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Réformer par la liberté pour répondre au défi (et aux attentes des Gilets jaunes)
©LUCAS BARIOULET / AFP

De quoi réfléchir

L'état actuel de la France découle des choix politiques et économiques de nos présidents successifs. Depuis le quinquennat de François Mitterrand, les dépenses publiques se sont multipliées en faveur des Français, notamment en termes de pouvoir d'achat, mais en défaveur de l'essor économique du pays.

Alain Fabre

Alain Fabre

Alain Fabre est Conseil indépendant en Fusions & Acquisitions. Il est aussi expert économique auprès de la Fondation Robert Schuman, de l'Institut de l'Entreprise et du mouvement ETHIC. 

Il a récemment publié Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social?, Institut de l'Entreprise, septembre 2013. 
 

Il a publié pour l'Institut de l'Entreprise L'Italie de Monti, la réforme au nom de l'Europe et Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social

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Sophie de Menthon

Sophie de Menthon

Sophie de Menthon est présidente du Mouvement ETHIC (Entreprises de taille Humaine Indépendantes et de Croissance) et chef d’entreprise (SDME).

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La crise que traduit le mouvement des gilets jaunes vient de loin. Elle est principalement le résultat du  processus d’appauvrissement de notre sociétéqui vient d’une succession de choix collectifs depuis 1981, avec l’élection de François Mitterrand, consistant, face à la mondialisation, à sanctuariser la France, au lieu de faire le choix de la compétitivité. Ainsi, d’élections présidentielles en élections présidentielles, nous avons reculé l’âge de retraite, augmenté, au-delà de toute raison, la durée annuelle des congés payés, ramené le temps de travail à 35 heures, et bien souvent à moins, créé 2,2 millions de fonctionnaires et détruit le même nombre d’emplois industriels, etc…

Cette succession de décisions tragiques a eu pour effet cumulé de porterle coût du travail à un niveau tel qu’il est devenu impossible de produire en France. D’où la liquidation de notre industrie dont le poids relatif dans notre économie, est depuis dix ans déjà, au niveau de la Grèce. Conséquence d’un fantasme partagé par la France d’en haut et par la France d’en bas, qui croient qu’on peut vivre de services de proximité ou de revenus fictifs distribués par l’Etat. Qui peut croire que la multiplication des emplois à domicile peut avoir les mêmes effets sur le niveau de vie qu’une grande PME industrielle qui trouve des clients partout dans le monde ?  Le résultat, c’est le chômage de masse, l’explosion de nos dettes – 5 fois supérieures à leur niveau d’il y a 35 ans – et un niveau de vie en chute libre : notre PIB par habitant qui était en 1975 au même niveau que celui de l’Allemagne, lui est inférieur de 10% aujourd’hui et la différence se monte à plus de 20% quand la comparaison porte sur la RFA d’avant 1989. La France est le seul pays d’Europe où l’on est convaincu que son pouvoir d’achat dépend du bon vouloir du Premier ministre qui en décide par décret dans son bureau et non du travail productif et des entreprises. 

Cette évolution générale a surtout masqué un processus en peau de chagrin qui a transformé nos régions en déserts économiques : plus d’entreprises, plus d’industrie ! Hormis l’Île-de-France (29% du PIB) qui continue à disposer d’une économie marchande et de quelques pôles industriels à  Lyon, ou  Toulouse, le reste des territoires dépend, depuis une bonne vingtaine d’années, principalement des emplois et de la dépense publics, ainsi que des transferts toujours plus lourdement prélevés sur une économie marchande rabougrie. S’il est exact que la crise révèle le clivage qui n’a cessé de se creuser entre la France périphérique et la France des métropoles, elle met également au jour celui de divorce entre une France marchande en voie de liquidation sous l’effet de 35 ans de prédations continuelles et une France non-marchande (56% de la population) qui commence à prendre conscience de l’épuisement de la ressource et qui du coup réagit par l’augmentation de la rançon : c’est le sens des appels au rétablissement de l’ISF. Sauf que l’ISF, instauré en 1982, a joué un rôle déterminant dans le sabordage de l’économie productive en trois décennies. Tout cela désigne, non les méfaits de la mondialisation – pourquoi ne constate-t-on pas cela en Europe mais seulement en France ? –, mais bien une situation spécifiquement française. 
C’est cette situation dont Emmanuel Macron a hérité au lendemain de son élection. Une situation estimée à ce point grave – à juste titre – que la solution résidait aux yeux du nouvel exécutif, en une série de réformes « libérales » instaurées d’en haut, par l’autorité, en exploitant au maximum le discrédit de toutes les forces politiques qui se repassaient le mistigri à chaque élection. Ce faisant, Emmanuel Macron a repris la méthode française classique : la réforme – même libérale – se fait par l’autorité, c’est-à-dire sans le consentement politique de la société. Une méthode employée par le général de Gaulle en 1959 – des rapports d’experts suivis d’une mise en œuvre par ordonnances ; une tradition qui remonte à l’Ancien Régime des grands commis – Colbert, Turgot – et reprise par Bonaparte sous le Consulat. Sauf que cette méthode, dont l’exemple le plus illustratif  est la décision prise depuis Paris de fixer de façon prétorienne la vitesse des routes départementales, présente de sérieux inconvénients que la crise des gilets jaunes a nettement mis en évidence. 

