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Déficit commercial record : le symptôme d’un échec bien plus grave qu’un simple déséquilibre de notre balance extérieure
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Puits sans fonds

Une nouvelle fois et malgré une croissance repartie à la hausse, la France n'arrive pas à redresser sa balance commerciale. En seulement un an, à cause de la hausse du pétrole, le déficit énergétique s'est creusé de 7,5 milliards d'euros.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico : Une nouvelle fois, et malgré les bons chiffres de la croissance 2017, la France ne parvient pas à redresser sa balance commerciale, dont le déficit a progressé de 28.9% au cours de cette année passée pour s'afficher à 62.3 milliards d'euros. Quelles sont les véritables questions que la France doit se poser dans un objectif de renforcement de ses capacités exportatrices ? 

Jean-Paul Betbeze : Le problème du commerce extérieur français est de plus en plus grave. Il n’est pas seulement que le déficit se creuse, passant de -48,3 à -62,3 milliards d’euros entre 2016 et 2017, mais qu’il augmente, alors même que l’activité économique repart. Certes, la hausse du prix du pétrole explique une grande part de cette contreperformance : 70%. Le déficit énergétique est ainsi de -39 milliards d’euros en 2017 contre -31,5 en 2016, soit une détérioration supplémentaire de -7,5 milliards sur un total de -10,7 (données CAF/FAB). Mais la détérioration totale est de 10,7 milliards : il faut donc aller chercher du côté des produits manufacturés pour -5,3 milliards, le solde de la détérioration étant lié aux autres produits, dont l’agriculture- déficitaire.

Le creusement régulier du déficit de la balance des produits manufacturés : -25,9 milliards en 2015, -35,3 en 2016 et – 40,6 en 2017 nous donne une leçon : quand les choses vont mieux en France, nous sommes plus tributaires des importations, notamment allemandes. Le déficit passe avec notre voisin de -14,2 milliards en 2016 à 17,4 en 2017 : 3,1 milliards de plus. Au fond, le déficit qui se creuse sur un an de 10,7 milliards, c’est le pétrole pour 7,5 et l’Allemagne pour 3,1 !

Les conséquences mécaniques sont assez simples (trop) : réduire la facture énergétique, renforcer l’appareil industriel. Réduire la facture énergétique, c’est réduire les fameuses passoires de l’habitat et augmenter le prix de l’essence pour pousser aux économies et aux changements de véhicules (mais ce n’est pas « populaire »). Renforcer l’appareil industriel, c’est renforcer la taille et la marge des entreprises du domaine, singulièrement moins nombreuses, moins rentables et moins exportatrices que leurs concurrentes allemandes.

Si le déficit commercial est à la hausse, le détail des chiffres révèle une croissance des exportations de 4.5% au cours de l'année 2017. Quels sont encore les atouts de la France en la matière ? Quels sont les points forts du pays qui méritent à être renforcés dans une logique « d'avantages comparatifs" ? 

En matière d’industrie, il ne s’agit pas d’être moins cher, si la qualité n’est pas au rendez-vous. Qualité voulant dire fiabilité, délais, suivi, proximité de la demande, assurances de qualité, longévité, plus (de plus en plus) contenu « vert » et socialement responsable…C’est bien pourquoi le « hors coût » et le « hors prix » deviennent de plus en plus décisifs par rapport au prix. Ceci implique de former, de renforcer l’apprentissage et le sens de la qualité totale, bref – encore une fois – de soutenir la marge. Réduire les freins et les complexités, réduire des charges qui pèsent sur les salaires à 2 SMIC et plus plutôt qu’à 1 SMIC (l’inverse de la philosophie du CICE) : voilà ce qu’il faudra faire et dire. Mais rien ne sera rapide : les achats industriels à l’Allemagne prouvent à quel point nous sommes tributaires des avancées allemandes. En même temps, il faudra avoir le courage d’expliquer ce qui se passe du côté de l’agriculture, si nous ne voulons pas des fermes de 1000 vaches pour des raisons de santé animale, mais achetons les fromages allemands ou néerlandais (qui viennent de fermes de ce type, où œuvrent les travailleurs immigrés européens), parce qu’il est moins cher ! Il faut donc cesser de regarder les « grands contrats » (avec souvent des conditions drastiques, dont de transfert de technologie) et des « grands noms », mais la masse des exportateurs qui, aujourd’hui reculent.

Quels seraient les décisions les plus importantes à prendre pour en arriver à placer la France dans une situation exportatrice satisfaisante pour le pays ? Dans quels délais de telles décisions seraient-elles à même de rétablir la balance commerciale du pays ? 

D’abord, la France n’exporte pas seulement des biens, mais aussi des services, les deux étant liés. Or la balance des services, « traditionnellement » excédentaire, voit son excédent passer à 5 milliards contre 25 en cinq ans. Nous perdons en parts de marché dans ces deux domaines : non seulement « désindustrialisation de qualité », mais « déservicisation de qualité ». Il y a déficit des services de tourisme, au-delà des attentats, avec la montée de l’Espagne et de l’Asie (et les voyages des Français) et avec aussi la qualité des offres. Les transports routiers et aérien sont en crise, par les prix surtout, donc par les coûts salariaux, sachant que la qualité est évidemment normée. Le plus dramatique est le déficit de 5 milliards des services aux entreprises : délocalisations du travail, off shore, sous-traitance…

Il faut le dire : le site France est en cause, prix et qualité, simplification et baisse des charges, montée en gamme, qualité en hausse, ingénieurs compris. Pour avancer, encore une fois, il faut simplifier, réduire les charges et laisser faire les entreprises, en liaison avec les écoles d’ingénieurs, les facultés et les IUT ! Il faudra des années, mais pas de plan, plus de souplesses et de marges !

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