Ces autres secteurs de l’économie française qui attendent leur Xavier Niel pour baisser les prix<!-- --> | Atlantico.fr
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Xavier Niel a clairement pointé du doigt les dérives de ses concurrents allant même jusqu’à traiter de « pigeons » ceux qui payent leur forfait mobile plus de 19,99 euros par mois.
Xavier Niel a clairement pointé du doigt les dérives de ses concurrents allant même jusqu’à traiter de « pigeons » ceux qui payent leur forfait mobile plus de 19,99 euros par mois.
©Reuters

Messie 2.0

Lors de sa présentation des nouveaux forfaits Free Mobile, Xavier Niel a clairement pointé du doigt les dérives de ses concurrents allant même jusqu’à traiter de « pigeons » ceux qui payent leur forfait mobile plus de 19,99 euros par mois. Tour d’horizon des autres secteurs qui rechignent à accepter la concurrence.

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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Atlantico : Xavier Niel, patron de Free Mobile, a clairement pointé du doigt les dérives de ses concurrents allant même jusqu’à traiter de « pigeons » ceux qui payent leur forfait mobile plus de 19,99 euros par mois. Le secteur de la téléphonie mobile est-il le seul concerné ?

Emmanuel Combe : Nous pouvons considérer qu’il y a deux pans de l’économie qui cohabitent en France. D’un côté, une industrie et des services aux entreprises qui sont largement ouverts aux vents de la concurrence, en particulier internationale, avec beaucoup de nouveaux venus qui viennent en permanence défier les leaders historiques. De l’autre côté, nous avons une partie du secteur des services à la personne qui est encore abritée des vents salutaires de la concurrence et où il y aurait sans doute beaucoup à faire.

A quels secteurs pensez-vous en particulier ?

Toutes les professions réglementées par exemple, dont le rapport Attali nous parlait déjà en 2008 et, bien avant lui, le rapport Armand Rueff en …1959. Notez bien qu’il ne s’agit pas de déréglementer ces professions pour laisser n’importe qui entrer et faire n’importe quoi. Il s’agit simplement de mettre un peu de nouveauté et de dynamisme dans des professions qui ont eu tendance à s’endormir sur leurs lauriers. Bien entendu, l’ouverture à la concurrence ne doit  jamais remettre en cause les impératifs de qualité et de sécurité. Prenez l’exemple  des taxis parisiens :  voilà un marché qui n’a quasiment pas bougé depuis 70 ans. Nous avons 16500 taxis aujourd’hui, il y en avait 25000 en 1925, est-ce bien normal ? Surtout pour une ville comme Paris qui s’affiche comme la capitale mondiale du tourisme ? L’enjeu n’est pas ici de faire baisser les prix –ils sont réglementés- mais de créer de l’emploi et donc du pouvoir d’achat pour les nouveaux venus, d’accroître pour les clients la disponibilité des taxis, notamment en soirée. Mais il est quasi impossible de réformer ce secteur, compte tenu du prix élevé des licences ; à moins de les racheter au prix fort, ce qui est délicat dans un contexte de tension budgétaire.

Autre sujet, assez tabou en France, celui des pharmacies. Le groupe Leclerc s’est d’ailleurs battu dans le passé pour pouvoir ouvrir une chaine de pharmacies mais il n’a jamais réussi à lever l’obstacle juridique. En France, les chaines de pharmacie sont toujours interdites, alors qu’il s’agirait d’un moyen efficace de rationnaliser les coûts et l’offre.  Il y a aussi l’éternel débat sur les médicaments sans ordonnance et les contours de la parapharmacie. Est-il normal que l’aspirine ou les tests de grossesse ne puissent être vendus en dehors des officines pharmaceutiques ? Vous noterez qu’il ne s’agit pas ici d’ouvrir à la concurrence le segment des médicaments avec ordonnance, pour lesquels le rôle du pharmacien doit rester central. En Angleterre ou en Italie, il est possible d’acheter son aspirine en pharmacie mais aussi dans d’autres commerces. Cela peut paraître très anecdotique comme réforme mais le gain de pouvoir d’achat ne l’est pas du tout : les Italiens ont par exemple libéralisé la vente de médicaments sans ordonnance en 2005 sous Romano Prodi et les prix  ont baissé en moyenne de 20%.

