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Voilà pourquoi les candidats qui misent gros sur la lutte contre la fraude fiscale pour financer leurs promesses de campagne se trompent largement dans leurs estimations de ce que serait la réalité
©Reuters

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Les grands plans de lutte contre la fraude fiscale figurent dans de nombreux programmes présidentiels, tel celui de Mélenchon. Mais c'est ignorer que dans le monde contemporain, la lutte contre la fraude n'est généralement pas récompensée...

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Un certain nombre de candidats à la présidentielle pensent pouvoir combler les dépenses relatives à leur programme par la lutte contre la fraude fiscale, à l'instar de Jean-Luc Mélenchon qui prévoit 173 milliards d'euros dépensés en plus sur le quinquennat. Mais cette source de recette est-elle aussi évidente à trouver ? Si les estimations de la fraude fiscale en France font état de chiffres faramineux, leur collecte par l'administration fiscale est-elle aussi aisée à réaliser ?

Philippe Crevel : En France, l’économie dissimulée s’élèverait en retenant une fourchette très haute 600 milliards d’euros et de manière plus réaliste entre 300 et 400 milliards d’euros. Pour le syndicat "Solidaires-finances", entre 60 à 80 milliards d’euros pourraient être retirés d’une lutte totale contre la fraude fiscale. Nous sommes loin des 173 milliards d’euros de Jean-Luc Mélenchon. Pour atteindre un tel rendement, il veut éradiquer tout le travail au noir, les petits arrangements, les niches fiscales.

La lutte contre la fraude fiscale peut rapporter gros mais elle coûte également très chère. Il faut toujours prendre en compte le rendement de la lutte contre la fraude fiscale. S’il faut dépenser 10 pour gagner un, certes la morale peut y perdre mais il faut savoir arrêter les frais. Pour en finir avec la fraude fiscale, il faudrait un inspecteur derrière chacun d’entre nous ou instituer un régime digne de big brother. En 2015, l'administration fiscale a réalisé des redressements fiscaux records, portant sur 21,2 milliards d'euros, soit 1,9 milliard de plus qu'en 2014. De nombreux spécialistes doutent de la capacité de l’administration d’aller bien au-delà, les arbres ne montent pas au ciel.

L’administration fiscale concentre son attention sur les fraudes fiscales les plus importantes, les plus illégales. Elle pratique également l’exemple en sanctionnant des contrevenants qui abusent. Avec la complexification de notre droit fiscal et la mondialisation, les montages sont de plus compliqués. Il faut donc du temps et des experts pour chasser les milliards qui se refusent aux impôts. La fraude est multiforme. Il y a évidemment toutes les activités mafieuses et criminelles mais aussi les détournements de fonds publics en passant par les abus de droit, c'est à dire une utilisation aux marges de la légalité de dispositifs réglementaires. La lutte contre fraude se mène de plus en plus à l’international. Elle exige une coopération entre les Etats, au sein de l’Union européenne comme au sein de l’OCDE. A côté de la fraude de haut vol, il y a la fraude à la petite semaine, à la TVA, aux charges sociales, à la sécurité sociale. La fraude a mille visages rendant son estimation délicate et son éradication complète impossible. La lutte contre la fraude fiscale, c’est Sisyphe poussant sa pierre.

Quel est le coût par ailleurs de la lutte contre la fraude fiscale pour l'administration ? Comment évaluer les ressources dédiées à cette activité et à partir de quel niveau de fraude est-ce moins intéressant de lutter contre ? 

Ces dernières années, l’administration a redéployé des moyens en faveur de la lutte contre la fraude fiscale. Plusieurs centaines de fonctionnaires y ont été affectés. L’informatisation et le développement des déclarations en ligne ont facilité cette évolution. Des actions ont été menées pour lutter contre la fraude en matière de TVA,

Dans le passé, la France a perdu des parts de marché à l’exportation au nom de la lutte contre la fraude. En interdisant aux entreprises de rémunérer certains intermédiaires en liquide, l’administration a fait œuvre de salubrité publique. En contrepartie, les entreprises françaises ont perdu des parts de marché au profit de leurs homologues étrangères : bilan des courses, moins de recettes fiscales, moins d’emplois.

Par ailleurs quelle réaction peut-on attendre de la part des activités qui génèrent des fraudes fiscales ? Dans quels cas ces activités pourraient-elles s'adapter, et dans quelles autres ne le pourraient-elles pas ?

Evidemment qu’un fraudeur, cela fraude, c’est son métier. Son objectif est d’avoir un coup d’avance sur l’administration fiscale. Des cabinets spécialisés élaborent des solutions pour réduite le poids des impôts en recourant à des montages d’une rare complexité. Il est impossible de pouvoir supprimer toute la fraude. Il est vain d’espérer de penser récupérer tous les milliards d’euros qui manquent à l’appel. Lutter contre les pratiques frauduleuses, c’est un véritable travail de Romains qui exige des moyens, du temps et de la ténacité. Récupérer 20 % de la fraude fiscale actuellement dissimulée serait déjà un exploit, au-delà serait à coup sûr très coûteux. En outre, il faut concilier la lutte contre la fraude avec l’état de droit, le respect des libertés individuelles. Aujourd’hui, Internet constitue un foyer important de fraude que l’administration fiscale tant de juguler. Les activités de services à la personne, le travail au noir dans certains milieux professionnels sont ciblés mais difficile à atteindre.

La meilleure méthode pour lutter contre la fraude fiscale est de simplifier les impôts, d’élargir les assiettes, de supprimer les niches et d’adopter des taux raisonnables. En raffinant le système fiscal à l’excès, en multipliant les dispositifs dérogatoires et en appliquant des taux jugés confiscatoires, les malins-génies sont tentés de réaliser quelques exploits pour réduire les prélèvements en tout genre. Or, en France, nous sommes des spécialistes de l’impôt à assiette étroite, à taux élevé et à dérogations multiples. De ce fait, il n’est pas étonnant que la fraude y trouve un terreau favorable même si elle est en soi évidemment condamnable. Afin de lutter contre la fraude fiscale, il serait, de ce fait, bien plus rentable, de s’engager dans un processus de réformes de notre système fiscal et d’alléger les impôts. En effet, la fraude se nourrit de l’excès des prélèvements selon le bon vieux principe de la Courbe de Laffer. A partir d’un certain niveau d’impôts, les recettes diminuent soit par non travail soit par dissimulation.

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