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Le grand renoncement : comment le pouvoir politique s’est livré au monde de la finance
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Hiver financier

La crise sociale des années 1980 et la montée en puissance des écoles libérales ont facilité l’émergence de banques puissantes et de marchés financiers efficients. Jusqu'à prendre le pouvoir le politique.

Franck Margain

Franck Margain

Franck Margain est vice-Président du Parti Chrétien Démocrate et conseiller régional UMP en Ile-de-France.

Après des études en finances, il est devenu cadre dans une grande banque internationale.

 

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La crise des années 1980 (choc pétrolier), la montée en puissance des écoles libérales (élection de Ronald Reagan aux États-Unis et Margaret  Thatcher en Grande-Bretagne) ont amené le pouvoir politique à faciliter l’émergence de banques puissantes et de marchés financiers efficients. 

En France, il est bon de rappeler que le pouvoir socialiste créait dès 1983 toute une gamme d’épargne non taxée (Assurance-vie, livrets, puis Plan Epargne en Actions), afin de faire face au financement de sa politique d’endettement explosif depuis l'accession au pouvoir de François Mitterrand. Avec l’incapacité des gouvernements suivants à contenir les déficits s'est ainsi scellée l’alliance entre politiques et financiers, les derniers bons serviteurs des premiers, toujours plus dépensiers puisqu'en France, les strates successives de dépenses publiques ne font que se superposer.

Mais l’inflation élevée de cette époque entraîna ensuite une réforme importante du financement des États : l’autonomie des Banques centrales, intervenue en France en 1993. La technocratie européenne, largement influencée par l’Allemagne qui, on doit le reconnaître aujourd’hui, est un gestionnaire financier très moyen (dévaluation massive d’avant-guerre, mise sous tutelle des trois quarts des banques privées durant la crise de 2008), décida d’abandonner tout pouvoir politique à la BCE (Banque centrale européenne). L’autonomie rigoureuse de la banque centrale lui accordait ainsi la gestion financière de tout un peuple européen, sans que celui-ci puisse exercer un quelconque regard. Le peuple souverain et ses représentants étaient détrônés.

Un rapide coup d’œil sur les différentes organisations dans le monde met immédiatement en évidence l’importance du contrôle transféré au profit des banquiers centraux. Nos voisins américains, anglais ou japonais, bien plus pragmatiques, n’ont accordé qu’une délégation de leur pouvoir à ce transfert. Et il ne s'agit pas que d'une différence sémantique, mais bien d'une décision fondamentale.

Concernant tout d’abord l'indépendance des banquiers centraux :

- Le plus haut degré revient à l’Eurosystème, notamment en matière de restrictions au financement des Trésors, assises par le Traité qui les proscrit. Seule obligation pour la BCE, rendre un rapport annuel au Parlement européen.

- La Fed (réserve fédérale américaine) est moyennement contrainte par le politique, du fait notamment d’un mandat non unique de stabilité des prix. Le Gouvernement Fédéral peut lui assigner temporairement des missions supplémentaires.

- La Banque d’Angleterre l’est encore moins, dans la mesure où ses statuts confèrent à l’échiquier politique un droit de réserve qui l’autorise à reprendre le contrôle de la politique monétaire en cas de « circonstances économiques exceptionnelles » et dans l’intérêt public.

- Enfin, si la Banque du Japon est légalement responsable de la valeur du yen, et conduit les interventions de change, la frappe de monnaie est toujours sous la responsabilité du Ministère des finances, qui décide par ailleurs des interventions de change.

Concernant maintenant l’organisation du système bancaire relativement à la création monétaire : les Trésors européens ne peuvent se financer qu’auprès des banques privées, et en aucun cas la banque centrale ne peut leur prêter, contrairement à la banque centrale d’Angleterre ou la Fed, qui elles prêtent à leur Trésor respectif, c'est à dire au gouvernement.

Parallèlement, la politique des dirigeants occidentaux depuis 30 ans a été centrée sur la consommation, et son corollaire de l’endettement. Ils n’ont eu de cesse de recommander la croissance comme solution à tous nos maux... mais la croissance peut-elle l'être vraiment quand elle ne se finance structurellement que par la dette... Ils ont encouragé les ménages à financer 100%  de leurs achats (immobiliers, biens de consommation courante) par l’emprunt. Ils ont donc conduit des politiques publiques dispendieuses, financées également par l’endettement. En contre partie, ils accordaient aux banques la possibilité d'exercer un levier maximum sur le capital détenu.

La baudruche a explosé, et les banques ont pris le pouvoir sur les débiteurs (les ménages et les États surendettés), avec comme épée de Damoclès nos économies, sans oublier leur fragilité face à des créanciers insolvables. Le monde bancaire a donc été propulsé au cours de ces 30 dernières années du rôle de serviteur fidèle à celui de maître sans cœur.

L'exemple italien est venu donner un coup de grâce aux politiques face à ce déséquilibre. L’absence d'éthique, une moralité mise à l'écart des processus de décision, la perte de sens d’une société achetée par la téléréalité, un pouvoir sans vision ni conscience ont renversé l’ordre ancestral : les banquiers ont chassé les politiques pour prendre les rênes. Anciens directeurs des meilleures banques mondiales, ils se sont installés au pouvoir, et décident, gèrent, imposent, sans avoir été élus par le peuple. Ce n’est pas le "printemps arabe", mais "l’hiver financier".

Il est urgent que le politique réinvestisse la sphère financière. Quelques exemples concrets viennent d’outre-Atlantique. En 2011, la Fed a interdit le paiement en numéraire de bonus aux dirigeants des établissements financiers, ceux-ci recevront désormais des actions conditionnées à un engagement sur le long terme. La réflexion doit en effet porter sur le sens de l'activité de l’industrie financière, et pas seulement son rôle.

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