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Crise politique, tensions sociales et... calme plat dans le pays : mais comment expliquer le grand paradoxe du quinquennat Macron ?
©ERIC FEFERBERG / AFP

Rentrée agitée

Alors qu'Emmanuel Macron subit une vraie crise de popularité dans les sondages et que les déboires politiques s'accumulent, le peu de succès de la manifestation du 9 octobre traduit un constat : les Français peinent à se mobiliser alors que des mouvements sociaux d'ampleur avaient pu avoir lieu lors du quinquennat précédent dans des circonstances analogues.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Comment expliquer ce paradoxe d'une France qui rejette la politique menée sans que cela ne se traduise par une progression des mobilisations, et, ce dans un contexte latent d'accumulation de faits divers reportant des actes de violence gratuite ? 

Maxime Tandonnet : Le climat général ne semble pas se prêter à une mobilisation dans la rue et des mouvements de masse pour faire plier le pouvoir politique. La crise de défiance ne touche pas uniquement le Gouvernement comme le montre le sondage CEVIPOF sur la confiance des Français réactualisé chaque année. Le discrédit touche aussi lourdement les syndicats: ils sont la troisième institution en laquelle les Français ont le moins confiance: 27%, à égalité avec les banques, devant les médias (24%) et les partis politiques, "lanterne rouge" avec 9% des personnes interrogées qui leur font confiance. A l'inverse, les Français font confiance à l'armée (76%) et aux petites et moyennes entreprises (76%). Tout ceci n'est pas le signe d'une envie de révolution... Les Français ne sont pas prêts à s'en remettre à des formes de mobilisation qui seraient susceptibles de les pousser à manifester. Tout se passe comme si la société française était gagnée par la tentation du repli individualiste. Ce que vous appelez "l'impopularité" du président Macron est une forme de déception et d'indifférence, pas forcément un désir de chamboulement politique, de chaos et d'aventure! Le pays compte 8,8 millions de personnes vivent avec moins de 1024 euros par mois, ce qui est considéré comme le seuil de pauvreté et 6 millions de personnes privées d'emploi, selon un décompte large. Les mécontentements se multiplient à l'exemple des retraités. Pourtant, la colère reste individuelle, atomisée. Chacun tente de s'en sortir par ses moyens individuels. Une sorte de fatalisme pèse sur la France.

Eddy Fougier : Il est vrai qu'il y a un vrai paradoxe. Chaque mois d'aout, on annonce une rentrée chaude et ça n'a pas été le cas. Pour moi, il y a plusieurs justifications.

J'ai le sentiment qu'une grande partie de la population qui s'est montré intéressé pour la politique durant la présidentielle, qui a fait preuve d'une forme de curiosité par rapport au nouveau pouvoir et aux réformes qui se mettaient en place, semble être tombée dans une forme d'indifférence.
Il y a eu effectivement chez les Français, une forme d'espoir. La droite a déçu, la gauche aussi, donnant la chance à Emmanuel Macron qui veut dépasser les clivages et mettre en place des réformes qui a avaient été repoussée. Aujourd'hui, il en ressort une déception.
Une partie des Français ne croient plus du tout en la politique. Le double paradoxe, c'est que cela ne se transforme pas en mouvement de rue. Ni même par un regain de popularité dans l'opposition. Ça ne bénéficie à personne. La lassitude n'est pas seulement vis-à-vis du gouvernement, mais vis-à-vis de la classe politique en général.
Ce qui est inquiétant c'est que c'est une colère rentrée, comment va-t-elle s'exprimer ?

Les Français font-ils preuve d'inertie, de résignation, ou peut-on se préparer à une contestation de nature plus radicale ? Quels sont les risques de voir cette résignation dériver en un mouvement de nature plus violente ? 

Maxime Tandonnet : Rien n'est plus calme qu'un baril de poudre une demi seconde avant l'étincelle... Il est impossible de présumer du prolongement indéfini de ce climat de résignation. Les grands mouvements sociaux surgissent souvent aux moment où nul ne les attend. Quelques mois avant mai 1968, un  journaliste du monde, Pierre Viansson-Ponté proclamait dans un éditorial célèbre: "la France s'ennuie". Une révolution est partie de cette lassitude et de cette apathie apparente. De même, quelques mois avant le mouvement social de fin 1995 qui a paralysé le pays pendant trois semaines, un climat apaisé prévalait sur la politique de réformes conduite par Alain Juppé Premier ministre. Pour déclencher un mouvement social, il faut un élément catalysateur, un projet de réforme emblématique qui cristallise le mécontentement et les inquiétudes en vertu d'une alchimie complexe... Ensuite, tout peut aller très vite, au moment où nul ne l'attend, partie de presque rien, la colère fait boule de neige et le pays, en quelques jours, peut sombrer dans le chaos et la violence.  

Eddy Fougier : Je pense qu'il y a un peu des deux. Encore une fois, il  y a une grande déception vis-à-vis de la classe politique et des capacités du gouvernement a répondre aux préoccupations des Français. Aussi, il n'y a pas de résultat. Il y avait cette idée qu'on allait laisser une chance au nouveau et pour différentes raisons il y aeu une déception.

Ce qui domine c'est un sentiment d'indifférence que je constate dans la relativement faible notoriété de la plupart des ministres du gouvernement. Su l'on demande au grand public de citer cinq ministres, ils auront du mal.

