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Arménie-Azerbaïdjan : où en sont les hostilités ?
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Guerre ou paix

Après des combats qui ont fait 64 morts dans le Haut-Karabakh, l'Azerbaïdjan et les séparatistes arméniens ont conclu un cessez-le-feu. À Vienne, le groupe de Minsk devait tenter mardi de trouver une issue à ce conflit vieux de plus de 20 ans.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Le Nagorny-Karabakh, territoire montagneux de 12 000 km2 à majorité arménienne, a un passé tumultueux. Au début du XIXe siècle, cette région passe sous contrôle russe avant d’être confié en 1868 au gouvernement d’Elisavetpol (aujourd’hui Gandja en Azerbaïdjan) qui correspondait globalement à l’Ouest de l’Azerbaïdjan et l’Est de l’Arménie. Après la révolution d’octobre 1917, trois nouveaux États voient le jour dont la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Ces deux derniers États se disputent le Nagorny-Karabakh. Staline confie alors ce territoire à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan. La situation perdure jusqu’aux début des années 1980 mais la Perestroïka exacerbe les tensions, la population majoritairement d’origine arménienne réclamant son indépendance vis-à-vis de Bakou. La haine étant immense entre les Arméniens et les Turcophones, génocide oblige, les heurts ethniques, voire des pogroms, se multipliaient de par et d’autre. Le 20 février 1988, le parlement du Nagorny-Karabakh vote à une grande majorité sa sécession et son rattachement à l’Arménie. La guerre entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie débute dès cette date. Un cessez-le-feu est conclu six ans plus tard (en 1994) à l’initiative de Moscou mais le conflit a fait environ 30.000 victimes. Des négociations s’engagent entre les deux parties sous l’égide du « groupe de Minsk » qui regroupe la France, la Russie et les États-Unis. Le Nagorny-Karabakh devient alors une république autoproclamée, sous protectorat arménien. Cette « république » n’est pas reconnue sur la scène internationale. Durant la guerre, afin d’assurer la continuité géographique entre cette région et l’Arménie, Erevan s’est saisi par la force des zones limitrophes sud et ouest de l’enclave forçant les populations azéries à migrer. L’Arménie s’est ainsi emparée de 9% du territoire azéri ou de 14% si l’on y inclue le Nagorny-Karabakh.

Cependant après 1994, le cessez-le-feu a été régulièrement violé par l’un ou l’autre camp. Depuis quelques mois, les accrochages s’intensifiaient continuellement. Ceux qui ont débuté dans la nuit du 1er au 2 avril ont été particulièrement intenses. Selon Erevan, « l’Azerbaïdjan a lancé vendredi soir une attaque massive à la frontière du Nagorny-Karabakh avec chars, artillerie et hélicoptères ». Bakou a démenti en affirmant n’avoir fait que riposter à des tirs arméniens. Erevan a admis avoir perdu 18 soldats, sans toutefois préciser si ces derniers appartenaient aux forces arméniennes ou à celle du Nagorny-Karabakh De son côté, l’Azerbaïdjan a reconnu la mort de 16 militaires ainsi que la perte d’un hélicoptère et de six blindés. Mais les pertes seraient en réalité plus élevées puisque le 5 avril au moment de la signature d’un accord de cessez-le-feu, des sources semi-officielles faisaient état d’au moins 64 victimes réparties dans les deux camps. Sur le plan militaire, les forces azéries auraient progressé d'à peine 300 mètres en terres contrôlées par les Arméniens.

Qui est derrière ?

  Logiquement, la Turquie se tient derrière l’Azerbaïdjan constitué de populations essentiellement turcophones. Le président Recep Tayyip Erdogan soutient directement Bakou en déclarant lors de son dernier déplacement aux États-Unis : « Nous prions pour que nos frères Azerbaïdjanais triomphent de ces combats avec le moins de pertes possibles […] Nous soutiendrons l’Azerbaïdjan jusqu’au bout ».

