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Tabous, mauvaise conscience, lâchetés… : les racines de notre impuissance face au terrorisme
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Mal profond

Les Français ressentent une relative impuissance politique face à la question du terrorisme. Ils estiment qu'ils pourraient faire mieux tout en constatant qu'aucun autre parti serait plus apte en la matière que le gouvernement.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Guillaume Bigot

Guillaume Bigot

Guillaume Bigot est membre des Orwéliens, essayiste, et est aussi le Directeur Général d'une grande école de commercel. Il est également chroniqueur sur C-News. Son huitième ouvrage,  La Populophobie, sort le 15 septembre 2020 aux éditions Plon.

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Question : Selon un sondage Elabe pour BFMTV de ce 29 mars, 58% des Français considèrent que le Président de la République et le gouvernement ne mettent pas en œuvre tous les moyens nécessaires à la lutte contre la menace terroriste en France. Le même sondage révèle également que les Français approuvent et jugent efficaces nombre de propositions qui font aujourd'hui débat, comme l'expulsion du territoire français des individus fichés S de nationalité étrangère (80%), déchoir de la nationalité française les individus binationaux condamnés pour terrorisme (72%), isoler les détenus radicalisés des autres personnes en prison (84%) , ou encore la mise en rétention administrative des individus fichés S les plus dangereux. Au regard de cette perception générale des Français qui souhaitent ainsi une action plus "efficace", comment analyser ce qui est perçu comme de l'impuissance politique ? Quelles sont les racines de cette impuissance ?

Alexandre Del Valle : Il convient d'abord de distinguer les propositions des Français entre celles qui sont applicables et celles qui ne le sont pas, notamment car elles vont à l'encontre de l'Etat de droit dans lequel nous sommes. Mais au-delà de cela, ces propositions vont se heurter également aux réalités économiques. Surveiller un radicalisé coûte extrêmement cher et cela mobilise entre 15 et 20 personnes à plein temps. Il faudrait doubler ou tripler les effectifs que nous avons à disposition pour surveiller les individus dangereux. Face à cela l'Etat pourrait effectivement embaucher plus de fonctionnaires pour surveiller les fichés S plus efficacement mais il a fait le choix de payer la politique sociale de la France par un manque de sécurité des citoyens. La politique sociale de notre pays a un prix et c'est la défaillance sécuritaire.

Guillaume Bigot :Nos dirigeants estiment qu’il est de leur devoir de maintenir un ordre juridique et politique liée à la construction européenne qui limite fortement le pouvoir de décision du Parlement et du gouvernement. La limite est de ne pas toucher un cheveu d’une conception très extensive voire maximaliste des droits de l’homme. Ce que nous avons appelé le droit de l’hommisme, une vision extrémiste des droits de l’individu. Cette vision place au cœur de tout notre droit mais aussi de nos mœurs et de nos institutions politiques une représentation des droits de l’individu comme alpha et oméga.

Cette vision est un double héritage. Un reste de mai 68 et des théories de la déconstruction (Derrida ; Deleuze ; Foucault et consorts) qui délégitiment non seulement la notion de patrie mais plus largement la notion de devoir et tout le contenu des droits de l’homme et du citoyen et de la démocratie. Dans cette conception, tout État est un ennemi de la liberté, toute institution est oppressive et les élections sont des pièges à con. Le poids de la culpabilité de Vichy en France et dans une moindre mesure de la guerre d’Algérie a rendu ces idées folles raisonnables et attractives.

Or, au tournant des décennies 80 et 99, cette protéine idéologique de mai 68 s’est recombinée avec la réhabilitation de la pensée libérale : pensée politique, avec la redécouverte de Tocqueville ou la lecture d’un auteur comme Poliyàni.

Bien sûr, le libéralisme est aussi une pensée économique qui fait du citoyen un homo economicus et un consommateur. Jouir sans entrave et faire du business sans frontière, les deux paradigmes se sont mêlées pour déboucher sur le monde que l’on connaît aujourd’hui : celui des cabinets d’avocat et des multinationales sans frontière qui fonctionne de manière cynique mais légal grâce à un système juridique hyper protecteur des individus et des États qui n’ont cessé de désarmer moralement (des États qui  acceptent d’être condamnés juridiquement par des tribunaux supranationaux), physiquement (moins de contrôle aux frontières, d’entrave à la libre circulation) et même désarmés tout court (baisse de 50 % des dépenses régaliennes en part de PIB par rapport à 1996 en France par exemple).

