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"Ça va mieux"... enfin ça aurait surtout pu aller nettement mieux : les performances économiques de François Hollande passées au crible de la comparaison internationale
©Reuters

Clap, clap, clap

Après huit années de crise extrêmement dures, François Hollande a déclaré ce jeudi dans les Echos qu'il y avait une reprise en France et que la croissance serait supérieure à 1,6% en 2016. Si la conjoncture française connait une amélioration indéniable, la reprise reste poussive au regard des chutes d'activité passées.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Mathieu Plane

Mathieu Plane

Directeur adjoint du Département analyse et prévision à l'OFCE

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Atlantico : Dans une interview accordée aux Echos ce jeudi, François Hollande a déclaré : "Il y a bien une reprise en France et un début d'inversion de la courbe du chômage (...). Notre croissance sera supérieure à 1,6% cette année, ce qui nous permettra de créer au moins 200.000 emplois."  Malgré cette amélioration indéniable, que représente la croissance française par rapport aux performances du reste du monde, à commencer par les Etats-Unis et les autres pays de la zone euro notamment ? Que penser réellement du "ca va mieux" défendu par François Hollande ?

Mathieu Plane : Il y a une amélioration indéniable de la conjoncture française, le secteur privé crée à nouveau des emplois, l'investissement repart, mais tout cela se produit après huit années de crise extrêmement dures. 1,6% de croissance, c'est certes une reprise, mais c'est une reprise poussive au regard des chutes d'activité passées. Même si 200 000 emplois étaient créés, la diminution du chômage en 2016 serait d'un demi-point (de 10% à 9,5%), dont 1/3 serait dû aux plans de formation des chômeurs de longue durée. Au regard de la crise et notamment du fait que le taux de chômage a augmenté de plus de trois points depuis début 2008, l'amélioration reste modeste. On peut dire que ça va mieux en termes de dynamique mais on ne peut pas dire que ça va bien : le niveau du chômage reste extrêmement élevé avec un chômage de longue durée très fort, l'investissement repart mais on avait beaucoup désinvesti. Par ailleurs, si l'investissement privé est reparti, ce n'est pas le cas de l'investissement public ni de l'investissement dans la construction. Enfin, la crise a entraîné une hausse de la dette publique de 35 points de PIB sans contrepartie à cette dette puisque la France ne s'est pas endettée pour investir ou augmenter les actifs : les actifs n'ont pas augmenté, la dette oui.

Globalement, la croissance s'accélère dans la zone euro. Les Etats-Unis sont plutôt en haut de cycle (ils commencent à observer le ralentissement) tandis que la France est plutôt en bas de cycle et commence à en sortir. Si on se réfère à début 2011 (début de la mise en place des politiques d'austérité en Europe), 5 ans après, aux Etats-Unis, le PIB a augmenté de 11% alors qu'en zone euro il a augmenté de 2%. En France, il a augmenté de 4%, en Allemagne de 6%, au Royaume Uni de 11%. En Italie, il a baissé de 4%, en Grèce de 13%. Si on se réfère à début 2008, c'est pire.

Nicolas Goetzmann : François Hollande est en campagne électorale. Dès lors, et afin de "mettre en valeur" ses résultats économiques, il s’agit de trouver le point de comparaison qui lui est pour le plus favorable. Se comparer avec la zone euro n’aurait pas de sens puisque selon les chiffres INSEE, la croissance nominale (c’est-à-dire la "demande", qui est la somme de la croissance et de l’inflation) française a été de 3.82% entre le 2e trimestre 2012 et le 1er trimestre 2016, alors qu’elle a été de 7.85% dans la zone euro selon les données de la BCE, soit un rapport de 1 à 2. Concernant le taux de chômage, l’écart en faveur de la France atteignait 1.7 point, il n’est plus que de 0.3 point aujourd’hui. Depuis que François Hollande est Président, le chômage de la zone euro a baissé alors qu’il a augmenté en France. Il n’est donc pas utile, pour le chef de l’Etat, de trop s’aventurer sur une comparaison avec ses pairs européens, pourtant soumis au même contexte, aux mêmes règles, et à la même politique économique. Une comparaison avec les Etats-Unis ou le Royaume-Uni serait encore pire, puisque ces deux pays sont aujourd’hui proches du plein emploi. 

