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Emmanuel Macron dans les starting-blocks pour réformer le travail détaché en Europe
©Reuters

Finies les vacances !

Dans la perspective d'une négociation sur la question des travailleurs détachés, Emmanuel Macron s'apprête à faire une "tournée" des pays de l'est.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Dans la perspective d'une négociation sur la question des travailleurs détachés, Emmanuel Macron s'apprête à faire une "tournée" des pays de l'est ; Roumanie, Bulgarie, mais également l'Autriche. Deux dirigeants se rendront à Paris pour rencontrer le Président Français. Quels sont les moyens dont disposent Emmanuel Macron pour convaincre les pays bénéficiant le plus des règles relatives aux travailleurs détachés, d'accepter sa proposition de réforme visant à restreindre le travail détaché à une période d'un an ? 

Rémi Bourgeot : Le système des travailleurs détachés tel qu’il existe aujourd’hui est politiquement caduc. Cette question est sur la table depuis un certain temps déjà, et même la Commission, avec son président J.-C. Juncker, a pris position pour une refonte et une limitation du dispositif. La France est à la pointe sur ce dossier car les tensions sont déjà très tendues entre l’Allemagne et les gouvernements d’Europe centrale, si bien que Berlin ne veut pas s’impliquer trop directement. La réforme de ce système ne nécessite pas l’unanimité donc le rapport de force est très défavorable aux pays d’Europe centrale qui souhaiteraient, a priori, ne rien y changer. Cette réforme ne présente cependant pas d’inconvénient majeur pour eux et renvoie en réalité à un jeu politique plus large. 

Les négociations portent essentiellement sur la durée limite d’une « mission » d’un travailleur détaché et sur l’alignement de sa rémunération sur les standards du pays d’accueil. Les pays d’origine des travailleurs souhaitent éviter que la négociation aboutisse à une durée inférieure à un an donc ils font pression en faveur d’un point de départ supérieur. 

Le système des travailleurs détachés peut, dans des conditions d’encadrement incomparablement plus strictes qu’aujourd’hui, présenter quelques avantages pour assurer la continuité des opérations d’une entreprise étrangère qui n’aurait pas tous les relais locaux à un moment donné. Mais s’il doit continuer à s’agir d’un système de dumping insensé, les responsables politiques d’Europe occidentale dont Emmanuel Macron, malgré leur euphorie apparente, ont tout à fait compris que les populations sont de moins en moins prêtes à accepter ce genre de folie. A l’opposé d’un quelconque libéralisme, le dispositif de travail détaché, tel qu’il a été conçu initialement, constitue en réalité une violation de l’Etat de droit, sous couvert de dispositif légal, et relève donc d’une dérive autoritaire du cadre communautaire.

Quels sont les rapports de force européens sur ces questions ? Emmanuel Macron a-t-il raison d'approcher les pays de l'est qu'il considère avoir été ignorés par ces prédécesseurs ? Comment la relation avec Berlin peut elle s'inscrire dans cette volonté ? 

Emmanuel Macron a évidemment raison d’approcher les pays d’Europe centrale et orientale (bien que l’itinéraire de son déplacement apparaisse quelque peu bancal…). Il faut en tout cas espérer que, tout en étant intransigeant sur le travail détaché, il saura extirper le débat du jeu de postures actuel, d’une part et d’autre, et engager une véritable relation avec ces pays. Les dérives liées à la remise en cause de l’Etat de droit dans certains pays comme la Hongrie ou la Pologne doivent être condamnées fermement, mais il faut se garder de tout mélanger. L’Europe centrale dans son ensemble est traversée de doutes de fond quant à l’Union européenne et il serait contreproductif de s’adresser à ces gouvernements en émissaire de Bruxelles ou de Berlin, en prétendant que l’Union européenne ne traverse pas une crise existentielle. La question du travail détaché, aussi irritante soit-elle, n’est pas très compliquée. Un certain nombre de pays, opposés à cette réforme, savent qu’ils ne sont pas en position de force. En dénonçant cette réforme du travail détaché comme une prétendue remise en cause des principes du Traité de Rome, ces gouvernements espèrent surtout obtenir des contreparties en ce qui concerne en particulier la question épineuse de l’accueil de réfugiés.

Concernant les effets pratiques d'une telle réforme, s'agit il plus d'un enjeu symbolique ou d'une véritable avancée en termes de "protection". Faut il y voir plus une posture qu'un véritable enjeu économique ? 

Le travail détaché est concentré sur certains secteurs comme la construction et, au final, il concerne environ 1% des travailleurs de l’Union européenne. On ne peut pas dire que ce système conditionne véritablement l’économie d’un pays ou a fortiori de l’Europe. Il est cependant loin d’être négligeable, économiquement parlant, et il est politiquement catastrophique. La démarche visant à réformer ce système peut être considérée comme une posture si elle tend à faire penser que ce système bénéficie d’un large soutien et que sa réforme nécessite un assaut héroïque. Ce n’est plus le cas.

Ce système aberrent est la pointe émergée de l’iceberg en ce qui concerne le nivellement par le bas qui structure l’Union européenne d’un point de vue économique et technologique. Il est dérangeant de voir les pays d’Europe centrale autant pointés du doigt alors que les coûts salariaux allemands ne sont jamais évoqués par le gouvernement français. Le grand bond en avant fédéraliste dont on parle depuis l’élection d’Emmanuel Macron n’aura pas lieu, car il est absolument rejeté en Allemagne. On pourrait donc s’attendre à voir se développer à la tête de l’Etat français une stratégie plus réaliste et plus concrète de rééquilibrage européen. Il n’en est rien, et la question du travail détaché, aussi importante soit-elle, risque de servir de quitus en matière de réforme européenne. 

L’Union européenne est devenue une gigantesque machine à abaissement salarial et à excédents commerciaux à faible contenu technologique. Le principal problème lié à cette tendance, c’est que celle-ci se déploie au détriment de la montée en gamme et des gains de productivité, aussi bien en Europe occidentale qu’orientale. L’Allemagne, du fait en particulier de sa spécialisation sur l’automobile, est parvenue à prendre le train de la robotisation mais ça n’est guère le cas de l’Europe dans son ensemble. Derrière l’impératif superficiel d’une technophilie iPhonesque, l’Europe, et la France en particulier, naviguent à vue sur le front technologique et sont en voie de relégation.

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