A l’arrivée, on a une conception des droits de l’homme sans contenu positif mais avec des formes hyper contraignantes.

Il faut opérer ce long détour pour comprendre pourquoi la France s’est placée dans un carcan juridique aux moyens de lois (certes facilement réversibles) mais aussi de traités (plus rigides) et de révisions constitutionnelles (encore plus rigide) qui empêche concrètement nos dirigeants de prendre des mesures de simples bon sens. Les lister. Expulser les fichés S cela implique d’obtenir l’autorisation d’un juge, cette expulsion est susceptible de recours et en fin de course la cour européenne des droits de l’homme condamnera la France. Ainsi l’impuissance politique a été pensée de organisée. On peut dresser le parallèle avec les marchés financiers et leur dérégulation, si l’on en sortir, on se rend compte que les leviers de commande nous échappe : ils sont passés aux banques, aux opérateurs privés. Et pour revenir en arrière, il faut faire reboot, redonner au peuple un véritable pouvoir de décision. Remette l’église au milieu du village.

Les peuples sont prêts, partout et je suis convaincu que de nombreux électeurs qui s’abstiennent et même qui se refusent à donner leur voie à des partis populistes n’en pensent pas moins, à rompre avec le droit de l’hommisme.

Cependant, les élites restent prisonnières de ce modèle. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est principalement par manque  de courage  (d’ailleurs le président Macron qui est bourré de défaut n’a pas celui d’être lâche) ou par cynisme (chercher à se mettre dans la poche les voix de telle ou telle communauté) que les dirigeants refusent de rompre avec le droit de l’hommisme mais par conviction.

Ceux qui nous dirigent pensent qu’ils protègent la société du totalitarisme en se plaçant sous l’autorité de juges hyper tatillons sur le respect des droits de l’homme. Ironie tragique, le totalitarisme dont ils veulent nous protéger et dont ils craignent qu’il s’empare de l’Etat ressurgit sous une forme non étatique, sous la forme d’organisations terroristes, de communauté religieuses fanatiques ou même d’individus isolés. On ne doit plus craindre que les États démocratiques écrasent les individus, on doit redouter que des individus ou des groupes infra étatiques ne cherchent à fracturer les états démocratiques.

Au nom de la lutte contre un totalitarisme du passé (le fascisme ou le stalinisme), on facilite la tâche à un totalitarisme d’avenir (l’islamisme). A cet égard, le sort de Mireille Knoll est cruel et édifiant : elle a échappée à Vichy et c'est pour éviter le retour de Vichy que l’on s’est empêché de mettre ses assassins  hors d’état de nuire.

-Les excuses socioéconomiques ?  Y-a-t-il une culture de l'excuse en France (avec le poids et le lobby des associations droit de l'hommistes par exemple) ?

Christophe de Voogd : Je crois qu’il y a encore plus profondément une culture de la VICTIME. L’Occident est entré depuis 40 environ, dans une phase de valorisation de la victime, de la victime absolue qui ne saurait donc jamais être un agresseur. Attitude qui, au passage, déresponsabilise et infantilise les minorités. D’où notre difficulté à admettre devant les faits les plus évidents qu’un pauvre, un homme de couleur, un musulman, ou même une femme puisse être coupable de quoi que ce soit, puisque le seul coupable de tous les abus est le mâle blanc dominant. C’est le sens de ce qu’on appelle aujourd’hui l’intersectionnalité ( qui était un concept tout à fait différent au départ): « Victimes de l’homme blanc, unissez-vous ! ». Le phénomène est encore plus fort aux Etats-Unis. Et on doit aussi comprendre l’élection de Trump comme une réaction des blancs exaspérés, qui se déclarent désormais victimes à leur tour…

Selon moi, cette concurrence victimaire est le plus grand danger pour nos sociétés, qu’elle fracture, fragmente et dont elle nourrit toutes les frustrations et ressentiments. Une seule constante par rapport à l’époque antérieure : l’antisémitisme. Seuls les Juifs n’ont pas le droit d’être victimes absolues, malgré l’Holocauste. Ils sont dénoncés (via l’image d’Israël notamment) comme agresseurs et/ou dominateurs. Aux autres donc, les « excuses » ; à eux, le rôle ancestral de bouc émissaire.

