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Evasion fiscale : les vrais responsables existent et participent au bal des faux-culs de la politique
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Atlantico Business

Cette affaire d’évasion fiscale a relancé un débat sur lequel la classe politique française se jette pour faire oublier ses propres turpitudes.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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La plus grande capitalisation boursière qui déménage son siège de l’Irlande à l’île de Jersey… Apple et beaucoup d’autres ont été épinglées dans cette enquête internationale, les « Paradise papers ».

A partir d’une information un peu contestable qui établit à 350 milliards d’euros le montant des capitaux qui se serait soustrait à la fiscalité des différents grandes pays occidentaux, la classe politique s’est offert un débat surréaliste, biaisé et hypocrite et qui a permis finalement d’occulter les vrais sujets et les vrais coupables.

Les responsables politiques, y compris les plus sérieux, en ont profité pour fustiger les fraudeurs et l’argent sale, le blanchiment, la fuite des capitaux et  les paradis fiscaux réservés comme toujours aux plus riches et aux plus malins, pour terminer par expliquer que si les budgets nationaux avaient autant de difficultés à trouver leur équilibre et que si les modèles sociaux manquaient de moyens pour venir en aide à ceux qui en ont besoin, c’est bien parce que l’argent public s’évadait au mépris parfois de la loi. D’où la tentation de dénoncer, de réprimer, au nom de l’émotion et de la morale, plus souvent qu‘au nom de la loi. On voudrait alimenter le pessimisme et le populisme, on voudrait que la démocratie fonctionne à l’émotion et l’ignorance plutôt qu’au respect des faits et à l’information qu’on ne s’y prendrait pas autrement.

Ce débat sur l’évasion fiscale est un championnat du monde des faux culs dont le principal carburant est la confusion.

La 1ère des grandes confusions : celle entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale. La fraude fiscale est le résultat du non-respect de la loi. L’argent mal acquis dans des activités prohibées (prostitution, drogue, commerce des armes, industrie du rapt et détournement de fonds) est très souvent caché dans des myriades de sociétés financières de façon à effacer la source. Cet argent revient une fois blanchi dans des activités économiques normales ou stocké dans des banques offshores protégées par le secret bancaire. Cet argent est recherché, pourchassé. Selon les sources non vérifiées, il représenterait entre 30 et 80 milliards par an. Les Etats ont fait beaucoup de progrès pour s’équiper de moyens d’investigation et même d’échange de données. Et quand les députés demandent que ces coupables de fraude fiscale soient privés de leurs droits civiques, ils ont raison. Ils ont d’autant plus raison que ça existe déjà dans la plupart des grandes démocraties occidentales. En France, le juge a tous les moyens juridiques pour envoyer un fraudeur en prison et le priver de ses droits civiques. Alors, on peut toujours déposer un amendement pour renforcer ce qui existe déjà mais ça ne changera pas la face du monde. Ce qui changerait la donne, c’est le renforcement des moyens d’investigation et une meilleure coopération internationale. 

L’évasion fiscale est totalement différente. L’évasion fiscale est (sauf preuve du contraire) légale. L’évasion fiscale est le résultat de ce qu'on appelle l’optimisation fiscale, c’est à dire l’utilisation par tous les moyens juridiques de toutes les dispositions légales qui permettent de payer le moins d‘impôts possible. Et tous les Etats, en fonction de leurs besoins, ont créé des niches fiscales pour les uns, des exonérations d’impôts pour les autres.

Une entreprise qui possède un important centre de recherche a bien raison de positionner ce centre de recherche en France, puisque la France lui offre un crédit d’impôt recherche qui en a fait un véritable paradis fiscal pour le monde entier. Quand un épargnant choisi une assurance vie parce qu’il paie moins d’impôts et qu‘il sera exonéré de droits de succession, il a bien raison. Mais allons plus loin, lorsque les grandes entreprises multinationales européennes (dont les françaises) centralisent leur profit sur Rotterdam, ça n’est pas pour le climat, c’est pour la fiscalité light.