Par contre, l’Arménie est soutenue par Moscou(1) et, plus curieusement, par Téhéran alors que les Azéris sont chiites ! En fait, le régime iranien craint, depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan qui a suivie l’effondrement de l’URSS, que ce pays ne devienne trop prospère, particulièrement en raison de ses importantes réserves en hydrocarbures. Il pourrait alors constituer un pôle d’attraction pour les populations azéries iraniennes ou, pire encore, encourager un séparatisme du Nord-Ouest de l’Iran. Or les Azéris iraniens, constituent le deuxième groupe ethnique du pays (entre 16 et 25% de la population iranienne selon les estimations) après les Perses. Ils exercent des responsabilités importantes et sont notamment très présents au sein des pasdarans. Le Guide suprême de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei, est lui-même azéri. Pour Téhéran, il est donc hors de question de laisser l’Azerbaïdjan voisin trop se développer économiquement. Le conflit avec l’Arménie constitue donc la « variable d’ajustement » idéale que l’Iran encourage voire appuie. Par exemple, au début des années 1990 alors que la guerre entre les deux pays faisait rage, les Iraniens avait installé un pont flottant sur la rivière Araxe qui les sépare de leurs voisins arméniens. Toute l’aide militaire transitait via cette infrastructure temporaire par de mauvais chemins de terre. Aujourd’hui, elle a été remplacée par un pont en dur et des routes goudronnées qui relient Nordooz en Iran à Agarak en Arménie.

Quoi qu’il en soit, sur le plan militaire, l’avantage est du côté de Bakou, qui, grâce à son économie florissante, a pu porter le budget de sa défense à plus de 1,5 milliards d’euros. Les forces armées majoritairement équipées de matériels russes et turcs en plus d’une composante fabriquée localement, disposent de 100.000 hommes, de 600 blindéset de 80 appareils de combat. Plus important encore est la volonté politique de reprendre les territoires perdus dans les années 1990. Un esprit revanchard de type « Alsace-Lorraine » qui peut se transformer en une nouvelle guerre qui dépasserait largement les enjeux locaux. De leur côté, les Arméniens se sentent acculés et encerclés par l’ennemi héréditaire turc. Tout est réuni pour rendre la situation explosive.

L’Arménie aligne une cinquantaine d’aéronefs mais pas d’intercepteurs et une centaine de chars accompagnés de transports de troupes blindés de modèles disparates. Il convient néanmoins d’y ajouter les forces essentiellement terrestres du Nargony-Karabakh qui bénéficient de plus de 300 chars de bataille et de centaines de transports de troupes blindés. Elles comptent environ 20 000 personnels sous les drapeaux (le service militaire dure deux ans) qui peuvent être doublés en cas de mobilisation.

Toutefois, Erevan accueille sur son territoire la 102è base militaire du « Groupe des forces russes en Transcaucasie ». Elle est située à Gyumri à 120 kilomètres au nord d’Erevan. Elle serait armée par 3000 militaires qui servent 18 Mig-29, un système anti-aérien S-300 et environ 200 chars et véhicules blindés divers. Cette présence russe est par elle-même dissuasive.

Comme ailleurs, Moscou joue un rôle central dans l’apaisement -peut-être provisoire- des conflits en cours. C’est sous son égide que les chefs d’états-majors arménien et azéri se sont réunis le 5 avril en Russie pour confirmer l’établissement d’un cessez-le-feu durable. Pour combien de temps ? Moscou semble avoir assez de billes dans la région pour obliger les deux parties à une certaine retenue.

Sur un autre front, quid des négociations de Genève sur la Syrie ? Il semble que les intervenants extérieurs -dont principalement la Russie- font pression que forcer les négociateurs à parvenir à quelque chose de présentable(2). A n’en pas douter, tous ces théâtres sont liés d’une manière ou d’une autre. Un « grand jeu » est en train de se nouer entre les États-Unis, la Russie, l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite. Mais au fait, où est l’Europe ?

1. Ce qui n’empêche pas Moscou d’être le premier pourvoyeur en armes de l’Azerbaïdjan.

2. Les ont-ils enfermés comme les cardinaux lors de l’élection d’un nouveau Pape ? Ils ne pourront sortir qu’après avoir conclu un accord ?

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