Alexandre Del Valle :Aujourd'hui la culture de l'excuse (sociologique et économique) est développée par des intellectuels de gauche et d'extrême gauche mais l'Etat lui-même n'a pas cette culture de l'excuse car il est un monstre froid. Le problème c'est bien les politiques car du moment que vous invoquez la force de l'Etat régalien vous êtes soumis à cette réduction ad hitlerum. L'Occident aujourd'hui se détruit lui-même car pour se faire pardonner ses démons du passé, il est poussé à "expier" ses fautes en prônant une forme de tolérance.

Il faut comprendre que nos lois peuvent être suffisantes et sont suffisamment efficaces dans l'absolu mais elles ne sont pas appliquées soit parce que nous n'en avons simplement pas les moyens ou parce que l'on n'ose pas défier le politiquement correct. Pourtant il n'est pas aberrant de penser que l'on pourrait consacrer moins d'argent aux clandestins qui bénéficient de la sécurité sociale universelle lorsqu'ils sont sur notre sol (ce qui nous coûte au moins un milliard d'euros par an). Pour appliquer correctement nos lois il faut déclarer la guerre au politiquement correct et aux lobbys. A mon avis la véritable impuissance politique ne se concrétise pas dans notre incapacité à produire de nouvelles législations mais plutôt dans le fait de céder aux donneurs de leçons de morale à cause d'une terreur psychologique de la culpabilisation.

Guillaume Bigot : Au sens étymologique du terme, ex causa signifiant « mis hors de cause », l’excuse socio-économique est inacceptable. Elle ne l’est pas seulement moralement, elle l’est aussi de manière factuelle.

Il suffit de lire Christophe Guilly pour mesurer que si les enfants de l’immigration maghrébine et africaine sont incontestablement défavorisés économiquement et socialement, ils ne sont pas les plus mal lotis.

Les taux de réussite (changement de catégorie sociale par rapport à ses parents, accès à des positons de cadre, réussite d’études supérieures) des habitants majoritairement « Souchiens » de la France périphérique sont plus faibles que ceux des « quartiers ». Il y a plus exclu que les jeunes Français d’origine musulmane qui fourbissent le gros des troupes des djihadistes et des islamistes.

Il faut aussi rappeler que les pouvoirs publics se sont massivement mobilisés pour aider financièrement cette jeunesse des cités. Il est certain que la cohabitation avec les forces de l’ordre est difficile et que les policiers et les gendarmes poussés à bout, notamment par le droit de l’hommisme des magistrats peuvent parfois abuser de leur autorité mais ils sont confrontés quotidiennement à une hostilité et à des comportements délictueux.

Il est scandaleux de prétendre que les immigrés sont relégués : personne ne les a obligés à venir. De même qu’il est très injuste affirmer que les institutions opèrent des discriminations. Ou alors, il faudrait préciser que de telles discriminations sont positives et favorisent les immigrés ou leurs enfants. Au sein de l’éducation nationale, par exemple, les enseignants redoublent d’efforts pour aider les jeunes issus de l’immigration qui jouissent plutôt d’un préjugé favorable. Les profs veulent souvent les aider et cela marche d’ailleurs plutôt très bien avec la majorité des filles et  avec certains garçons. Mais dans les désormais fameux territoires perdus de la République, l’exclusion est bien réelle et elle vient d’une jeunesse déboussolée et reislamisée qui refusent la culture des « koufars » ou des faces de craie.

Y-a-t-il une culture de l'excuse ? Je dirai même qu’il y a un business du droit de l’hommisme. Certaines associations ne vivent que de cela. Il faut à cet égard distinguer ce que j’appellerai les associations comme France terre d’asile ou la Licra qui correspondraient à des dames patronnesses de la fin du XIXe siècle, les migrants étant souvent (mais non exclusivement) musulmans.

Le migrant, le sans papier est, pour eux, comme un nouveau prolétaire, l’incarnation de la figure de la victime et le réflexe de charité chrétienne qui faisait, jusque dans les années 70, de l’ouvrier la figure du « prochain » à secourir, à aider, a été remplacée par celle du migrant. Le prolo français est devenu un beauf raciste (Dupont Lajoie, l’électeur type du FN) méprisable tandis que le jeune migrant musulman est devenu l’incarnation de l’injustice du monde, un héros positif.

