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Léger mieux sur le front de la dette publique... à condition d’oublier opportunément les chiffres de la dette hors bilan
©Reuters

Boulet caché

Si l'INSEE a révélé vendredi 23 décembre que la dette publique française avait reculé au troisième trimestre, un autre agrégat, la dette hors bilan, passe généralement bien en-dessous des radars politiques et médiatiques. Pourtant, sa situation n'est pas vraiment rassurante.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : Ce vendredi 23 décembre, l'INSEE a publié les chiffres de la dette publique française, qui s'est établie à 2 160,4 milliards d'euros au troisième trimestre (-10,3 milliards par rapport au trimestre précédent). Si la signification et l'évolution de cette dette mesurée selon les critères de Maastricht sont largement commentées dans le débat public, qu'en est-il de ce que l'on appelle la dette "hors-bilan" ? À quoi correspond cette dernière ?

Philippe Crevel : Si la dette publique au sens de Maastricht est de 2160 milliards d’euros, celle dite hors bilan est de 2600 à 3200 milliards d’euros. Elle correspond aux différents engagements que l’Etat porte. Selon la Cour des Comptes, qui a établi sur le sujet un rapport en 2013, "les engagements hors bilan de l’État sont l’ensemble des obligations potentielles qui, sans réunir les critères d’inscription au bilan, s’imposent à l’État et sont susceptibles d’avoir un impact significatif sur sa situation financière". La Cour des Comptes retient quatre catégories d’engagements hors bilan :

- ceux pris dans le cadre d’accords bien définis, par exemple les garanties liées à des missions d’intérêt général (mécanismes d’assurance, garanties de protection des épargnants, etc.) ou la dette garantie ;

- ceux découlant de la mission de régulateur économique et social de l’État, comme l’aide au logement, le revenu de solidarité active ou l’allocation aux adultes handicapés pour les engagements de transferts dans le futur ;

- ceux qui découlent de la mise en jeu de la responsabilité de l’État (démantèlement des matériels militaires, engagements de nature fiscale, etc.) ;

- les engagements de retraite de l’État, au titre des fonctionnaires ou assimilés.

La grande majorité de cette dette hors bilan est constitué du passif social de l’Etat. Ce dernier comprend les dépenses de retraites pour les prochaines années. Les engagements liés au paiement futur des pensions des fonctionnaires civils et militaires représentent 1561 milliards d’euros auxquels il convient d'ajouter les retraites des fonctionnaires de la Poste, soit 128 milliards d’euros. Il faut également intégrer les engagements pris pour le financement des différents régimes spéciaux. Le passif serait proche de 300 milliards d’euros, dont 137 pour la seule SNCF. Il y a également les dettes de différents organismes qui peuvent à tout moment se retourner vers l’Etat en cas de problème. C’est le cas de l’UNEDIC, de RFF ou de la SNCF. Plusieurs dizaines de milliards d’euros sont en jeu.

Parmi les postes d’endettement, figurent les engagements de l’Etat vis-à-vis des épargnants : livrets réglementés dont le Livret A, les engagements internationaux de la France (FMI, Union européenne), les engagements au titre du commerce extérieur (COFACE par exemple), etc.

Pour l'année 2016, cette dette hors bilan s'élèverait à environ 3 200 milliards d'euros. Comment expliquer que celle-ci soit plus importante que la dette publique définie selon les critères de Maastricht ? Comment juger, globalement, l'évolution de cette dette hors bilan ?

La dette hors bilan, selon les estimations de Jean-Yves Archer, a été multipliée par 3 en dix ans. Etant en-dessous du radar européen et ne figurant pas explicitement dans la loi de finances, elle est moins surveillée. Les gouvernements ont tendance à opérer des transferts vers le hors bilan pour tenter de respecter les objectifs de la Commission de Bruxelles. Tous les Etats européens font de la sorte. En Allemagne, les banques des Länder supportent ainsi des créances douteuses et des engagements qui devraient être portés par les administrations publiques. En France, une grande partie de la dette hors bilan est une dette sociale. L’Etat, n’ayant pas de réelle caisse de retraite pour ses fonctionnaires, n’a pas provisionné les charges à venir. Les cotisations appelées ne couvrent pas le paiement des pensions. C’est le budget général qui supporte le paiement des pensions. Du fait du vieillissement de la fonction publique, le passif social ne peut que s’accroître dans les prochaines années. Selon le taux d'actualisation, de 1200 à 1400 milliards d’euros. Autrement dit, l'Etat s'est engagé à verser à ses fonctionnaires une somme équivalent à 70% de la dette publique au titre des pensions. Les garanties que l’Etat apporte en matière de crédits ou d’épargne peuvent être appelées à tout moment en cas de faillite. La crise de 2008 nous a appris que cela peut survenir à tout moment. Cette crise a provoqué une augmentation de la dette publique de plus de 30%.

Quels risques représente le niveau actuel de la dette hors bilan française ? Dans quelle mesure cette dette peut-elle mettre en péril l'équilibre budgétaire futur ?

La dette hors bilan est une charge masquée qui est pernicieuse. En matière de retraite, les engagements sont inévitables car il faudra bien payer à un moment ou un autre le montant des pensions des fonctionnaires. II en est de même pour les régimes spéciaux. En ce qui concerne la dette de certains organismes ou de créances non recouvrées, l’Etat sera dans l’obligation de couvrir. Il y a donc un fort risque qu’une part non négligeable du hors bilan finisse par se retrouver dans les comptes du budget de l’Etat. A force de multiplier les engagements sans en apprécier réellement la portée, l’Etat s’expose à des risques qui peuvent s’avérer importants.

La Cour des Comptes avait, pour éviter une mise en danger de l’Etat, émis plusieurs recommandations. Elle avait ainsi proposé d’établir une revue annuelle des engagements, de créer au sein du plan comptable de l’État un compte affecté à la rémunération des garanties et d’accompagner les lois de finances initiales d’une description synthétique du stock des encours de garanties. Elle demandait par ailleurs la réduction de la durée moyenne des opérations de dette garantie avec l’instauration d’un dispositif de plafonnement applicable aux nouvelles opérations.

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