En bout de ligne, ce qu’il reste à François Hollande, c’est de se comparer ses résultats précédents, c’est-à-dire les années 2013 et 2014 qui ont été catastrophiques sur le plan de la croissance et du chômage. Et là, miraculeusement, il est vrai que "ça va mieux". Cela reste totalement insuffisant, mais le chômage a au moins arrêté de progresser, et amorce même un repli. Avec pas mal de retard par rapport aux autres pays.

Quel est le potentiel de croissance de la France ? A quoi l'écart entre croissance potentielle et croissance réelle est-il dû ? Peut-on estimer la "croissance perdue" de la France depuis la survenue de la crise ?

Mathieu Plane : Le potentiel est une référence très importante pour les économistes, il permet de mesurer la capacité de production d'une économie à long terme et son régime de croissance. Si on regarde le PIB/tête début 2016, on constate que l'on vient juste de retrouver le niveau d'avant crise. Cela signifie qu'il nous a fallu huit ans pour retrouver un niveau de PIB/tête équivalent. Si on regarde la tendance avant la crise, elle était à peu près de 1,1%/an en PIB/tête (ce qui équivaut à 1,8% en PIB). Le manque à gagner, c'est l'équivalent de la différence entre la réalité et la tendance que l'on doit projeter, c’est-à-dire 7% de retard. Une hypothèse extrême consiste à penser que la crise n'aurait pas eu d'effets sur le potentiel de croissance. Une autre hypothèse extrême consiste à penser que toute la crise aurait affecté le potentiel de croissance. La vérité est surement entre les deux. Aujourd'hui, ce qu'on appelle l'écart de production (output gap), c’est-à-dire le manque à gagner par rapport à notre potentiel (le PIB actuel par rapport à ce qu'il pourrait être), est de l'ordre de 3-3,5 points de PIB.

La crise a aussi eu un effet sur le potentiel de croissance que l'OFCE estime à 1,3% en PIB. La crise n'est pas complètement structurelle (ça n'a pas été intégralement répercuté sur le potentiel) mais elle a eu un effet sur le taux de croissance du potentiel du fait d'un phénomène de désinvestissement qui a joué sur les capacités de production et donc sur le potentiel futur (la baisse de l'investissement a détruit du capital), du phénomène de chômage, et notamment du chômage de longue durée avec l'effet d'hystérèse qui entraîne une déqualification du capital humain. Tout cela a un impact sur la qualification, à la fois sur le capital physique et sur le capital humain. Et donc sur le potentiel de long terme.

Les politiques budgétaires qui visaient à rétablir rapidement les comptes publics au travers de l'austérité n'ont pas que des conséquences de court terme (au travers de la récession) mais aussi des conséquences de long terme au travers de la destruction du capital physique (via le désinvestissement) et au travers d'un chômage de longue durée et de son effet sur la destruction du capital humain.

Nicolas Goetzmann : Si l’on veut véritablement regarder les choses en face, il s’agit de faire abstraction de la crise de 2008. Entre 1997 et 2008, la croissance nominale française progressait avec une précision de métronome autour de 4% par an. Puis, avec la crise, ce rythme a chuté de 70% pour atteindre une moyenne de 1.29% entre 2009 et 2015. Ce qui signifie que le pays était capable d’absorber une telle croissance de 4%, sans pour autant connaître de situation de surchauffe. En faisant une projection du rythme pré-crise sur les années 2008-2016, on observe que le "manque à gagner", en termes de demande, atteint 452 milliards d’euros, soit 21% de notre PIB actuel. 

De la même façon, et en suivant la même logique avec les chiffres de la croissance réelle, l’écart est de 16.50%. Entre 1997 et 2007, cette croissance réelle a atteint la moyenne de 2.4%, pour finir avec une moyenne de 0.54% entre 2009 et 2015, soit une chute de plus de 75%. 

Le drame ici est que le temps passé dans une situation de "sous-croissance" a tendance à détruire le potentiel du pays. Plus le pays reste à un niveau sous optimal, plus le potentiel se réduit. Les politiques menées ne sont donc pas simplement mauvaises pour une année déterminée, elles vont également peser sur l’avenir du pays, c’est une double peine qui explique en partie la difficulté actuelle du pays à rebondir. 

Le "ça va mieux" du président ne cache-t-il pas un énorme gâchis ? Si des politiques de relance économique et monétaire avaient été menées dès 2008, quel aurait pu être le niveau de richesse du pays aujourd'hui ? Et le taux de chômage ?  