A côté de ce charité business pseudo progressiste, on trouve une seconde catégorie d’associations plus agressives, haineuses même, qui mêle des lobbys islamistes (l’UOIF et toute la constellation de freristes ou de salafistes) ainsi que leurs compagnons de route, des neo fascistes identitaires violemment anti blanc et antisemites telles que les Indigènes de la République. Les uns et les autres partent du principe qu’ayant colonisée le Maghreb et l’Afrique, la France a accumulé une dette morale et que les immigrés et leurs enfants et petits enfants sont fondés à exiger le paiement de cette créance historique.

Il y a une sorte de droit à réparation qui s’exprimerait, selon eux, de manière légitime par une contre colonisation.

Évidemment, tous ces gens là ignorent par inculture ou par mauvaise foi qu’immigrer ce n’est seulement changer de culture mais d’histoire.

-Le refus de voir que la France a changé comme racine de l'impuissance ?

Christophe de Voogd : La France a changé sur tant de plans depuis 40 ans ! Si vous voulez parler de l’immigration arabo-musulmane, de sa composition et de ses conséquences, il est sûr que le long refus d’en percevoir l’ampleur et la spécificité (à la fois culturelle et socio-économique) est frappant dans le discours de tous les politiques de droite et de gauche, au nom du fameux « la France a toujours été une terre d’immigration »..  Davantage « le respect de la différence », que l’on s’interdisait paradoxalement de mesurer faute de statistiques ethniques, a conduit à des politiques très contreproductives. Ainsi de l’enseignement des langues et cultures d’origine qui retardait d’autant l’apprentissage du français, élément de base de toute intégration. L’enfer de la ghettoïsation a été ainsi pavé des bonnes intentions multiculturelles.

Mais j’ai une interrogation un peu dérangeante pour les uns ou les autres : la politique de Macron avec la scolarisation ultra-précoce, la lutte contre le harcèlement, la promotion de l’égalité hommes-femmes, la répression des propos violents  et antisémites sur le web, etc. n’est elle pas aussi une façon de répondre, sans JAMAIS le dire, aux défis culturels particuliers posés par les « quartiers » ? A  suivre…  

Guillaume Bigot : Si vous faites allusion aux thèses de Renaud Camus, ce sont des sornettes.

A l’évidence le peuplement ethnique de la France change. Il y a plus de « basanés » comme le diraient certains avec horreur. Moi je me souviens que les basanés étaient si nombreux dans les troupes de la France libre, celle qui ont sauvé notre honneur à Monte Cassino et ailleurs, que les Etats-Unis ont osé demander à Leclerc (qui évidemment refusa) de blanchir les régiments qui allaient débarquer en Provence. Je serai toujours du côté d’un Patrice Quarteron qui se bat pour le tricolore et contre un grand blond qui ne jure que par le modèle allemand ou américain. Camus mélange de manière scandaleuse les naissances d’enfants de nos compatriotes issus des Dom-Tom et celles des étrangers. De plus, toutes les naissances d’origine extra européenne en France ne sont pas musulmane, loin s’en faut. Beaucoup d’Africains ou de descendants d’Africains sont chrétiens.

Il est cependant vrai que, pour qu’il y ait des Français de toutes les couleurs, il doit y avoir une majorité d’enfants indigènes (Français de plus longue date) dans les classes car ce sont toujours les enfants qui assimilent. Or, le phénomène des ghettos existe et dans certaines portions de notre territoire, l’assimilation ne fonctionne plus parce qu’il y a trop d’étrangers et plus assez de Français.

Camus est très défaitiste parce qu’excessif : 60 % de la population française habite dans la France périphérique. Dans des régions où il y a très peu de musulmans. Au total, un bébé français sur trois pourrait avoir un parent extra européen. C’est beaucoup mais cela ne justifie pas cette expression scandaleuse de « génocide par substitution ». Camus est une très belle plume qui s’est égaré en politique.

- Quelles sont les racines de la permissivité face aux problèmes sécuritaires, fussent-ils du quotidien ?

Christophe de Voogd : Il y a au fond une prévention contre la répression qui relève de l’héritage de 68 (« interdiction d’interdire ») et de tout le mouvement lié à une lecture simpliste de Foucault, Bourdieu et autres contre les institutions « d’enfermement » et de « domination ». Donc, cela va bien au-delà en durée et en étendue que l’enjeu de la radicalisation islamiste. Cette culture imprègne l’éducation (dans les familles comme à l’école) et la politique pénale. Le parent, le juge, le professeur tremblent à l’idée de réprimer, voire même de réprimander. Cette évolution a aussi du bon, en ce sens que le « vieux monde » de l’ordre et de la discipline a été cause de bien des injustices et de malheurs individuels et collectifs, ne l’oublions jamais ; mais elle repose sur un rousseauisme naïf qui part toujours de l’idée, dès qu’on creuse un peu, que « l’homme est né bon et que c’est la société qui le corrompt ». Anthropologie discutable comme toute anthropologie a priori, et qui se heurte à une approche empirique : par exemple en éducation, secteur que je connais le mieux, la « bienveillance » n’a de sens (et réciproquement) qu’accompagnée de l’exigence. D’où le succès d’un Blanquer.

