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Charles Beigbeder : “Ce n’est pas au nom de la laïcité que l’on pourra contenir l'emprise de certaines prescriptions rituelles de l'islam dans la sphère publique, mais au nom de notre culture”.
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"Charnellement de France"

Dans cet entretien, de même que dans son livre "Charnellement de France", Charles Beigbeder affirme la nécessité pour la France de reconnaître et d'assumer pleinement ses racines chrétiennes.

Charles Beigbeder

Charles Beigbeder

Charles Beigbeder est président de la Fondation du Pont-Neuf. Président de sa holding industrielle et financière, Gravitation SAS, Charles Beigbeder est engagé dans plusieurs mouvements liés à l'entreprise et à la vie de la cité.
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Atlantico : Dans votre livre, intitulé Charnellement de France, vous expliquez que la République française doit devenir la "République de France". Pourquoi ce changement vous paraît-il nécessaire et que doit-on changer concrètement pour passer de l’une à l’autre ?

Charles BeigbederOn ne peut pas se contenter de la situation actuelle. C’est une impasse. On a des dirigeants politiques, de droite ou de gauche, qui proclament les "valeurs républicaines", mais on ne sait plus ce que c’est et ça ne parle plus aux Français, en particulier aux Français de souche plus récente. D’un autre côté, je refuse le multiculturalisme, comme une majorité de Français. Ce n’est pas une solution viable. L’idée est d’attaquer sous l’angle de l’identité culturelle, et donc de refonder la République en la réenchantant, en la rendant plus charnelle et en l’enracinant dans les profondeurs de l’âme française, car la République ne doit plus être une réalité abstraite. Sur le plan institutionnel et sémantique, on la transforme en "République de France". Mais ça va au-delà du vocabulaire, parce que ça permet de montrer que nous assumons pleinement ce que nous sommes.

Pour commencer, il faut donc s’attaquer à la Constitution et à son article 1, "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale", en ajoutant "de tradition chrétienne". On fonde ainsi en droit la prééminence du fait culturel chrétien en raison de l’étroite imbrication du christianisme dans la construction de notre identité. Ça avait provoqué une polémique au moment du référendum sur la Constitution européenne, et je pense que c’est une des raisons pour lesquelles celle-ci a été rejetée. Il faut assumer que notre République a des racines chrétiennes. 

Comment le fait de changer l’article premier de notre Constitution rendrait-il la République plus charnelle ?

Evidemment, il faut faire beaucoup de pédagogie autour de ça, mais en reconnaissant la prééminence du fait culturel chrétien dans la Constitution de notre identité, on est capable de s’opposer à des traditions qui nous sont étrangères et qui envahissent de plus en plus l’espace public. Exemple : il existe dans l’islam de nombreuses prescriptions rituelles qui sont plus de l’ordre de la culture que du culte. Ce n’est donc pas au nom de la laïcité que l’on pourra contenir leur emprise dans la sphère publique, mais au nom de notre culture. C’est le vieil adage de Saint-Augustin à Saint-Ambroise : "A Rome fais comme les Romains", sur la base duquel j’avais écrit une tribune il y a longtemps, qui est un peu à l’origine de cet ouvrage.

Vous semblez rejoindre le pape et ses récentes déclarations, bien qu’il prenne davantage de pincettes pour dénoncer ce que vous appelez le "laïcisme". Pensez-vous donc, comme lui, qu’il n’y a pas d’inconvénients à ce que chacun exprime sa foi dans l’espace public ? 

Oui, en effet, Je ne suis pas pour le laïcisme intégral qui veut interdire toute manifestation du fait religieux dans l’espace public. Je défends cette expression, parce que ça fait partie de la personne, jusque dans notre profondeur la plus intime. Il serait donc utopique, voire fou et dangereux, d’empêcher l’expression de quelque chose qui est si important : nous allons tous mourir, et certains trouvent des réponses importantes dans le fait religieux. Donc je dis non aux solutions préconisées par Manuel Valls, Alain Juppé, ou d’ailleurs Eric Zemmour et Marine Le Pen. Elle-même disait en 2012 qu’il fallait interdire toute manifestation du fait religieux dans l’espace public. Ça, ce n’est pas possible. En revanche, je dis que s’il y a une manifestation culturelle, inconsciente, sans volonté d’hégémonie culturelle et de conquête, il faut faire de la pédagogie, être tolérants : avec le temps, bien qu’un tel travail n’ait pas été fait pendant 40 ans, les choses devraient rentrer dans l’ordre. Les Français qui sont tentés de se vêtir de façon très différente de notre culture vont progressivement comprendre.

