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Accusé libéralisme, levez-vous : les réformes dites libérales sont-elles anti-sociales (et sont-elles d’ailleurs si libérales que ça...) ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Procès

Le président de la République est souvent accusé de mettre à mal le modèle social français à travers sa politique qualifiée comme néolibérale. Qu'en est-il réellement ?

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé, historien, spécialiste de l’histoire du christianisme. Il est rédacteur dans la revue de géopolitique Conflits. Dernier ouvrage paru Géopolitique du Vatican (PUF), où il analyse l'influence de la diplomatie pontificale et élabore une réflexion sur la notion de puissance.

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : La politique menée par Emmanuel Macron est souvent qualifiée de libérale, ou de néolibérale, et parfois d'anti-sociale. Derrière ce qui apparaît comme des slogans politiques qui parfois relèvent d'une approche émotionnelle, comment y voir plus clair ? Par un jeu d'équation, en quoi le libéralisme serait-il anti-social ? 

Jean-Baptiste Noé : Emmanuel Macron n’est pas vraiment un libéral. Il n’a jamais cité aucun auteur de la tradition libérale française ou autrichienne et les mesures qu’il prend ne vont pas dans le sens de ce que défendent les libéraux : restriction de la liberté de la presse avec la loi sur les fake news, restriction de la liberté de circulation avec l’abaissement de la vitesse sur les routes, multiplication des taxes (huit en huit mois), refus de privatiser la SNCF, etc.

Mais le mot libéral est connoté de façon tellement négative qu’il sert à discréditer l’adversaire. Accuser une personne d’être libérale, c’est empêcher tout débat, discréditer d’avance son action et ne mener aucune réflexion.

Là où les étatistes ont raison, c’est que les libéraux remettent en cause le modèle social français. En ce sens oui, ils sont anti-sociaux. Sur quoi repose le modèle social français ? Le vol légalisé et la spoliation légitimée qui permettent par l’impôt de capter presque les trois quarts des ressources des personnes qui travaillent pour les redistribuer à d’autres. On a inculqué dans l’esprit des Français que les inégalités étaient synonymes d’injustice et qu’elles étaient forcément mauvaises, que la redistribution était une bonne chose, que les services sociaux étaient gratuits, parce que payés par l’État. Si être social c’est défendre la spoliation légalisée, l’endettement massif de l’Etat, c'est-à-dire le vol des générations futures, accepter l’injustice de la redistribution, alors oui les libéraux sont anti-sociaux.

Bien souvent d’ailleurs, l’argument de la défense du service public et des acquis sociaux sert uniquement à défendre les rentes et les situations de capitalisme de connivence. L’intérêt général est trop souvent invoqué pour défendre des intérêts particuliers comme, actuellement, le statut de cheminot.

Les libéraux défendent et proposent une société qui repose sur des fondements éthiques et anthropologiques complètement différents de ceux des étatistes : le droit des personnes, le droit naturel, la justice individuelle, la responsabilité. Il ne peut pas y avoir de conciliation possible puisque ce sont deux visions sociales différentes.

Christophe de Voogd : J’avoue mon agacement croisant devant la confusion totale du débat français sur le libéralisme : comment parler de libéralisme dans un pays dont les dépenses publiques représentent 57% du PIB et les prélèvements obligatoires plus de 45% ? Si les mots et les chiffres ont un sens nous sommes en fait dans une société plus qu’à moitié collectivisée. Quant au gouvernement, il poursuit rappelons-le, cette hausse des prélèvements et des dépenses. Son inspiration n’est pas libérale mais saint-simonienne, ce qui est tout autre chose comme le disait Saint-Simon lui-même, très peu confiant dans les mécanismes de marché. IL souhaitait la direction -autoritaire si nécessaire- du pays par les techniciens, les experts et les entrepreneurs. Là où le saint-simonisme rejoint le libéralisme, c’est dans son opposition aux rentes, dans la volonté de libérer les énergies créatrices et dans le souci d’améliorer le sort des plus pauvres, but que l’on retrouve chez Saint-Simon comme chez les grands penseurs libéraux d’Adam Smith à Hayek et Rawls. Face à cet accord entre libéraux et saint-simoniens, l’on trouve donc très logiquement les défenseurs des rentes actuelles qui sont souvent liées aux retombées de la manne publique, si énorme dans notre pays. Ils se dissimulent, c’est de bonne guerre, derrière la rhétorique de « l’intérêt général » et du « service public » : syndicats « durs », partis et groupuscules d’extrême gauche, associations militantes, soutenus par certains médias dont la survie dépend également des fonds publics. Or les plus faibles sont les premières victimes de leur « Front social ». La grève de la SNCF, celle d’Air France l’occupation des universités en sont autant de preuves : qui est en pointe dans la contestation et qui en souffre le plus ?  Mais le gouvernement serait plus crédible s’il dénonçait aussi les rentes de la haute fonction publique ou les niches fiscales qui pullulent en faveur d’innombrables catégories. Le libéralisme, c’est, historiquement et philosophiquement, le rejet des privilèges : or nous sommes bien loin d’une nouvelle nuit du 4 août.

Puisque ces accusations sont liées à la question du modèle social, auquel les Français sont attachés, comment inverser le point de vue ? Qu'est-ce qui pourrait justement sauver le modèle social français et qu'est-ce qui pourrait le détruire ? 

