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Laïcité : pourquoi les propositions du rapport "choc" Clavreul ne résoudraient pas grand chose
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Finalement

Dans un rapport remis au ministre de l'Intérieur, le préfet Gilles Clavreul propose une série de mesures pour défendre une laïcité en danger.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Le rapport Clavreul  sur la laïcité qui a été révélé dans le Figaro n'est-t-il pas paradoxal dans le sens où il prône la fermeté et une vision très stricte de la laïcité mais évite au maximum l'emploi du mot islam ?

Bertrand Vergely : Ce que j'aperçois depuis quelque temps en France c'est que c'est l'islam qui pose la question de la laïcité dans la mesure où il y a de la part d'un certain nombre de musulmans "radicaux" hommes et femmes le désir d'afficher radicalement une attitude religieuse. On peut parler du voile islamique, le paradoxe c'est que comme on n'ose pas aborder directement l'islam en critiquant l'intégrisme islamique, qu'est ce qu'il se passe ? On convoque toutes les religions. Et alors que le catholicisme ne pose aucun problème de laïcité, on englobe toutes les religions. Il y a une véritable gêne dans la manière dont on parle de laïcité et je crois qu'il faudrait oser aborder directement la question de l'islam et de l'intégrisme islamique. Mais c'est trop tard à mon sens, car l'intégrisme islamiste a déjà gagné au vu de ses manifestations visibles et tolérées.

On est aujourd'hui devant la pire des choses, la laïcité qui était une question de droit devient une question de police. Le phénomène est grave car certaines populations sont poussées à la révolte par des prédicateurs islamistes et des agitateurs politiques.

Mais aujourd'hui on ne peut pas parler de laïcité en en prônant une vision aussi rigoriste tout en ne parlant pas d'islam.

Ghaleb Bencheikh : La réponse est claire. Il ne faut surtout pas être frileux à l'idée de poser les bonnes questions et d'utiliser les bons mots. Si on est animé de bonnes intentions et qu'on a envie de sortir par le haut d'une situation de crise, il vaut mieux dire ce qui ne va pas ou poser des questions qui deviennent le lieu de médiation du débat et de la recherche de la sortie de crise. Quand on est animé de bonnes volontés, quand on a le cœur à la sortie de crise et qu'on a envie de trouver une solution, il vaut mieux nommer ce qu'il ne va pas. Si c'est le cas de l'Islam, autant le faire. 
De nos jours, pour des raisons qui nous dépassent, le monde musulman d'une manière générale est en crise. Et la frange islamique de notre nation est aussi en crise. La jeunesse est en recherche de repère et a besoin d'être sécurisé par des normes. Plus elles sont drastiques alors plus elles paraissent sérieuses et solides. Il y a des doctrinaires, des idéologues qui mobilisent cette angoisse, cette perte de sens pour d'autres agendas de type politico-religieux. On est plutôt dans l'idéologie et c'est là que ça pose problème. Il faut être vigilant, y répondre sérieusement et intelligemment. 

Ne serait-il pas judicieux plutôt d'employer le mot islam pour amorcer un dialogue face aux problématiques qui se posent aujourd'hui en France et parler sereinement des pratiques qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas ?

Bertrand Vergely : Il ne faut pas parler d'islam mais de République. Il faut dire "voilà ce que la République est prête à accepter et voilà ce qu'elle n'est pas prête à accepter". C'est à partir de là que l'on va pouvoir avancer... Il faut parler des choses qui peuvent paraître comme gênantes comme l'invasion de l'espace public par des signes ostentatoires. Il faut parler de la chose politiquement en disant que "nous n'avons pas de problème avec l'islam comme religion, en revanche on a un problème avec ceux qui l'instrumentalisent pour des régions politiques". Le fond de l'affaire n'est pas un problème religieux mais un problème politique. Les vrais religieux ne sont pas en train de s'afficher et évoluent dans leur intimité. Ceux qui ont décidé d'afficher le voile ont décidé de prendre le pouvoir politique en se victimisation pour culpabiliser ceux qui osent poser les questions.