Cela dit, ne soyons pas naïfs : s’il y a des manifestations culturelles qui expriment volontairement une idéologie conquérante – et là c’est l’intention qui primera –, il faudra se montrer intraitables. Si le voile est le vecteur d’une idéologie qui souhaite imposer la charia en France, il faudra agir fermement. Il faut faire preuve de discernement : s’il y a une intention d’imposer véritablement une idéologie totalitaire à travers ce vecteur, il faut être intraitable et la République de France aura les moyens institutionnels de lutter contre cela, qui seront fondés en droit. En revanche, si c’est une personne qui se rend à la mosquée ou qui suit une tradition depuis des années, et que ce n’est pas du tout dans un but de provocation politique et identitaire qui irait à l’encontre de notre culture, il faut être bienveillant. Et puis je pense qu’il va y avoir une période de transition.

J’admire beaucoup Xavier Lemoine, le maire de Montfermeil, qui fait preuve de pédagogie et de bienveillance dans une ville où la majorité de la population est de sensibilité musulmane. Il y a des manifestations culturelles qui sont très différentes de la culture française : il essaie de leur enseigner la culture française en organisant des visites de musées à Paris, en mettant en place des cours de langue et de culture françaises, la première école de la fondation Espérance banlieues a ouvert chez lui. C’est ce travail qui est à faire, parce qu’on ne va pas pouvoir, d’un coup de baguette magique, passer de la situation actuelle, qui est assez chaotique , à une situation idyllique. 

Peut-on dire comme vous le faites que l’Etat islamique "nous a rappelés à nos origines" en nous qualifiant de peuple "qui porte la bannière de la Croix", alors que des millions de Français d'aujourd’hui n’ont pas eu le moindre ancêtre "croisé", ni même chrétien ?

Oui, mais il faut leur faire aimer cette culture. On est depuis 40 ans dans une crise de la transmission et on a tout fait pour leur faire détester cette culture, donc il est certain que la situation est très mauvaise. Mais il suffirait de quelques années où l’on aurait ré-enseigné les bienfaits de cette culture et son importance, et où l’on aurait réconcilié les Français avec leur histoire. Je pense bien sûr qu’il y a des apports culturels nouveaux qui se font tous les jours, mais le fondement de notre civilisation et de la société française, c’est le christianisme. Ça ne veut pas dire qu’il faut faire un Etat confessionnel : je reste dans la culture, je ne vais pas dans le cultuel. Chacun est libre de pratiquer le culte de son choix. Simplement, je pense qu’il est temps de refaire aimer la France à tous les Français. Je discute avec beaucoup de Français de sensibilité musulmane. Ils aiment notre culture chrétienne mais ils n’osent pas le dire, ce n’est pas politiquement correct, parce que ça fait des décennies qu’on veut nier cette réalité. Voyez encore la déclaration de Pierre Moscovici, il y a quelques jours, qui dit qu’il "ne croit pas" à nos racines chrétiennes. On ne lui demande pas de "croire", c’est juste un fait.

Vous parlez de "renouer le fil de la tradition rompu à la Révolution française". De quelle rupture s’agit-il exactement et comment la réparer ?

La Révolution est l’événement central de notre histoire politique récente et elle a bien sûr eu des effets positifs, je ne vais pas le nier. Mais il y a un problème : c’est cette volonté de déracinement, de table rase, qui a été très bien explicitée par Edmund Burke dès 1790. Cette rage avec laquelle les révolutionnaires, dès 1789, ont voulu effacer tout le passé parce que c’était du passé. Peut-être que certains d’entre nous auraient fait pareil à l’époque, mais c’est fou, arrogant et orgueilleux. On en subit encore les conséquences parce que ça crée une rupture dans la trame de notre histoire. Quand je parle de République de France, ça implique les racines chrétiennes mais aussi le fait que les lois non-écrites doivent être prises en compte par le législateur. Je souhaite donner au Conseil constitutionnel un rôle de gardien des lois non-écrites. Et j’ose dire qu’il faudrait modifier l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Quand on dit que "la loi est l’expression de la volonté générale", je rajoute : "Elle ne peut faire obstacle aux lois non-écrites qui fondent l’existence d’un peuple et le maintiennent dans son être". Ça inclut les traditions et tout ce qui a été construit patiemment par les 80 générations qui nous ont précédées. C’est ça, la République de France : quinze siècles de sagesse populaire qui sont préservés et qui empêchent le législateur de faire n’importe quoi tous les cinq ans. Car une nation n’est pas un acte juridique et contractuel, c’est beaucoup plus que ça : c’est charnel.