Guillaume Bigot : La deligitimation profonde de la notion de loi comme limite au désir par la consécration du bon plaisir individuel comme horizon indépassable. A partir du moment où notre société n’a plus de raisons justes et vraies qui surplombent l’individu et sa subjectivité, un nous qui fasse sens et qui vaudrait plus que l’addition des individus (le Parti communiste, l’Eglise, la patrie), alors tout pouvoir est vu comme purement contraignant. Ce qui explique que je n’obéisse aux lois et aux règles que si j’y suis forcé. C’est bien ce que font les multinationales ou les milliardaires qui respectent formellement les lois mais qui les tournent et les contournent au nom de leurs intérêts individuels. Aussi, je crois que l’on a tort de ne regarder que la délinquance ou le terrorisme pour comprendre ce mécanisme de démonétisation du collectif et de la loi commune. Il n’y a pas que les milliardaires ou les trafiquants de drogue qui défendent bel et ongles leurs intérêts individuels sans vergogne contre l’ordre public. Les syndicalistes de la SNCF qui veulent défendre leurs privilèges en font autant, les détenteurs de bon du trésor qui sont prêts à ruiner les États pour se faire payer les intérêts de leur prêts en font de même.

On peut dire que l’incivilité est rentrée dans les mœurs. Chacun fait désormais comme il lui plaît de faire et personne ne se permet plus  de juger qui que ce soit faire de disposer de valeurs et de normes supra individuelles. C’est le règne du relativisme moral protégé par l’ordre social et politique. Il est faux de dire que nos sociétés post modernes n’ont plus de valeurs, le bon plaisir individuel étant, au contraire, la valeur sacrée.

Alexandre Del Valle : En 2005 quand les banlieues brulaient beaucoup de pays pensaient que la France était à feu et à sang. Et l'unique souci des politiques au pouvoir à l'époque (dont Nicolas Sarkozy qui était ministre de l'Intérieur) était qu'il n'y ait pas de casse chez les émeutiers. L'unique peut était qu'un émeutier tombe sous les balles ou sous les matraques et finisse à l'hôpital. Et cela passait bien avant la sécurité des habitants dont le quartier était en feu.

Aujourd'hui les caïds ou les islamistes qui gèrent des quartiers en rupture avec la société bénéficient d'un terreau favorable car il y a des zones entières où des masses en sécession sont en mesure d'intimider l'Etat. Si l'Etat voulait casser cette sécession,  il faudrait faire comme au Brésil, envoyer des troupes d'élite et il y aurait des morts. Aujourd'hui, sans un plan de désarmement des banlieues dans lequel j'affirme la nécessité d'y envoyer l'armée  l'ordre ne pourra pas revenir. Il faut regarder la réalité en face, aujourd'hui les braves fonctionnaires de police sont incapables d'assurer l'ordre dans ces quartiers. Les seuls qui pourraient le faire sont les militaires et cela impliquerait forcément la mort de plusieurs individus.  Mais aujourd'hui un Etat démocratique multiculturaliste et culpabilisé comme le nôtre préfère laisser perdurer des zones de non droit plutôt que de risque l'opprobre et les condamnations internationales et médiatiques. Le problème étant que plus l'on attend pour agir, plus il y aura de la casse.

- Sur les défis posés par l'islam notamment sur les questions de laicité, n'y a-t-il a pas un manque d'action à cause du poids électoral de cette communauté en France ?

Alexandre Del Valle : Sur la laicité il est certain qu'à partir d'un certain nombre de musulmans il est difficile d'avoir une vraie politique souveraine qui impose les valeurs de la République. Si nous avions eu dès le départ une vraie politique d'intégration basée sur l'imposition des valeurs de notre société et l'amour de la patrie, cette perméabilité n'aurait certainement pas eu lieu d'être.