Mathieu Plane : Il y a eu des politiques de relance post-crise en 2008-2009 : les Etats-Unis et la zone euro ont connu une crise à peu près similaire à ce moment-là et leurs économies s'étaient redressées sous l'impulsion de politiques monétaires et budgétaires. Ce n'est qu'à partir de début 2011 que la zone euro et les Etats-Unis prennent des trajectoires différentes. C'est à moment-là que l'Europe fait le choix de politiques budgétaires d'austérité extrêmement violentes alors que les Etat-Unis ont eu dès le début des politiques monétaires extrêmement souples et des politiques budgétaires qui étaient beaucoup moins restrictives au départ.

Début 2011, alors que la croissance repartait, l'investissement repartait, l'emploi repartait, le chômage baissait, la zone euro connait un double deep et c'est à ce moment-là que l'écart avec les Etats-Unis (ou le Royaume-Uni) se creuse. Les choix de politique économique ont été désastreux : je ne crois pas qu'il fallait entretenir une relance permanente, mais il fallait mettre en place des politiques monétaires plus souples dès le début (la zone euro a fait ce qu'ont fait les Etats-Unis mais avec beaucoup de retard), et sur la politique budgétaire, il aurait fallu faire une consolidation budgétaire raisonnable. A l'inverse, l'Europe est rentrée dans une spirale d'austérité par les règles budgétaires : il y a eu un sur-calibrage des politiques d'austérité qui ont entraîné des récessions importantes dans beaucoup de pays avec pour conséquence une réduction des déficits beaucoup moins rapide que prévue (puisqu'il y avait moins de recettes fiscales et sociales et plus de chômage). Face à cela, il a été choisi de faire plus d'austérité (au lieu d'en faire moins) pour atteindre les objectifs de déficit.

L'énorme gâchis a été le fait qu'au début de son quinquennat, François Hollande n'a pas réussi à réformer les traités. Il y avait pourtant un moment décisif pour dire que certes il fallait redresser les comptes publics mais pas au détriment de la croissance, de l'investissement et que donc il fallait manœuvrer sur des règles budgétaires plus intelligentes. Il y avait d'autres moyens d'arriver aux mêmes résultats en termes de déficit et de dette mais sans avoir un tel gâchis social.

Il est impossible d'estimer le taux de chômage que connaîtrait France si de telles réformes et politiques avaient été menées. On peut en revanche estimer la perte de croissance depuis 2011. Elle est d'une part liée aux chocs budgétaires en France (notre propre politique budgétaire de consolidation). D'autre part, elle est liée au fait que les partenaires commerciaux de la France -étant essentiellement dans la zone euro- ont pratiqué la même politique, il y a donc eu un effet de retour des politiques d'austérité de nos voisins chez nous par le canal du commerce extérieur. Si on prend ces deux éléments, on voit que cela a amputé la croissance de 5 points de PIB depuis 2011, ce qui est conséquent. Autrement dit, si on avait fait des politiques budgétaires neutres, on aurait 5 points de PIB supplémentaires aujourd'hui. Par ailleurs, pour avoir une consolidation budgétaire plus light, il aurait fallu des institutions qui protègent et que la banque centrale protège et garantisse les dettes, c’est-à-dire qu'elle fasse rempart contre le risque de dégradation des notes de qualité des dettes et contre les risques d'attaques des marchés financiers sur certains pays. La surenchère d'austérité était liée au fait qu'on était exposé aux marchés financiers. Cette exposition a créé une peur de perte de souveraineté et la solution trouvée a été de faire de la consolidation extrêmement violente. La réforme des traités devait prendre en compte ces deux dimensions : d'une part, instaurer des règles budgétaires qui permettaient une consolidation budgétaire plus "soft", d'autre part, permettre que les institutions, notamment au travers de la politique monétaire, garantissent la possibilité de le faire.