Autre segment de marché, qui est d’ailleurs en train d’évoluer : la vente de produits optiques et notamment de montures de lunettes. En France, nous sommes sur un modèle qui se base essentiellement sur la vente en magasins physiques. En Allemagne, les gens achètent aussi leurs montures en ligne. Je pense que le commerce en ligne peut venir bousculer ce secteur et permettre à ceux qui le souhaitent d’acheter leurs montures moins cher. Marc Simoncini a d’ailleurs lancé Sensee, un site internet pour acheter ses montures de lunette. Ceux qui pensent que ce sont des mesures « lilliputiennes » se trompent : compte tenu des écarts de prix, le gain de pouvoir d’achat peut être considérable.

Le secteur bancaire est lui aussi concerné. En France comme ailleurs en Europe, le marché de la banque de détail a toujours été une affaire domestique et  les banques étrangères ont du mal à s’inviter sur notre territoire, sauf en ciblant des produits particuliers (ING avec le livret épargne) ou des segments de clientèle à forts revenus (HSBC et Barclay’s Bank).

Plus généralement, avons-nous en France un problème dans l’impulsion des projets entrepreneuriaux ?

En France, nous n’avons pas de problèmes d’entrepreneurs ou de création d’entreprises. De nombreuses personnes entreprennent tous les jours, osent des projets. Le problème de la France c’est que nous avons très peu d’entreprises dont la taille augmente vite : les petits restent petits et les leaders sont souvent les mêmes depuis des décennies. C’est une différence essentielle avec les Etats-Unis. Or, seule des entreprises suffisamment grandes et en croissance peuvent venir défier les opérateurs historiques car elles ont les moyens de prendre des risques et les reins solides pour livrer une bataille de prix. Les petits n’en ont pas vraiment les moyens et sont condamnés à faire de la figuration. D’ailleurs, regardez qui est venu défier Air France dans notre pays : une firme comme Easyjet, qui avait les ressources suffisantes pour tenter sa chance ; regardez qui a challengé la grande distribution alimentaire au cours des années 2000 : des firmes allemandes comme Lidl et Aldi, qui sont aussi des nouveaux géants. Il est important pour la dynamique de la concurrence qu’un pays puisse voir grandir des jeunes poussses : où sont les Google et les Amazon français ?

Il y a un chiffre très cruel pour la France. Xavier Niel l’a d’ailleurs rappelé pendant sa présentation. Pour lui « ne pas avoir des entreprises qui ont moins de 15, 20, 25 ans, dans le grand indice français du CAC40 » est un gros problème. Je partage pleinement cette analyse.

Les hommes politiques ont certainement aussi un rôle à jouer.

Selon moi, il y a en France des gisements inexploités de pouvoir d’achat et surtout d’emploi dans les services à la personne. Pour faire jaillir ces gisements, cela suppose d’abord une volonté politique d’ouverture des marchés. Il ne faut pas oublier que Free a pu rentrer dans le marché de la téléphonie grâce à une décision politique forte : l’octroi d’une quatrième licence en 2009. Mais il faut beaucoup de courage politique pour prendre de telles décisions, qui viennent bousculer les intérêts établis.

A cet égard, je pense que les périodes de campagne électorale sont peu propices à des annonces et des réformes en faveur de la concurrence. L’arrivé de Free dans le marché de la téléphonie va donc rester un évènement isolé et exceptionnel. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’il y ait d’autres évènements comparables dans un futur proche.

Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud

Marc Simoncini, évoqué dans cette interview, est l'un des actionnaires d'Atlantico

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