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Retour aux années 30 : derrière la tactique électorale, ce redoutable angle mort politique dans lequel s'enferme Emmanuel Macron
©Etienne LAURENT / EPA POOL / AFP

Etat providence

Lors de son intervention de ce 6 novembre, Emmanuel Macron a une nouvelle fois fait référence au "retour des années 30" tout en dénonçant la percée nationaliste actuelle, mais en négligeant la question de l'incapacité de l'Europe et de l'Etat providence à jouer leur rôle de stabilisateur de nos sociétés.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Lors de son interview donnée à Europe 1 ce 6 novembre, Emmanuel Macron a déclaré "Je suis frappé par deux choses qui ressemblent vraiment aux années 30" : "L'Europe a été bousculée par une crise économique et financière profonde, regardons ce qu'il s'est passé en Grèce, au Portugal, en Espagne et en Italie. Ils ont été plongés dans une crise dont ils se remettent à peine aujourd'hui. Et dans ces pays, nous assistons à une montée des nationalismes.". Si l'État Providence et l'Europe ont été conçus afin d'empêcher un tel "retour des années 30", Emmanuel Macron ne devrait-il pas se questionner sur leurs rôles respectifs dans les circonstances actuelles ? 

Nicolas Goetzmann : La crise de l'État providence est décrite en France depuis 1981, avec la publication de l'ouvrage - du même nom - de Pierre Rosanvallon. La date de 1981 est intéressante car elle correspond plus ou moins au changement de régime économique occidental, avec la naissance de ce qui est aujourd'hui appelé le "néolibéralisme". On peut donc faire le lien entre naissance du néolibéralisme et la dénonciation d'une crise de l'État Providence.

Cette dénonciation ne s'est pas pourtant pas traduite par une baisse des dépenses publiques de protection sociale depuis les années 80 en France, mais par leur hausse par rapport au PIB, ce qui n'a pas empêché le "retour du nationalisme" évoqué par Emmanuel Macron. Ce paradoxe n'est pas surprenant, parce que l'hypertrophie de l'État providence post-années 70 n'est que la conséquence de la montée du chômage initiée dans ces mêmes années 70, et qui s'est accélérée par la suite, et qui ne trouve pas sa cause dans la progression des dépenses publiques.

C'est ici qu'intervient l'Europe. La fin des années 70 et le début des années 80 ont été marquées par la pose des premières pierres (serpent monétaire etc..) qui ont construit la monnaie unique et ont introduit en Europe une doctrine de désinflation – de volonté de posséder une monnaie forte (trop forte pour nombre de pays) – pour les pays aspirants à partager l'euro. Le résultat de ces politiques a été la dégradation de l'emploi et la hausse du chômage sur une période longue, même si certaines périodes (98-2008) ont donné de meilleurs résultats. Au cours de cette période, de nombreux pays européens, et en premier lieu la France, ont connu un développement économique inférieur à leur potentiel, conséquence directe de cette conception restrictive de la monnaie unique. 

Il y a donc bien une crise coordonnée entre Europe et État providence, mais sans doute pas dans le sens évoqué par Emmanuel Macron. Le cadre macroéconomique européen produit structurellement un chômage plus élevé qui a logiquement pour effet de faire gonfler les États providence du continent, principalement en France, il faut le reconnaître. La réaction la plus fréquente à ce phénomène a été de penser que c'est l'inflation de la protection sociale qui est la cause de ce chômage élevé, alors que la réalité démontre l'inverse. Une politique macroéconomique plus favorable, qui prendrait en compte le plein emploi comme objectif prioritaire, conduirait à une baisse du chômage et des besoins de protection, et logiquement à une réduction des dépenses publiques allouées à cette fonction. 

On peut assez facilement se convaincre que les dirigeants européens se sont pris les pieds dans les tapis de leurs outils "anti-retour des années 30". Le cadre économique européen est une machine désinflationniste dans un monde sans inflation. Et il est alors difficile de ne pas faire le parallèle avec le comportement monétaire de la France dans les années 30, lorsque le pays tenait le rôle de lessiveuse déflationniste mondiale. On peut dire que ce rôle destructeur est aujourd'hui confié à la BCE. L'État providence ne peut être une machine à écoper les dégâts causés par cette politique européenne, et la hausse des impôts produite par son extension sape considérablement sa légitimité politique alors que la cause du problème est à chercher dans la gestion macroéconomique européenne. C'est cet imbroglio qui est à l'origine des troubles politiques européens. 