Christophe de Voogd : Permettez-moi d’observer que dans les années 70 et 80, il y avait déjà en France des millions de musulmans mais bien peu de voiles et encore moins de niqabs dans les rues…Il n’y avait presque aucun défi à la laïcité, jusqu’à l’affaire de Creil en 1989, date décisive. Victimes de leurs propres clichés, les hommes politiques ont oublié que la grande majorité des musulmans n’avaient pas de problèmes avec la laïcité et qu’un discours exigeant dans ce domaine pouvait très bien passer auprès d’eux. Certes, c’est de moins en moins vrai, car on a laissé prospérer, on a même aidé l’entreprise, l’emprise islamiste, qui était la mieux structurée et très aidée par l’étranger.

Les considérations électoralistes ont évidemment joué à tous les niveaux, national et local : la gauche en a spécialement profité, mais la droite a su aussi faire. On commence seulement à prendre conscience des pratiques clientélistes massives, notamment à Trappes. Et pourtant Gilles Kepel avait prévenu dès 1992 avec ses « Banlieues de l’Islam ».

Et toutes les études concordent : à partir de ces premiers signes laissés sans réponse ou traités avec complaisance, les problèmes  ont pris une intensité nouvelle au tournant des années 2000…Et tout cela correspond à un nouveau prosélytisme sous une forme radicale, étrangère à l’Islam traditionnel africain et maghrébin (celui qui nous concerne le plus), lié à la révolution iranienne, à la politique saoudienne, qatari et désormais turque.

Guillaume Bigot : Les effets de bord électoraux existent déjà en banlieue. Les communes, certains départements ou certaines circonscriptions sont déjà concernées, sinon par un chantage électoral (celui-ci existe mais est très local et très limité), du moins par un réflexe d’autocensure de la part du politique. Surtout ne pas afficher de position favorable à Israël ou encore ne pas critiquer l’islam, ne pas nommer l’ennemi islamiste, etc.

Or, je crois que le pire est devant nous. Pourquoi ? D’abord en raison de l’entrisme extrêmement efficace réalisé par les Frères musulmans, par exemple, qui se sont infiltrés dans les associations sportives, les syndicats, les tissus locaux et bien sûr les partis politiques. Plus généralement et c’est aussi un signe positif, une bourgeoisie française d’origine musulmane émerge. C’est très encourageant car cela révèle que l’assimilation fonctionne en France. Mais de quel côté cette bourgeoisie comme on dit va basculer à l’avenir ? L’attitude des autorités va s’avérer décisive. La politique de gêne, de malaise, de contrition permanente, l’absence de fierté nationale et l’exaltation des différences ne joue pas en faveur du ralliement symbolique de ces Français musulmans qui ont réussi à un idéal républicain de droit à l’indifférence  religieuse. Dans un contexte de tensions inter communautaires,  ces « capacités » issus de l’immigration musulmane peuvent être sensibles aux sirènes du chantage aux origines : vous êtes des traîtres, vous oubliez d’où vous venez, vous reniez votre identité, etc.

Ensuite, la bienpensance ambiante favorise la promotion de jeunes issus de l’immigration musulmane. Ce serait formidable si cela n’aboutissait pas parfois à faire avancer les pions des islamistes.

En résumé, je demeure à la fois optimiste en ce qui concerne la majorité des Français d’origine musulmane et pessimiste voire très sombre concernant le sort auquel s’expose à  moyen ou long terme la minorité qui refuse volontairement de s’assimiler.

2 Français musulmans sur 3 sont déjà totalement fondus dans le peuple français. Beaucoup sont d’ailleurs exaspérés - et on peut les comprendre - que l’on cherche à les désigner comme « les musulmans » dans la mesure où comme beaucoup de leurs compatriotes ils n’ont pas de pratique voire de croyances religieuses.

Mais il demeure une minorité reislamisée et hostile. Celle qui n’était pas Charlie et qui a applaudi aux attentats de Trèbes et de Carcassonne. Si l’on se réfère à l’histoire longue des Français et que l’on se rappelle de ce qu’il est advenu des Albigeois, des Huguenots, des émigrés sous la révolution ou encore des collabos en 1944, on est en droit de se demander si l’avenir de ceux qui prétendent « niquer la France » est vraiment sur notre sol.

Ce qui est triste dans cette histoire, c’est que ces jeunes en haïssant leur pays se haïssent eux-mêmes et leur rage exprime un immense dépit amoureux.

Mais pour en faire des Français, il faudrait refaire la France,  ce qui est une autre histoire.

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