Inégalités et croissance : la fin du modèle rawlsien<!-- --> | Atlantico.fr
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Il est à peu près acquis que la prospérité en France ne pourra faire l’économie d’une remise à plat à la fois de son système éducatif et de sa protection sociale. Les formes prises par ces deux modèles sont en effet devenues obsolètes et inefficaces.
Il est à peu près acquis que la prospérité en France ne pourra faire l’économie d’une remise à plat à la fois de son système éducatif et de sa protection sociale. Les formes prises par ces deux modèles sont en effet devenues obsolètes et inefficaces.
©XAVIER LEOTY / AFP

Nouvelle ère

Alors que la croissance est aujourd'hui sur toutes les bouches à l'approche de l'élection présidentielle de 2017, petit rappel de ses implications dans un modèle de société qui pourrait bien changer à l'avenir.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Faut-il reparler du mythe de la croissance ?

Redisons-le, la notion de croissance est une carabistouille, commode certes, mais qui comporte de si nombreuses limites que le concept ne m’en paraît guère opératoire pour nos politiques économiques, sauf par défaut évidemment.

La croissance est en effet une statistique qui mesure, d’année en année, l’évolution du Produit Intérieur Brut, c’est-à-dire la somme des valeurs ajoutées. Ce chiffre n’intègre donc que les productions monétisées et met sur un même pied une valeur ajoutée productrice d’externalité positive (une inscription à l’université par exemple), et une valeur ajoutée productrice d’externalité négative (l’achat d’une voiture diesel pour prendre un autre exemple). En soi, la croissance ne dit rien sur la qualité des valeurs ajoutées.

C’est pourquoi la croissance pour la croissance est aussi absurde que l’idéologie de la décroissance. On peut très bien "décroître" positivement ou négativement. Décroître pour décroître est vide de sens.

La prospérité plutôt que la croissance

Ce petit rappel sémantique explique pourquoi je préfère généralement parler de prospérité plutôt que de croissance. D’une certaine façon, on pourrait traduire la notion de prospérité par une croissance productrice d’externalités positives. C’est un peu le contraire du gaz de schiste : ce dernier apporte (en théorie) de la croissance économique aux pays qui l’exploitent, mais c’est une croissance lourde de pollutions et de désordres. Ce n’est pas de la prospérité.

Mieux vaut privilégier un développement économique qui apporte du bonheur et de l’amélioration concrète des conditions de vie : moins de pauvreté, plus d’espérance de vie, un meilleur accès à la culture, etc.

Inégalités et croissance ne sont pas liées

Un trait marquant de notre époque tient à la dissipation des illusions sur une relation arithmétique qui existerait entre lutte contre les inégalités et croissance. Des statistiques d’Eurostat parues cette semaine le montrent parfaitement :

Source : Eurostat

Ce graphique est à comparer avec la carte ci-dessous qui représente la dispersion des taux de croissance dans les pays de l’Union en 2015 :

Source : Toute l’Europe

On le voit, il n’existe aucune corrélation directe entre inégalités et croissance. Ainsi, la Suède et la France sont les deux pays d’Europe où les dispersions salariales sont les plus faibles. L’une connaît la croissance (la Suède) et l’autre la stagnation. La même observation de non-corrélation pourrait être faite pays par pays.

La fin du modèle rawlsien

Ce constat constitue une rupture avec une époque portée par une idéologie dite rawlsienne, du nom du philosophe américain pour qui les inégalités inhérentes au capitalisme étaient souhaitables tant qu’elles permettaient une amélioration du niveau de vie et de bonheur des plus pauvres. Cette philosophie a fortement nourri le discours social-démocrate selon lequel l’action publique devait viser à la fois à la croissance et à la réduction des inégalités.

Nous savons aujourd’hui que le développement des inégalités n’est pas lié à la croissance, et que la croissance est neutre vis-à-vis du sort des plus pauvres. Certains pays connaissent la croissance et l’augmentation des inégalités, contrairement au credo rawlsien. Et inversement.

Quel modèle pour demain ?

Faut-il pour autant renoncer à toute ambition, que ce soit dans le domaine de la croissance ou de la réduction des inégalités ? Non, bien sûr, et c’est bien l’enjeu de notre monde post-moderne que de se reforger une doctrine de la prospérité et une approche des inégalités au coeur de celle-ci. Si nous savons que toute nostalgie social-démocrate fondée sur la conviction que la croissance conduit à une réduction des inégalités et procède de celle-ci, nous ne pouvons être exempts d’un "buon governo", d’un paradigme pour la conduite des affaires, qui guiderait à la fois les politiques économiques et les politiques sociales.

Protection sociale et prospérité

Premier point pour ce modèle à réinventer : nous savons que la prospérité d’une société est nourrie par l’existence d’un système de protection sociale, en tout cas lorsque cette protection sociale est productrice d’investissement et de confiance. Cela signifie que toute protection sociale n’est pas bonne pour la croissance, mais que la croissance est accrue lorsque le système économique dispose d’un système adéquat de protection des individus.

Cette formulation, qui s’appuie sur des études bien connues de l’OCDE, pose la question de notre protection sociale appelée sécurité sociale. Est-elle la forme de protection sociale qui convient pour optimiser la croissance ? Probablement pas, et c’est ici que le modèle républicain doit se réinventer.

Prospérité et égalité des chances

Deuxième point : la prospérité d’une société dépend également de l’investissement que cette société consent dans l’éducation et la formation. Là encore, le sujet est bien connu. Reste à savoir si la France dispose d’un système éducatif qui optimise ses chances en matière de prospérité.

Le sujet est interminable et peut amener à des discussions sans fin. Une évidence s’impose néanmoins avec le temps, notamment à l’occasion des enquêtes PISA menées par l’OCDE : l’école publique, en France, qui s’est construite comme l’école de l’égalité des chances, est devenue avec le temps un puissant outil d’immobilisme et de sélection sociale.

Là encore, les études qui le montrent, bien au-delà de PISA, sont extrêmement nombreuses.

Réinventer l’école et la protection sociale pour réinventer la prospérité

Au vu de ces éléments, il est à peu près acquis que la prospérité en France ne pourra faire l’économie d’une remise à plat à la fois de son système éducatif et de sa protection sociale. Les formes prises par ces deux modèles sont en effet devenues obsolètes et inefficaces. Sans une refonte fondamentale, le retour à la prospérité collective sera difficile.

Cet article a également été publié sur le site d'Eric Verhaeghe, et est disponible ici.

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