Au cours de cette même intervention, Emmanuel Macron évoque l'idée d'une « Europe ultra-libérale qui ne permet plus aux classes moyennes de bien vivre ». N'est-ce pas ici un début de questionnement sur ces questions ? 

A moins de considérer la phrase d'Emmanuel Macron comme de la pure communication, il faudrait déjà déterminer ce que peut vouloir dire "néolibéral" pour Emmanuel Macron, parce la politique qu'il souhaite mettre en place n'est pas totalement étrangère à cette notion.  Mais on peut admettre une prise de conscience.

Cette question doit être prise en compte en termes plus vastes dans l'espace, parce qu'il est utile de regarder ce que font les États-Unis ou le Royaume Uni. Ces deux pays, sous l'impulsion de Reagan et Thatcher, ont détricoté leurs États providence depuis les années 80 – et ils n'étaient pas forcément les plus développés- mais tout en menant une politique macroéconomique plus favorable, d'un point de vue monétaire, que les européens.

Du point de vue du "retour du nationalisme" on voit que cela n'a pas été plus efficace suite à la crise de 2008, puisque le Brexit et l'élection de Donald Trump sont venus sanctionner cette situation. L'absence de filets de protection a produit une sanction politique immédiate à la montée du chômage et à la précarisation des sociétés alors que cette même sanction intervient plus lentement dans les pays européens, en dehors des cas les plus extrêmes en termes de destruction économique, comme la Grèce et l'Italie.

L'enseignement à tirer de cet ensemble occidental est que deux conditions sont nécessaires pour parvenir à une stabilisation économique et politique "anti-retour des années 30". La première est une politique économique dont l'objectif prioritaire doit être le plein emploi, ce qui est le cas aux Etats-Unis et au Royaume Uni en cette année 2018, et la seconde est un État providence digne de ce nom. Tout en rappelant que la mise en place d'une politique de plein emploi a pour effet de contenir une évolution disproportionnée de l'État providence en termes de dépenses publiques.

Le Royaume Uni et les États-Unis pourront traiter leur problème d'inégalités avec la mise en place d'une protection sociale de plus grande ampleur, alors que l'Europe peut sauver sa situation en modifiant son orientation macroéconomique - en inscrivant le plein emploi comme sa priorité absolue (ce qui peut être fait en l'inscrivant comme objectif prioritaire de la BCE, au même titre que la maîtrise des prix.)- et tout en conservant ses États providence.

Malheureusement, ce n'est pas le chemin que prennent les deux continents. Donald Trump fait ce qu'il faut concernant le plein emploi, avec des résultats importants, mais ne fait rien concernant les aides sociales dans un pays ou l'intensité de la pauvreté, et le décrochage d'une partie de la population sont importants. Cela est encore la même chose au Royaume Uni même si les discours de Theresa May semblent s'orienter dans la bonne direction (mais les résultats ne sont que purement hypothétiques) pour le moment. Au moins, le monde anglo-saxon repose sur une jambe du dispositif - le plein emploi. Du côté européen, la question d'une politique de plein emploi n'est jamais abordée, alors que le détricotage de l'État providence fait partie intégrante de l'agenda politique de nombreux dirigeants, dont Emmanuel Macron. C'est pourtant cette protection sociale qui a sans doute favorisé son élection puisque les effets de la crise ont été moins violents en France qu'ils n'ont plus l'être ailleurs.

Quelles sont les leçons à tirer des années 30 concernant le contexte actuel ? 

Le parallèle le plus désagréable à faire est que l'Europe a été plus lente à comprendre les causes économiques de la Grande dépression, alors que le Royaume Uni et les États Unis ont réagi efficacement – avec quelques impairs- en 1931 et en 1933. En France, il a fallu attendre 1936 pour réagir, mais il était déjà trop tard sur le plan continental. Et l'Europe de 2018 est encore plus lente à comprendre les causes économiques du marasme et de la montée du nationalisme que celle des années 30.

Le fait est que les européens ont été incapables, pour le moment, de diagnostiquer correctement la crise de 2008, ou d'apprendre des erreurs commises concernant les politiques d'austérité. Parce que ce qu'a fait l'Europe des années 2010 est de la même veine que ce qui a été entrepris en France ou en Allemagne au début des années 30, avec une politique économique qui n'était analysée que sous l'angle de la morale, tout en excluant toute analyse économique réelle. 

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