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Emmanuel Macron passe à l'offensive face à Merkel
©LUDOVIC MARIN / AFP

Changement de ton

Lors de son discours d'Aix-la-Chapelle jeudi, Emmanuel Macron a adopté un ton offensif. C’est la première fois depuis très longtemps que l’on entend un président français parler aussi fermement au partenaire allemand. Enfin, et tant mieux ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Récipiendaire du prix Charlemagne

Le prix Charlemagne est remis chaque année le jeudi de l’Ascension par la Ville d’Aix-la-Chapelle à un éminent serviteur de la cause européenne. Cette année, c’est Emmanuel Macron qui en était le récipiendaire. Le président français a suivi le rituel de remise d’un prix qui rassemble l’Allemagne chrétienne-démocrate (Konrad Adenauer, Helmut Kohl et Angela Merkel ont reçu le prix mais jamais aucun des trois chanceliers sociaux-démocrates, Willy Brandt, Helmut Schmidt ou Gerhard Schröder, malgré les services qu’ils ont rendu à la cause européenne). Arrivé en début de soirée, mercredi soir, le président français a visité la cathédrale et la fameuse école de Charlemagne (aujourd’hui pépinière du Choeur de la cathédrale). Jeudi matin, il a assisté à la messe dans la cathédrale en compagnie d’Angela Merkel; en fin de matinée, le prix lui a été remis dans l’Hôtel de la Ville, construit au 19è siècle sur l’emplacement de l’ancien palais carolingien. Puis, l’après-midi, il a, comme tous les porteurs du prix qui le souhaitent, partagé un temps de discussion avec les étudiants de la RWTH, l’une des grandes universités allemandes d’ingénierie, la fierté de la ville.

Une Chancelière sur la défensive

Il arrive que le public assistant à la remise du prix se limite aux notables d’Aix. Mais hier, l’identité du récipiendaire avait amené la Chancelière. Habituellement la seule laudatio prononcée est celle du Maire. Pour l’occasion, la Chancelière a prononcé un assez long discours, très attendu puisqu’il devait indiquer dans quelle mesure le chef du gouvernement allemand avait décidé de répondre aux propositions de relance de la construction européenne formulées dès avant son élection par le président français et détaillées dans le discours de la Sorbonne de l’automne dernier. Les applaudissements nourris qui l’ont accueillie ne pouvaient pas dissimuler que Madame Merkel était sur la défensive; elle l’est restée jusqu’au bout. Parlant de relance de l’Union Européenne, elle a - enfin - répondu à la proposition française de co-investissement public sur l’intelligence artificielle mais en termes très généraux; elle a ensuite évoqué le renforcement de la coopération sur les politiques d’immigration (sans précisions là non plus), de la politique étrangère commune (crise iranienne oblige); et elle a promis des annonces sur le renforcement de ....l’union bancaire. La Chancelière est donc restée en-deçà d’une réponse aux propositions du président français.

Pour la première fois depuis longtemps un langage de fermeté....

Emmanuel Macron, qui avait certainement eu connaissance du discours de la Chancelière à l’avance, avait choisi d’adopter un ton offensif. Il a en particulier souligné qu’il avait bien entendu la critique allemande selon laquelle la France, par sa bouche, n’en aurait qu’après l’argent de l’Allemagne, pour compenser sa mauvaise gestion. Il a mis en balance son bilan de réformateur, depuis un an, et, parlant avec une fermeté qu’il n’avait jamais employée jusqu’ici, demandé au partenaire allemand de faire autant de chemin vers lui puisque lui-même en faisait faire à la France. Montrant qu’il a bien compris ce qui se joue entre les deux pays, il a souligné qu’il faisait lui-même suffisamment pour adapter la France à la culture allemande de la « norme » comme instrument de gouvernement pour que l’Allemagne accepte de reconnaître, à l’inverse, que ses excédents commerciaux étaient le signe d’un déséquilibre profond de l’UE. Plus tard, devant les étudiants, il a souligné que l’excédent commercial cumulé de l’Allemagne vis-à-vis de l’UE est plus important que celui de la Chine vis-à-vis de la zone. Toujours devant les étudiants de la RWTH, il a expliqué que l’on pouvait difficilement expliqué à des gouvernements de l’Europe du Sud qui avaient fait un tel effort de redressement de leurs finances publiques que pour autant l’Allemagne n’était pas prête à infléchir sa politique. Il a aussi souligné combien était contraire au pacte fondateur de l’Union Européenne que le seul choix laissé à des étudiants portugais, espagnols ou italiens soit entre un taux de chômage des jeunes à 40% ou l’émigration vers l’Allemagne où ils trouveront un emploi à condition de pouvoir financer leurs études.

