018 qui semble avoir été celle d’une nouvelle avancée dans la révolte du "petit peuple" contre ses élites.

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues

Thibault Muzergues est un politologue européen, Directeur des programmes de l’International Republican Institute pour l’Europe et l’Euro-Med, auteur de La Quadrature des classes (2018, Marque belge) et Europe Champ de Bataille (2021, Le Bord de l'Eau). 

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Après une année 2016 marquée par les chocs du Brexit et de l’élection de Donald Trump, 2017 avait au contraire consacré une contre-attaque des « libéraux » européens, avec les défaites sans appel de Marine Le Pen en France et de Geert Wilders au Pays-Bas. Mais les dynamiques sont changeantes, et les triomphes électoraux des populistes en Hongrie, en Italie, au Brésil ainsi que la révolte populaire des gilets jaunes donnent peu de motifs d’espoir aux cercles libéraux (ou progressistes) européens pour 2019, année d’élections européennes. 

Pourtant, le bilan de l’année qui vient de se terminer est plus contrasté. Il faut d’abord prendre les bons marqueurs : le libéralisme ne se résume pas à un combat entre « progressistes » internationalistes et « nationalistes » partisans d’une charité bien ordonnée. En effet, vu sous cet angle,  le débat est déjà terminé : ce n’est pas tant Xi Jinping ou Vladimir Poutine qui ont fait basculer le monde que les leaders des autres démocraties mondiales – Shinzo Abe au Japon, Narendra Modi en Inde ou Donald Trump aux Etats-Unis, qui ont consacré la victoire d’un retour aux réflexes de protection des populations nationales, et l’Union Européenne ferait bien de s’adapter à cette nouvelle donne avant qu’il ne soit trop tard.

Le Libéralisme ne se résume néanmoins pas à cette définition très réductrice : c’est d’abord un concept par lequel l’État de droit se substitute à l’arbitraire pour que celui-ci n’écrase pas l’individu, et où un équilibre existe entre les droits des minorités et la volonté de la majorité. Tel est le sens d’une démocratie libérale, qui s’oppose à un autre concept plus « continental » de « démocratie illibérale », qui prône lui la suprématie d’une majorité souvent fantasmée et du pouvoir sans contraintes légales ou minoritaires. Or, ce débat est encore loin d’être tranché, et les illibéraux ne sont pas si forts que ne le laissent apparaitre les résultats électoraux cités plus haut.

A commencer par Viktor Orbán. Prophète autoproclamé de la démocratie illibérale, ce dernier a certes été triomphalement réélu au printemps 2018, mais il n’a pas réussi à transformer son succès sur la scène européenne : sa tentative de prendre au moins en partie le contrôle du PPE (ou tout du moins de compter ses troupes en vue des européennes de 2019) s’est soldé par une défaite cinglante, et le dirigeant hongrois se retrouve aujourd’hui tellement isolé qu’il a dû abandonner le terme de « démocratie illibérale » dans ses discours, lui substituant la défense des valeurs chrétiennes. Au cours de l’année 2018, Orbán a également perdu, au moins partiellement, des alliés de poids : la Pologne s’est progressivement désolidarisée de la Hongrie cette année, notamment en raison de son flirt de plus en plus ouvert avec Vladimir Poutine. Quant à la Slovénie, l’investissement exceptionnel qu’il avait fait en soutenant ouvertement la candidature de l’ancien Premier Ministre Janez Janša aux élections législatives de mai 2018 n’a pas été rentable, le discours illibéral de Jansa faisant l’unanimité contre lui lors des négociations de coalition malgré une majorité nette dans les urnes, avec à la clé la nomination d’un gouvernement libéral.

Pendant ce temps, de l’autre côté de l’Atlantique, la victoire des Démocrates au Congrès lors des Midterms de Novembre rééquilibre le système américain et va forcer Donald Trump à composer avec des contrepouvoirs forts– signe que la démocratie libérale en Amérique a encore de beaux jours devant elle malgré la polarisation de sa société. On pourrait également se demander si le Brésil ne vivra pas un scénario similaire, alors que le nouveau président devra partager les pouvoirs avec un parlement qui ne lui est en rien acquis et à des gouverneurs également très puissants.

L’illibéralisme est donc loin d’avoir gagné la partie, mais l’incapacité des démocraties libérales à enregistrer des victoires décisives est frappante : la révolte des Gilets jaunes en France, ou la difficulté pour les Suédois à former une coalition sans le soutien de l’extrême-droite montre combien il est très difficile pour les modérés de reprendre l’initiative à long-terme. La raison première en est l’incapacité des libéraux à sortir d’un ghetto urbain certes intellectuellement confortable, mais absolument inadéquat pour assurer la légitimité à moyen-terme de leurs politiques. Dans nos paysages politiques désormais définis par quatre classes sociales - la classe créative, urbaine et progressiste, la classe moyenne « provinciale » plus traditionnelle socialement mais libérale sur les questions économiques, la « nouvelle minorité » ouvrière blanche qui demande que l’Etat s’occupe d’elle (et où l’on retrouve les Gilets jaunes), et une classe de millenials frustrés par l’incapacité de la société à accéder à leurs attente socio-économiques – la première semble vouloir fonctionner en vase clos, tandis que les deux dernières sont en pleine rébellion contre le système car elle s’estiment lésées par les élites, pour des raisons diverses. 

La réinsertion à long-terme des deux classe rebelles (qui implique également qu’on prenne en compte leurs revendications) doit être un objectif prioritaire des gouvernements occidentaux. Mais à court-terme, les élites doivent renouer le lien avec la classe moyenne, qui reste la clé de nos joutes électorales : des Etats-Unis à la Pologne en passant par le Brésil ou l’Italie, c’est bien leur basculement qui a permis aux populistes de l’emporter. Barrington Moore le disait déjà en 1966 : « no bourgeoisie, no democracy ». Sans le soutien de la classe moyenne, le libéralisme est condamné.

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