Cela fait des années qu'on essaie de savoir si l'on doit craindre un nouveau mai 68. Le printemps 2016 était déjà pas mal en termes de mobilisation longue, de violences des manifestants, de débordements violents, de blessés… Ça n'a pas empêché la réforme du marché du travail de se faire et ça n'a pas empêché le gouvernement de poursuivre sa politique.

Cela dit, il peut y avoir des circonstances qui déclenchent un conflit dur, long, violent, ça dépend aussi des organisations des meneurs qui sont derrières. On peut supposer malgré tout que le terrain est propice à exploser au-delà de l'indifférence.

De la contestation syndicale à une révolte des banlieues, quels seraient les "foyers" de tels mouvements à surveiller ?

Maxime Tandonnet : La perte d'influence des syndicats n'est en aucune façon un gage de paix sociale. Les mouvements les plus durs et les plus déterminés proviennent souvent de la base. Dès lors,  l'absence d'interlocuteurs institutionnels avec lesquels négocier une sortie de crise ne fait qu'amplifier les difficultés. Une révolte des banlieues à l'image des événements d'octobre et novembre 2005 est toujours possible mais par nature imprévisible. Un blocage du pays par des groupes de salariés tenant des positions stratégiques (routiers, sncf, ratp) se produira inévitablement si ces derniers se sentent lésés dans leurs intérêts personnels, ce que tous les gouvernements depuis 2012 sont parvenus à éviter. La crainte de tous les dirigeants politiques est la révolte des jeunes. Les familles ou les retraités dans la rue, cela ne comporte pas de risque majeur. Mais il y a, pour tous les pouvoirs politiques, une véritable appréhension à voir les lycéens ou les étudiants dans la rue, avec le risque d'un drame qui serait fatal à n'importe quel gouvernement. Toute politique, toute réforme touchant aux jeunes peut être source d'un embrasement rapide. Qu'en sera-t-il des réformes de l'Education nationale, ou de la création du service national universel obligatoire? Pour l'instant, ces projets semblent plutôt  acceptés mais les choses peuvent dégénérer rapidement.

Eddy Fougier : J'en vois deux. La réforme des retraites par exemple qui peut mobiliser aussi des jeunes qui vont estimé que cette réforme leur ai préjudiciable. Avec d'autres dimensions politiques. On peut l'imaginer.

Il y a aussi tout ce qui attrait à la GPA. On sait que ce sont des sujets très sensibles et la aussi le pouvoir socialiste en avait fait l'expérience avec le mariage gay en 2013.

Ce sont des sujets potentiellement explosifs. Mais en matière de conflit social c'est une alchimie compliqué à évaluer.

Cette situation est-elle plus le fait d'une mauvaise structuration de ces oppositions, incapables de canaliser cette colère ou ce rejet, ces ou faut-il y voir une forme de lassitude de la population ?

Maxime Tandonnet : La configuration politique du pays semble ne pas se prêter à un mouvement social massif. Le paysage politique est totalement éclaté:  un pouvoir de connotation centriste, aux contours idéologiques indéfinis, une gauche morcellée en cinq ou six tendances, une droite tout aussi atomisée. Dans ce contexte fragmenté, une mobilisation sociale ne saurait venir des états-majors politique. Mais cette situation atomisée est aussi porteuse de graves périls. Un pouvoir ultra-personnalisé autour de l'image du chef de l'Etat, est par là-même particulièrement fragile. Une situation où l'autorité politique est contestée, privée de légitimité, ou le pouvoir est ressenti comme éloigné du peuple et donnant des signes de faiblesse ou d'indécision, favorise la tentation de la désobéissance et du chaos, peut se prêter à tous les débordements venus des profondeurs de la société. Et encore une fois, les choses se produisent toujours au moment où nul ne les attend.

Eddy Fougier : Dans a plupart des parti politique, on ne s'est pas remis de la présidentielle (6% pour le PS), du côté LR il y a ce sentiment d'être devenu un parti secondaire et de ne pas être l'alternance automatique. France Insoumise ou RN, ils ont du mal à digérer les épisodes précédents. L'idée d'un troisième tour social pour FI qui n'a pas fonctionné, et le sentiment que Marine le Pen ne s'est jamais remise du débat pour RN. Malgré le fait que les partis proches du RN semblent avoir le vent en poupe.

On voit bien que le séisme qui a été sous-estimé de la présidentielle n'a pas de réplique. Mais la plupart des partis ne sont pas remis de ce qui s'est passé lors de cette élection. C'est ça, la difficulté. Aujourd'hui personne n'apparait comme un recourt ou comme une forme d'alternance possible.

Pourtant, les Français ne semblent pas se désintéresser des sujets sociétaux…

Il y a effectivement une appétence des Français pour les enjeux politiques mais qui ne se retrouve plus dans le leadership politique traditionnel ou la façon que le pouvoir actuel à de gouverner. Sur beaucoup de sujets, les gens n'attendent plus rien de la politique et ils s'engagent dans des actions concrètes, des associations (climat) on le voit dans l'évolution de la consommation avec les circuits courts, le fait que ce soit les alternatives qui se développent, les produits alimentaires bio… Du côté des consommateurs ils n'attendent plus la solution au problème de la part des entreprises et c'est al êmes chose ebn politique. On ne croit plus que l'état va se saisir des sujets importants. Donc on se débrouille par  nous-mêmes. 

Propos recueillis par Nicolas Farca. 

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