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Il y a 500 ans, Martin Luther créait l’église protestante et inventait, sans le savoir, l’ubérisation de la société.
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Atlantico Business

Les protestants Français se retrouvent ce weekend à Strasbourg pour fêter les 500 ans de la réforme initiée par Luther, qui a sans doute changé la civilisation occidentale.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les docteurs en théologie ne m’en voudront pas, mais les historiens de l’économie pourraient dater la naissance de « l’uberisation » en octobre 1515. Il y a 500 ans. C’est à la fin d’octobre 1517 que le pasteur Martin Luther affichait les 95 thèses contre les indulgences et donna le départ à la scission avec l’église catholique.

Mais en réalité, ce qu’il y a eu, après plus de deux siècles de guerres de religions, c’est que Luther a donné naissance à un formidable mouvement d’émancipation qui a évidemment impacté les modèles de développement des sociétés occidentales et même de la civilisation chrétienne.

Les pasteurs ne m’en voudront pas, parce que dans la culture protestante, on ne peut en vouloir qu’à soi même.

Luther a sans doute été le premier entrepreneur Uber du monde moderne.

Qu’est ce que la réforme, sinon un mouvement puissant d’émancipation des chrétiens par rapport à l’emprise de l’église catholique, sa hiérarchie, ses dogmes, son organisation pyramidale rigoureuse, son clergé, sa papauté, ses évêques tout puissants, ses tribunaux, son droit écrit etc?

Luther a prescrit cette nécessité d’un rapport direct entre l’être humain et Dieu. Il a banni les intermédiaires. D’où la guerre permanente et qui a duré deux siècles avec le clergé.

Uber, Airbnb, Blablacar, Booking, n’ont rien fait d’autre que de simplifier au maximum les rapports entre le client-consommateur et son fournisseur au point de réinventer l’économie du partage, l’économie collaborative dans laquelle le consommateur partage.

Chez les protestants, ça n’est pas l’appareil collectif, l’église ou l’Etat qui compte, c’est encore moins la domination extérieure. Ce qui compte, c’est l’être humain, sa liberté individuelle et sa responsabilité individuelle, sa lucidité et sa capacité à tenir compte des contraintes de la vie en société. Pas besoin d’église, des temples suffiront. Pas besoin d’intermédiaires officiels, chaque fidèle pourra être pasteur. Ce qui compte, c’est la bienveillance, la charité, certes, mais ce qui compte beaucoup plus, c’est la transmission du savoir, la formation et l’indépendance.

L’économie libérale et capitaliste s’est développée sur ces valeurs-là, après que les outils aient été autorisés. Notamment le crédit et le prêt avec intérêt, qui ont permis de financer l’investissement, c’est- à-dire de se projeter dans le long terme. Mais le crédit qui était interdit par les catholiques, comme tout le commerce de l’argent, a permis de sortir de l’hypocrisie et a légalisé l’épargne et la rémunération de l’effort.

Les mouvements protestants, qui se sont surtout développés en Europe du Nord, ont permis au monde anglo saxon de prendre le train du développement économique et de la prospérité beaucoup plus vite que partout ailleurs dans le monde.

Alors, si beaucoup de protestants ont insufflé l’esprit de la révolution française au 18ème siècle, l’abolition des privilèges de la naissance notamment, s’ils ont permis l’émancipation politique par rapport à l’emprise des nobles et du clergé, c’est dans les pays anglo-saxons que les églises réformées ont facilité la révolution industrielle, au début du 19ème siècle.

En France, il a fallu attendre Napoléon III, libéral et libertaire, entouré de conseillers de culture protestante, pour prendre le train de la modernité industrielle. La machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité, l’automobile au début du 20 e siècle.

C’est à cette époque que le corps des ingénieurs qui a fourni beaucoup de pasteurs protestants, a pris une grande partie du pouvoir économique en le partageant avec des familles juives.  Dans la banque, (avec la Société générale), les travaux publics avec Gustave Eiffel, Schlumberger, et enfin l’automobile.

La construction automobile française illustre bien cette répartition des cultures dans le management et l’évolution de ces entreprises.

A la fin du 19ème, il y avait des centaines de constructeurs automobiles en France, comme partout, un peu comme aujourd’hui il y a des milliers de startup digitales. Mais très vite, trois grands constructeurs ont émergé.

Louis Renault, le fils d’une famille parisienne qui s’était enrichie dans le textile, et qui s’est pris de passion pour la mécanique. Son éducation catholique sévère (un peu radicale) a dominé sa vie, une vie qui s’est mal terminée compte tenue de sa bienveillance à l'égard de l’occupant allemand. Louis Renault avait du mal à dissimuler son antisémitisme. Il haïssait son principal concurrent qui habitait quai de Javel en face de chez lui, qui n’était autre que André Citroën.

André Citroën était un enfant pauvre d’une famille juive émigrée de l’est. Il s’appelait Citroën, parce que son grand père, au nom imprononçable a changé de nom en débarquant à Rotterdam. Et comme il vivait là, en revendant les agrumes sur le port, Citron ou Citroën, lui a semblé bienvenu. Pourquoi pas, en effet ! Mais André Citroën, lui, a réussi à faire Centrale, il appartenait donc à cette bande des centraliens entrainée par Eiffel et qui pensait que grâce à la technique, tout était possible pourvu qu’on ait l’audace et le goût du risque. Une valeur que partagent les juifs avec les protestants.

Et puis à l’est de la France, il y avait la famille Peugeot, « plus protestants que les Peugeot, ça n’existe pas en France » encore aujourd‘hui. La rigueur et l’éthique protestante, on la retrouve partout dans le fief des Peugeot. La discrétion, l’humilité et même l’austérité.

La majorité des protestants français, qui sont plus calvinistes que luthériens, va se retrouver à Strasbourg ce week end. Il n’y a pas de grande différence entre les calvinistes et les luthériens.

Luther était allemand donc l’Allemagne est principalement luthérienne, l’est de la France aussi.

Calvin était pasteur français, beaucoup de Français protestants se réfèrent plutôt aux enseignements de Calvin qui sont parfois jugés plus radicaux, plus sévères dans la morale personnelle que ceux de Luther, mais les spécialistes en théologie nous expliquent aussi que les française ayant été très minoritaires dans des régions du sud, dominés par des chrétiens catholiques se sont protégés des menaces et souvent des massacres, par un comportement très sévère.

Le monde du protestantisme français ne fait pas de différence.

Ce qui est intéressant dans cette histoire de la société, c’est que la révolution digitale a été portée au départ principalement par des ingénieurs américains impactés par les valeurs juives ou protestantes. Seattle, San Francisco, New York sont des cités où l'écosystème est façonné par l’esprit de réforme.

Ce qui est passionnant, c’est que l’outil digital qui est en train de toucher la civilisation mondiale, est un outil qui valorise la relation directe et la responsabilité individuelle.

Sans aucun jugement de valeur ou de gout pour la provocation, l'être humain est aujourd'hui seul face à son ordinateur, seul face au monde entier, seul face à ses amis de Facebook. La communication est horizontale. Rien ne vient d’en haut.

Exactement comme le prescrivait Luther, seul face à Dieu, sans intermédiaire, sans influence ou sans domination extérieure. 

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