Nicolas Goetzmann : Les Etats Unis, le Japon, le Royaume Uni sont tous parvenus à retrouver un niveau de plein emploi, il n’est donc pas question de parler de fatalité, mais bien d’erreurs de politique économique. En 2008, la France affichait son plus bas taux de chômage depuis 1983, soit 6.8% en France métropolitaine selon les chiffres de l’INSEE. Entre 2006 et 2008, ce taux avait baissé de 2 points, signe que faire baisser le chômage est une possibilité. Le problème, en 2016, est que le nombre de chômeurs de longue durée a explosé, et que ces personnes perdent de leur "employabilité" au fil du temps. Un chômage conjoncturel mute peu à peu en chômage structurel, ce qui correspond, en partie, à la perte de potentiel économique du pays. Voilà pourquoi subir une crise est une chose, cela peut arriver, l’inconnu existe, mais l’absence de réaction des autorités en est une autre. Les Etats-Unis en ont été capables, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni, tous sont parvenus, avec un temps plus ou moins décalé, à agir comme il se devait, c’est-à-dire en appuyant largement sur l’arme monétaire. L’Europe est restée en retrait, sûre d’elle-même. Elle doit aujourd’hui faire face à ses résultats. François Hollande ne semble jamais l’avoir compris, aucun mot, aucun discours, ne laisse penser que cette situation ait pu être prise en compte. François Hollande a  été contre-productif dans sa politique nationale en menant une politique d’austérité par la voie de la hausse d’impôts, puis une politique de compétitivité totalement décalée par rapport aux enjeux. Et en ce qui concerne le volet européen, c’est plutôt l’absence de François Hollande qui peut être soulignée.

Croissance perdue, chômage de masse, comment expliquer la poursuite par la France de politiques qui ne semblent pas produire d'effets ? Quelles sont les réelles alternatives qui s'offrent au Président ? 

Mathieu Plane : Le problème est avant tout un problème de gouvernance européenne. L'Europe n'a pas vraiment tiré les leçons de la crise. Pourtant, nous sommes nombreux à avoir tiré un enseignement de ce qui s'est produit en Europe. FMI, OCDE, OFCE, tous nous montrons l'importance de la question des multiplicateurs budgétaires, c’est-à-dire que l'austérité ne produit pas les mêmes effets selon les situations des économies : quand le chômage est élevé, que l'économie est en crise, que l'on a peu de possibilités de dévaluer les monnaies, quand les  partenaires commerciaux ne sont pas des soupapes de croissance parce qu'ils sont eux aussi en récession, alors l'austérité a un impact très négatif. Autant l'enclenchement de la crise des subprimes est très complexe (ce qui explique qu'elle a été difficile à anticiper), autant la crise de l'Europe à partir de 2011 (le double deep et tout ce qui s'est produit) était en termes de croissance beaucoup plus anticipable.

Il commence à y avoir un consensus très partagé dans le monde académique sur la question de la régulation macroéconomique qui reste pour le moment un échec puisque cela n'a pas donné lieu à des traductions politiques. La faute continue d'être renvoyée au niveau individuel, aux pays (problèmes infra-structurels, problèmes du marché du travail) sans aucune vision macroéconomique. Le micro est toujours séparé du macro et on ne voit pas que les crises sont très imbriquées. Tant qu'on n'aura pas une politique de la zone euro tournée sur la régulation macroéconomique -comme ce que font les autres zones du monde-, on aura ce problème-là et on renverra la balle sur les pays et sur les problèmes de réforme structurelle. Toutes ces réformes structurelles sont faisables s'il y a une régulation macroéconomique. Les pays anglo-saxons, notamment les Etats-Unis, ont un marché du travail très flexible mais avec beaucoup de régulation macroéconomique, dans la zone euro et en France, on se dirige vers plus de flexibilité sans régulation macroéconomique, ce qui est un véritable problème. 

Nicolas Goetzmann : Pour que la zone euro et la France repartent sur un rythme acceptable, il sera nécessaire de donner un mandat bien plus agressif à la Banque centrale européenne, en y incluant la recherche du plein emploi, comme cela est fait aux Etats Unis. Déjà, avec une telle mesure, 75% du chemin sera fait. Si une telle solution paraît simple dans l’idée, sa mise en place politique est une autre histoire. Car il s’agit de convaincre l’Allemagne, et l’ensemble des pays du nord des bienfaits d’une telle refonte. Or, pour l’Allemagne notamment, qui est actuellement en situation de plein emploi, toute hausse importante du niveau d’activité aurait pour conséquence une accélération de la progression des salaires, ce qui provoquerait une perte de compétitivité du pays. De la même façon, si l’économie européenne allait mieux, l’Allemagne deviendrait moins attrayante pour les jeunes européens. Or, le pays recherche désespérément de jeunes éduqués pour pallier son déclin démographique. Mais la raison la plus claire d’une opposition allemande à une telle réforme repose sur la peur panique que représente un léger surcroît d’inflation dans un pays ayant une structure d’âge très avancée. 

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