Tous les principaux candidats à la primaire de droite affichent un programme très libéral économiquement, alors que les enquêtes d’opinion montrent que les sympathisants de droite attendent beaucoup moins des mesures économiques libérales que culturelles et identitaires. Vous qui êtes à la fois un entrepreneur proche du Medef et un conservateur proche de la Manif pour tous, pensez-vous pouvoir réunir ces deux pôles de plus en plus opposés au sein de la droite ? 

Oui, tous les gens que je vois jugent prioritaire la question culturelle. Bien sûr, les questions économiques et sociales restent importantes : le déficit, la dette et le chômage qui s’accumulent font râler tout le monde. Mais au-delà de ça, c’est maintenant la question culturelle qui prime. Et de toute façon, quand bien même on aurait un candidat de droite finalement investi avec un programme économique et social fantastique, il ne pourrait rien faire tant qu’il n’aurait pas traité la question culturelle et l’angoisse civilisationnelle dont parle Alain Finkielkraut, parce que la confiance ne reviendrait jamais. Et donc la croissance non plus. Et donc ses réformes ne serviraient à rien. C’est comme la lettre de Saint-Paul : s’il me manque le culturel, je ne serai qu’une cymbale qui résonne. Je ne comprends pas ce que font les candidats à la primaire, mais j’espère qu’ils vont s’ouvrir.

La jeune garde de la droite intellectuelle est pourtant de plus en plus critique à l’égard du libéralisme économique, et lui oppose justement la culture et les traditions…

Ce serait une régression, parce que je me réjouis, pour ma part, que les idées libérales progressent dans le champ économique. Mais uniquement dans le domaine de l’avoir, surtout pas dans le domaine de l’être. L’erreur est là. Ce qu’il faut, c’est réunir les libéraux du point de vue économique – que j’appelle anti-étatistes parce que le mot "libéral" est trop galvaudé –, et les enracinés. Voilà les idées qui pourraient rassembler une grande partie des Français en ce moment.

La demande d’Etat, qui gagne du terrain à droite, ne se justifie-t-elle pas tout de même au regard des événements récents comme les attentats terroristes sanglants de 2015, et maintenant les violences contre la police ou les débordements à répétition de Nuit Debout et des manifestations contre la loi Travail ?

Bien sûr, mais les libéraux sont pour un Etat fort. Adam Smith était pour un Etat fort. Le libéralisme qui fonctionne, c’est l’ordolibéralisme. Celui de Wilhelm Röpke : un Etat fort parce que recentré sur le régalien. On peut tout à fait concilier une demande d’Etat fondée sur une demande de sécurité forte et un Etat qui se désengage du non-régalien parce que lorsqu’il veut tout faire, il fait tout mal et ça ne fonctionne pas. 

Vous envisagez dans votre livre la création d’un nouveau régime. Mais au point d’écœurement où les Français en sont arrivés face à un système à bout de souffle, la solution peut-elle encore être politique ? Peut-elle seulement être pacifique ? 

Toutes les enquêtes d’opinion le montrent : il y a une immense insatisfaction face à la classe politique. Donc oui, j’appelle de mes vœux des changements institutionnels pour sortir de cette impasse. Et oui, il y a des moyens politiques d’y parvenir : on peut poser des questions au peuple par référendum si on arrive à réunir suffisamment de signatures, la barre est très haute mais c’est possible. Il n’y a pas que l’élection présidentielle, dont je n’attends rien. Je pense d’ailleurs qu’il faudrait revenir au système antérieur à 1962, et ne plus élire le président au suffrage universel. Ça les rend tous fous et ça transforme cette étape importante dans notre démocratie en mascarade. Les démocraties les plus matures n’ont pas cette élection incroyable fondée sur la rencontre d’un homme avec les médias, qui fabrique une personnalité de toute pièce, avec tous les dangers que ça comporte. Je crois plutôt à un régime présidentiel, mais où le président ne serait pas élu au suffrage universel. On reviendrait à la Vème République d’origine, celle d’avant 1962.

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