C’est la première fois depuis très longtemps que l’on entend un président français parler aussi fermement au partenaire allemand. Enfin, et tant mieux, pourrait-on ajouter. Enfin, parce qu’on ne pouvait s’empêcher de penser que le président français avait laissé passer l’occasion, depuis un an, de mettre l’Allemagne sous pression. Et tant mieux car s’il existe une toute petite chance pour le président français de faire bouger l’Allemagne, elle se trouve dans un dialogue franc et direct.

Emmanuel.....Kant

Mais ce n’est que le début et il faut aussitôt ajouter que le président français n’aura pas pu, en une seule fois, se faire comprendre de ses interlocuteurs. D’autant plus qu’il est largement apparu, hier, comme un Européen idéaliste. Quelle énergie mise à réveiller le rêve européen! Avec ses « impératifs catégoriques » (surmonter les divisions, vaincre les peurs, agir « ici et maintenant »), le président s’était fait philosophe et quasi-théologien. On l’a entendu remercier l’évêque d’Aix-la-Chapelle pour le lien qu’il avait rappelé, durant sa prédication, entre l’Europe et l’universel. Devant les étudiants, il a traduit philosophiquement les reproches politiques très concrets qu’il venait de faire à l’Allemagne - l’amour a-t-il expliqué n’est pas dans le narcissisme mais dans les pas que l’on fait vers l’autre. Le politique conquérant et sans pitié pour ses adversaires s’était transformé en héritiers des libéraux de 1848! 

Le président français est encore loin du Graal européen qu’il convoite. Et il ne faudrait pas que la lourde médaille de Charlemagne qu’on lui a passée autour du cou lui fasse perdre de son élan. Il doit bien comprendre que l’idéalisme européen qu’il professe, les Allemands le partagent, mais en privé, le soir, après une longue journée de travail, autour d’une bière ou d’une bouteille de vin blanc. Le jour suivant, la défense des intérêts reprendra le dessus. « Arbeit ist Arbeit. Bier ist Bier! » (le temps du travail n’est pas celui de la dégustation de bière). Et les intérêts allemands vont être affirmés d’autant plus fort que les chrétiens-démocrates ont senti passer le vent du boulet aux dernières élections parlementaires. Angela Merkel est une chancelière en sursis. Elle sait qu’uine partie de la CDU et, surtout, la CSU, les chrétiens-sociaux bavarois, saisiront l’occasion pour la remplacer en vue de gagner les élections de 2021. Passé le jour férié et l’échange sentimental sur les valeurs qui fondent l’Europe, Emmanuel Macron devra quitter la redingote d’Emmanuel Kant et se transformer en défenseur intransigeant de sa propre vision. Il lui faudra être encore plus direct qu’il ne l’a été hier. Il lui faudra faire comprendre à l’Allemagne qu’elle a beaucoup à perdre s’il lui venait l’idée de quitter la table de négociation.

Le début d’une longue marche

Il reste, au-delà des termes du débat tels que les a formulés le président français, beaucoup de questions. L’Europe, telle qu’il la voit, est-elle adaptée aux exigences de notre époque? En l’écoutant parler ainsi en Aix-la-Chapelle, avec un lyrisme digne des grands libéraux du XIXè siècle, on voyait se profiler derrière lui l’ombre d’un Trump bismarckien menant la politique occidentale à coups de surprises diplomatiques et l’on se demandait combien de divisions étaient là pour soutenir la vision irénique de la diplomatie européenne que défendent Angela Merkel et le président français. On finissait aussi par être agacé par le discours stéréotypé sur « les nationalismes » et «les peurs » - plus subtilement manié, il est vrai, par Macron que par la Chancelière. Comme si les dirigeants européens s’obstinaient à ne pas prendre la mesure des dégâts   Sociaux causés par les politiques libérales. Emmanuel Macron a commencé à en prendre la mesure mais peut-il nous garantir que sa vision d’une Europe rénovée est un remède à la hauteur du mal? Il faudra bien aborder toutes ces questions pendantes et le président français est seulement au début d’une longue marche qu’il finira peut-être beaucoup plus gaullien qu’il ne l’avait commencée. Toutes ces questions vont suffisamment nous occuper, demain, pour qu’aujourd’hui, le temps d’un honneur rendu au président de la République, nous nous réjouissions de constater que ce dernier a décidé de parler vrai aux Allemands. Personne ne peut dire s’il imposera son point de vue mais il a commencé d’utiliser la seule voie possible.

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