Les exemples sont multiples. Quand Apple choisit l’Irlande pour faire remonter ses profits européens, c’est parce que le taux d‘imposition y est le plus faible. Quand l’Irlande annonce qu‘elle va relever ses taux d’impôt sur les sociétés et qu’Apple prend la décision de déménager sur Jersey, c’est parce que Jersey lui offre une exonération fiscale totale, quoi que l’entreprise puisse en dire.

Quand Dassault livre ses avions dans des pays où on ne perçoit pas la TVA, l’île de Man par exemple, son client gagne 20%. Les financiers de la famille royale britannique ou les conseillers de Bono seraient bien sots de ne pas faire profiter de ces avantages à leurs clients. Sots ou incompétents. Dans les deux cas, ils ne mériteraient pas leur job car ils sont payés pour ça.

Alors, si ces pratiques heurtent la morale, c’est une autre histoire.

La 2ème confusion réside donc entre la morale et la loi. Si l’évasion fiscale est la plupart du temps légale, elle est très souvent considérée comme immorale par une grande partie de l’opinion. La question sera donc de savoir qui de la loi fiscale ou de la morale a le pouvoir. Que la morale puisse influencer la production de loi, sans doute, mais encore faut-il débattre des faits, de leur cohérence, de leur réalisme. Personne, aucun groupe idéologique ou religieux, ne peut s’arroger au nom de sa morale la liberté de faire le droit. Et chaque fois que la démocratie a été sous l’emprise d’une émotion morale, elle a accouché de dispositions inacceptables, injustes ou inéquitables, parfois même de gouvernances très violentes. L’histoire regorge d’exemples.

La 3ème confusion est celle qui règne dans le maquis des responsabilités. Il est évident que, sans une connaissance sérieuse des faits, les donneurs de leçons auront beau jeu d’accuser les riches, les profiteurs, les élites, bref de développer un écosystème très populiste avec des arguments les plus démagogiques.

Les causes et les responsables de l’évasion fiscale sont multiples. Mais l’évasion fiscale s’est développée au carrefour des législations fiscales locales confrontées aux effets de la mondialisation.
La mondialisation a offert la liberté de circulation pour les produits, les services, les hommes et les capitaux. Mais les législations administratives et fiscales sont restées nationales. Donc l’intérêt de chacun est de profiter de cette liberté de circulation pour utiliser la fiscalité la plus favorable à ses intérêts, quoi de plus normal.

C’est aux gouvernances nationales de se défendre, c’est aux hommes politiques de se défendre. Plutôt que de crier au loup, c’est à eux de se mobiliser. Comment :

D’abord, en réduisant leur taux de fiscalité pour décourager ou dissuader les tentations d’aller voir ailleurs.

Ensuite, en négociant des accords de coopération avec les autres pays. L‘avenir est bien évidemment à l’harmonisation et à la coopération internationale. Mais dans ce domaine comme dans d’autres, on est très loin d’une volonté de gouvernance mondiale.

Plus grave, les politiques et les analystes les plus violents à dénoncer les procédures d’évasion fiscale sont aussi les plus souverainistes et les plus attachés à l'expression d’une démocratisation fondée plus sur l’émotion que sur la connaissance rationnelle des faits.

Les plus fervents pourfendeurs de l‘optimisation fiscale devraient être les plus convaincus pour mettre en place des coopérations internationales et notamment européenne. Or, ce n’est pas le cas.

Qu’on ne s’y trompe pas, les indépendantistes de la Catalogne sont en majorité des riches qui ne veulent plus payer d’impôts pour les pauvres de l‘Espagne andalouse.

Qu’on ne s’y trompe pas, les partisans du Brexit, qui ne sont pas les derniers à dénoncer l’optimisation fiscale, ont dans leur plan le projet de faire de l’Angleterre un paradis fiscal pour le reste de l’Europe et du monde.

Ce double langage est fondé sur une contrainte : la nécessite de rester dans le jeu de la mondialisation. Cette nécessité passe par l’obligation d’offrir une attractivité forte. Et parmi les outils de l’attractivité, tous les pays ont dans leurs tiroirs des outils fiscaux. L’harmonisation fiscale mondiale n’est pas pour demain. Le championnat du monde des faux-culs de la fiscalité a encore de beaux jours à vivre. 

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