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Inattendu : le nouveau baby boom des pays arabes
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Démographie

Si les années 1990 ont été marquées par une forte baisse de la natalité dans les pays du Maghreb, les taux sont repartis à la hausse.

Philippe Fargues

Philippe Fargues

Docteur et chercheur en sociologie, Philippe Fargues est un démographe spécialiste du monde arabe.

Il dirige le Centre des politiques migratoires de l'Institut universitaire européen, en Italie.

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Atlantico : Les niveaux de natalité des pays du Maghreb et du Moyen-Orient ont largement diminué ces dernières années, parfois jusqu’à des niveaux étonnamment bas. Cette tendance se vérifie-t-elle toujours ?

Philippe Fargues :Les années 1990 ont été caractérisées par une très forte baisse de la démographie dans les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. L’Iran, par exemple, a connu une véritable révolution démographique entre 1985 et 1995. Sur cette période, le niveau traditionnellement élevé de 6 enfants par femme a chuté jusqu’à un niveau post-transitionnel de l’ordre de deux enfants par femme. Cette réalité est bien connue.

Ce qui est moins connu, c’est l’évolution la plus actuelle, à savoir une remontée des taux de fécondités de ces pays. Ce phénomène est assez évident en Egypte depuis une dizaine d’années. L’évolution, dans ce pays, est toujours assez lente. Le taux de fécondité avait commencé à baisser dans les années 1950 jusqu’à approcher les trois enfants par femme. Aujourd’hui, on est revenu à quatre.

En Algérie, également, le taux de fécondité a baissé jusqu’à il y a une dizaine d’années. Il est presque passé en dessous d’un niveau de remplacement de la population. Là aussi, il est revenu à un environ 2,7 enfants par femme. En Tunisie, la baisse de fécondité s’est arrêtée il y a cinq ou six ans. Ces réalités sont parfaitement méconnues car les bases de données statistiques utilisées aux Nations unies ne sont pas à jour. Il faut attendre plusieurs années pour qu’elles prennent en compte des changements aussi récents. Les démographes ont pris connaissance, eux, de cette réalité grâce aux publications des statistiques des naissances des pays en question.

Jusque-là, les observateurs pensaient que la baisse, rapide, continuerait. Il y a eu un retard soudain dans l’âge du mariage des femmes de ces pays. Plusieurs raisons à cela : l’accès à l’éducation des femmes, la crise économique, le manque d’emploi et les immenses difficultés auxquelles les couples pour s’installer. Ces niveaux se sont stabilisés.

On n’explique pas encore très bien ce phénomène. On peut imaginer, tout simplement, que le monde arabe résiste aux normes établies dans les pays du nord, où les taux de fécondité se sont stabilisés à environ deux enfants par femme. On peut également imaginer qu’il y a une influence d’un certain nombre de difficultés économiques. On peut enfin imaginer un rôle de la part des islamistes.

Quelles conséquences ce retour à une natalité plus forte peut-il avoir sur la pyramide des âges de ces pays ?

Les pays arabes gardent tous une croissance démographique naturelle positive. En Tunisie, on a un taux non négligeable avec une population qui augmente de 1% par an. Des valeurs semblables s’observent dans d’autres pays comme la Jordanie. Les taux restent très positifs dans l’ensemble de la région. Rien à voir avec les schémas qui ont été observés en Amérique du sud avec de forts vieillissements de la population.

En termes de pyramide d’âge, les effectifs des générations les plus jeunes restent particulièrement nombreux. La fécondité étant restée très élevée jusqu’à il y a une vingtaine d’années, on n’observe un renflement de population des adultes en âge de travailler.

Reste qu’il n’est pas évident de subvenir aux besoins des anciens. Si la main d’œuvre disponible est nombreuse, le travail, lui, ne l’est pas. C’est plutôt là que réside la difficulté à nourrir les personnes âgées. Nous avons sur ces régions des pays avec des taux de chômage à deux points et, notamment du côté des femmes, une vraie absence d’emplois disponibles. Cette configuration n’est pas favorable au contrat de génération d’un point de vue économique.

Quelles sont les politiques des gouvernements de ces pays d’un point de vue démographique ?

Pour moi, les gouvernements sont toujours en retard de quelques années. Ils se voient toujours dans une politique de forte croissance démographique. Il y a aujourd’hui une politique qui reste favorable à la limitation des naissances. Les programmes de planning familial ont fonctionné et ont ralenti la fécondité. Les positions officielles, définies il y a 15 à 30 ans, ne sont plus en adéquation avec les réalités actuelles.

L’exception se pose dans les pays du Golfe où, du fait d’une importante pression migratoire, les dirigeants politiques entretiennent une forte incitation démographique.

Quelles conséquences, ces fluctuations démographiques, peuvent-elles avoir sur les flux migratoires entrants et sortant de ces pays ?

Les liens entre démographie et migration ne sont pas toujours très clair. On ne peut pas, en réalité, dire que des gens viennent dans un pays par appel du vide. Encore faut-il avoir quelque chose à y faire.

Il y a dans les pays arabes avec des marchés du travail très attractifs. Les pays pétroliers du Golfe, la Libye jusqu’à l’année dernière et l’Algérie génèrent un important flux de travailleurs, notamment en provenance de la Chine. Le Liban et la Jordanie sont également des pays d’immigration car leurs propres populations sont parties et ont laissé des places vacantes dans un certain nombre de secteurs activités, aussi bien dans les services que dans l’agriculture.

La région, reste en tous les cas à l’échelle globale, une zone d’émigration. Là, le lien est plus directement lié aux réalités démographiques. On observe plus de départs lorsqu’il y a des renflements importants de générations adultes. Lorsqu’il y a de nombreux jeunes adultes, on observe souvent des phénomènes de migrations accrus. Des phénomènes d’autant plus amplifiés que les situations économiques, les potentiels d’emploi et les différentiels de qualité de vie internationaux sont manifestes.

Dernier facteur qui a un impact sur les migrations, c’est la politique : dès lors que l’insatisfaction est importante, les populations se lancent plus facilement sur les routes.

Beaucoup d’immigrés restent des réfugiés, notamment en Syrie et en Jordanie. L’Egypte a été très touchée par ce type de migrations. En Europe, on fait grand bruit des flux migratoires en provenance de ces pays mais ils restent, en réalité, beaucoup moins importants que ceux qui se dirigent directement vers ces pays.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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