Moi je ne pense pas qu'il puisse y avoir de dialogue avec ces gens et personne n'a envie d'avoir un dialogue. On aimerait que les éléments les plus "radicaux" se calment et l'on ne sait pas comment faire pour y arriver.

Ghaleb Bencheikh : Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde disait Camus. Dans l'affaire de l'islam, il y a deux appréciations : il y a la frange islamique de la nation qui, me semble-t-il, perçoit depuis trois décennies qu'on ne cesse de parler que d'elle et de sa religion et, paradoxalement, il y en a d'autre qui n'en parlent pas ou qui disent qu'on en parle jamais. Il vaut mieux y aller sérieusement et franco. Allons-y, parlons-en. Autant faire le bon diagnostic et poser les vrais problèmes. Avec un minimum de bonne volonté et d'intelligence on finira par trouver des réponses sérieuses, à la hauteur de la nation française et ces solutions pourraient s'exporter ailleurs, qui sait. 

Cette vision de la laïcité qui pousse à une négation du fait religieux n'est-elle pas vouée à l'échec car ce dernier peu importe les règles édictées ne disparaitra pas ? Est-ce que cette vision n'est pas source de tensions et serait au final bien plus problématique que les cantines hallal dont l'article fait mention ?

Bertrand Vergely : Tendre à cette négation du fait religieux dans cette vision de la laïcité n'a pas de sens. A ce moment-là en poussant la logique, il faudrait raser toutes les églises, supprimer les croix dans les cimetières. Peu importe les règles édictées, il est important de comprendre que la religion en elle-même et sa pratique ne disparaitra pas. Il y a des choses sur lesquelles il convient d'être intransigeant. Il faut dire non à ceux qui utilisent l'islam sous prétexte de coutume religieuses alors qu'il y a un but politique.

Actuellement les choses sont à deux vitesses. Au niveau des entreprises, ces dernières ont un règlement intérieur dans lequel elles mettent les choses au point. Le travail qui ne se fait pas de la part de l'Etat se fait dans les entreprises aujourd'hui. La laïcité est un problème qui est ingérable en France car on est dans une laïcité de type juridique et on a été incapable de constituer une vraie laïcité, c'est à dire une vraie unité populaire.

Le fond du problème c'est que l'Occident a fait l'erreur d'opter pour la mort de Dieu et l'absence totale de religion. Le seul problème de régler la question de la laicité est d'être dans l'hospitalité en assumant les racines chrétiennes de la France dans laquelle d'autres religions sont acceptées. Actuellement la question du droit favorise les discussions à l'infini.

Ghaleb Bencheikh : Qu'elle soit vouée à l'échec probablement oui. Mais il me semble qu'il y a deux thèses concurrentes : ceux qui disent que de toute façon la longue maturité de l'humanité fera en sorte que l'on finira par s'affranchir de la religion (de la même manière que nous sommes passés de l'âge théologique à l'âge métaphysique etc…). Et d'autres qui leur rétorquent qu'il y a un invariant besoin de transcendance, que le fait religieux restera. De ce point de vu là, cette vision d'un laïcisme ne prendra pas. Le rôle du laïque, c'est de permettre la rencontre. 

Assurément oui, simplement d'aucuns vont dire "on a peut-être trop ménagé l'islam, il vaut mieux y aller bille en tête". Je ne suis pas sûr que ce soit la solution.  Ce n'est pas dans l'affrontement que les choses se résolvent. 

Concernant le laïcisme, j'ai toujours trouvé que le suffixe en "isme" était contre productif et étouffe la racine. On le voit avec l'écologisme, le marxisme. Il ne faut pas confondre le laïcisme et la laïcité. La laïcité est un principe juridique. C'est un concept sans contenu substantiel de type idéologique. C'est un principe de déconnexion de la politique d'avec la religion. 

"C'est la loi qui garantit de libre exercice de la foi aussi longtemps que la foi ne prétend pas dicter la loi". Nos compatriotes musulmans doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas se prévaloir de leur propre religion ou d'une vision étriquée de leur propre religion pour nous imposer leur vision du monde. Surtout toutes les idioties relatives à la loi de dieu, la charia etc… 

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