Jean-Baptiste Noé : Je ne suis pas certain que les Français soient réellement attachés à ce modèle social. On ne leur a jamais demandé leur avis. On leur ment en leur cachant le vrai coût du modèle social, et notamment de la sécurité sociale. Ce mensonge va encore être accru par le prélèvement à la source qui fait perdre le sens de la réalité de l’impôt et des prélèvements obligatoires.

Quand le gouvernement de François Hollande a obligé les frontaliers à cotiser au régime général au lieu de pouvoir souscrire à une assurance privée, ceux-ci se sont révoltés. Les Français qui partent à l’étranger ou qui se font aider d’un avocat pour réaliser de l’optimisation fiscale ne sont visiblement pas des adeptes de notre modèle social.

Dire que les Français adhèrent au modèle social français, c’est comme dire que les Soviétiques adhèrent au modèle social communiste. La propagande est tellement forte qu’ils n’ont pas d’autres choix. Mais quel Français voudrait aujourd'hui revenir à l’ORTF, interdire les radios libres, ressusciter les PTT, nationaliser toutes les banques, rétablir le monopole d’Air France ?

Attachés à notre modèle social les Français ? Pourtant, ils plébiscitent Air BNB, ils font usage des VTC, ils s’emparent de toutes les libertés possibles. Ce sont plutôt les rentiers du modèle social qui diffusent cette idée, afin de préserver leurs rentes et leurs privilèges. Comme les parlementaires qui expliquaient à Turgot en 1776 qu’il ne fallait surtout pas abolir la corvée parce que cela était injuste pour le peuple.

Le modèle social actuel a été élaboré par les fonctionnaires de Vichy puis adopté par le gouvernement communiste de la Libération, où les mêmes fonctionnaires étaient présents. Les régimes changent, pas l’administration. Il a été imposé aux Français sans concertation et sans référendum. Il va mourir parce qu’il engendre une dette qui n’est plus tenable. L’État providence anglais a explosé le jour où l’Angleterre a été placée sous la tutelle du FMI. Il va mourir aussi parce que les prélèvements obligatoires ont atteint des taux exorbitants : le jour de libération fiscale de la France est le plus tardif d’Europe (fin juillet). Il a déjà beaucoup changé : la plupart des entreprises publiques ont été privatisées, et les collectivités locales ont abandonné un certain nombre de services pour les faire faire par le privé. Ce qui coûte moins cher et est plus efficace.

Le modèle social actuel engendre de la pauvreté, des inégalités et beaucoup de frustration. Pour le sauver, ses partisans agitent le chiffon de l’hydre libéral pour tenter de détourner les esprits.

Christophe de Voogd : Il serait peut-être temps de définir et d’évaluer enfin ce fameux « modèle social » français que tout-le-monde-nous-envie. Tocqueville battait déjà en brèche cette idée d’un modèle admiré à propos de l’administration à la française. Ce qui définissait le modèle français se résumait à trois caractères : l’universalité des prestations, le principe assurantiel et le financement par répartition :  Or ces trois aspects, auxquels les Français sont justement attachés, sont en crise : la population la plus vulnérable est mal prise en compte par la protection sociale. Le summum de l’absurde est atteint lorsque l’on songe que les chômeurs sont la catégorie qui profite le moins de la formation professionnelle. Inversement les classes moyennes du secteur privé sont désormais les gros contributeurs nets du système qui est de de plus en plus fiscalisé et progressif tandis que ses droits sont réduits (cf. les allocations familiales et les déremboursements). En Europe, d’autres modèles sociaux existent, bien plus performants. De l’éducation à la santé, les études comparatives sont implacables : la France recule sur tous les fronts, comme le montrent par exemple les enquêtes PISA pour l’éducation. La première chose à faire serait donc de dresser un état honnête des lieux, sans reculer à la première accusation de « stigmatisation » ou d’ «agression anti-sociale » : les chiffres suffisent. A condition encore une fois d’être transparent sur tous les privilèges….

Dès lors, quelle serait l'approche qui pourrait être considérée comme étant anti-sociale ? 

Jean-Baptiste Noé : Maintenir notre système actuel. Les retraites par répartition sont un vol de la jeunesse au profit des retraités. Les insurgés de Tolbiac feraient mieux de lutter contre cela. L’Éducation nationale est incapable d’éduquer et d’enseigner. Il est temps de privatiser l’éducation par l’établissement du chèque scolaire. La dette est une bombe à retardement qui va laminer la génération qui a aujourd'hui entre 25 et 45 ans. Le logement social crée une très forte pénurie et donc un accroissement des prix de l’immobilier. L’islamisme lui-même est le fruit de notre modèle social. Pompe aspirante de l’immigration, notre modèle social a développé le discours moralisateur et culpabilisateur.  Pour beaucoup, le terroriste est une victime. L’islamo-gauchisme prospère sur cette idée-là. Le djihadiste est le nouveau prolétaire, qui souffre des inégalités, alors que ce n’est qu’un nouveau criminel. Pour gagner la guerre contre l’islamisme, il faudra aussi revoir notre modèle social.  

Christophe de Voogd : Dès lors deux approches seraient clairement antisociales : celle d’un capitalisme (et non encore une fois du libéralisme) débridé qui abandonnerait les plus faibles à leur sort en abolissant les solidarités essentielles autour des aléas de la vie; et celle des rentiers du modèle social qui dissimulent  leurs intérêts corporatistes sous le masque de « l’intérêt général » et du « service public », quitte à sacrifier les plus faibles, notamment en risquant d’acculer le système tout entier à la faillite.

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