Le premier – et sans doute la cause la plus profonde de la crise - est précisément que dans le système de monarchie élective que constitue la V° République, le rôle assigné par la société au pouvoir politique, consiste à sanctuariser, et le cas échéant, à étendre les rentes sociales (emplois publics, retraites,…), non à les réformer. Réformer est donc compris par la majorité rentière de notre société, comme une remise en cause du pacte social, y compris dans ce qu’il peut avoir de plus identitaire. Le deuxième, c’est que précisément, notre monarchie élective qui écarte le consentement à la décision politique, à commencer par le consentement à l’impôt, entretient l’infantilisation d’une société qui ne voit pas d’incohérence à demander plus de dépenses et moins d’impôt. Enfin, notre modèle social s’est,à ce point, déformé depuis des décennies, qu’en effet, qu’au niveau des salaires faibles ou moyens, il est marginalement préférable de ne pas travailler plutôt que de travailler. Surtout lorsqu’on tient compte de toutes les contraintes qu’implique le travail, et notamment les coûts du transport. Ainsi notre société est-elle à la fois inefficace – il vaut mieux vivre du travail des autres que du sien propre – et elle est injuste : elle favorise les bénéficiaires nets du système et pénalise ses contributeurs nets. 

S’il est difficile de fabriquer du consentement politique en quelques semaines ou quelques mois, il est à l’inverse, facile de rétablir une préférence rationnelle pour le travail. Dans cette affaire, salariés et employeurs sont également perdants : les salaires nets sont trop faibles pour rémunérer le travail productif et le coût du travail trop élevé pour l’employeur. En simplifiant, pour verser un salaire net de 1.500 €, le coût pour l’employeur est de 3.750 €. Délirant ! Les charges patronales en pourcentage du PIB en France sont le double de ce qu’elles sont en Allemagne. Le gouvernement a commencé à s’attaquer à cette anomalie, mais à un rythme trop faible pour que la mesure produise des effets sur le coût du travail et les revenus, la contrainte venant des déficits et de la dépense qui se réduisent trop lentement. 

Mais les crises ont ceci de particulier, qu’elles constituent, selon la formule de Lénine, des accélérateurs de l’histoire : en aidant à la prise de conscience de la situation, elles peuvent aussi offrir l’opportunité d’accélérer les réformes. C’est, au fond, ce qu’a déclaré récemment Bruno Lemaire en soulignant l’opportunité d’accroître la cadence de la baisse des dépenses et des impôts. Mais la crise actuelle offre aussi l’opportunité de changer de méthode, en passant de l’autorité à la liberté. 

Depuis le début de la crise, le mouvement ETHIC a déjà proposé – une idée reprise par Xavier Bertrand sur France 2, le 3 décembre, et par Edouard Philippe devant les députés, le 5 décembre - d’exonérer d’impôt sur le revenu et de charges sociales, les primes que les entreprises pourraient verser à leurs salariés. Mais on peut aller plus loin. ETHIC propose que tout ou partie des RTT de même qu’une partie des congés payés, puissent, à la demande des salariés – une faculté, non une obligation –, être transformés en augmentation de revenus. On peut concevoir, en effet, que des jeunes qui débutent leur vie professionnelle aient davantage besoin pour se loger, s’équiper,  accueillir leurs enfants,de plus de revenus que derepos, un choix qui naturellement peut se modifier pour des salariés plus anciens. Il faut bien sûr veiller techniquement à ce que des salaires bruts plus importants ne soient pas confisqués par les impôts et les charges sociales. 

A travers, cet exemple, il s’agit de promouvoir une formule dans laquelle l’augmentation de la quantité de travail puisse se traduire par une augmentation de la productivité dans les entreprises : une relance des salaires par la productivité, non par la dépense publique, en quelque sorte. C’est, rappelons-le, la productivité qui constitue le véritable levier, le plus puissant d’augmentation des revenus, comme le montrent les exemples voisins en Europe, en Espagne ou en Allemagne. Le recours à la liberté et la préférence rationnelle pour le travail et le risque constitue une méthode pour réformer : elle peut parfaitement s’appliquer aux autres grands chantiers de modernisation de notre société, les retraites ou la fonction publique, comme ETHIC a eu l’occasion de l’exposer dans sa note récente sur les dépenses publiques.

La crise des gilets jaunes doit être considérée par le gouvernement comme par toutes les composantes raisonnables de notre société – partis politiques, syndicats, entreprises, …. – comme le constat de décès d’une société vivant dans l’utopie des rentes sociales et de l’économie administrée. Des choix collectifs qui fabriquent de l’appauvrissement, du ressentiment et de l’irresponsabilité. 

Elle doit être l’occasion surtout de revenir au principe de réalité en accélérant la réduction du coût du travail ; mais pas par la contrainte d’en haut : le temps est en effet, également venu de constater que la réforme doit passer davantage par la liberté, la responsabilité, le consentement.Peut-être ira-t-on moins vite mais on ira plus loin. Le principal obstacle aux réformes, c’est l’état d’infantilisation de notre société auquel conduit un Etat qui s’occupe de tout, de loin, et qui réduit les Français à l’état de peuple « servile et révolutionnaire » selon la formule de Tocqueville. Des réformes libérales ne valent pas seulement par leur contenu ; elles doivent valoir aussi comme méthode : un apprentissage de la liberté et donc de la responsabilité. La liberté ne doit pas être seulement l’objectif des réformes ; elle doit être leur moyen.

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