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Quand l'armée israélienne recrute des autistes - y compris dans ses unités d'élite
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Neurodiversité

Depuis 2008, l'armée israélienne intègre des autistes - non seulement dans des rôles subsidiaires, mais également dans des unités de renseignement d'élite, où leurs dons spécifiques les rend particulièrement compétents. L'autisme apparaît moins comme une maladie que comme une autre façon de voir le monde.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Sus aux clichés : beaucoup d'autistes sont parfaitement intégrables dans de nombreux rôles sociaux et emplois productifs, et l'armée, ce n'est pas que pour les gros bras.

Des jeunes autistes pour des tâches d'élite

Une des unités secrètes d'élite de l'armée israélienne recrute... des jeunes autistes. L'"Unit 9900", unité d'élite dévouée au renseignement électronique, a besoin de leurs capacités uniques pour la pensée visuelle et l'attention au détail. Les soldats autistes de l'unité passent huit heures par jour devant des écrans d'ordinateurs à étudier des images de satellite et de drones, comme le raconte Shira Rubin de The Atlantic. En effet, comme l'explique Laurent Mottron, professeur de psychiatrie à l'Université de Montréal, dans un article dans la revue scientifique Nature, beaucoup d'autistes ont des dons naturels pour l'analyse visuelle, les tâches de perception, et la manipulation mentale de formes tri-dimensionnelles complexes.

Depuis 2008, l'armée israélienne a abandonné sa pratique de réformer les jeunes autistes, et les intègre au cas-par-cas, en général des rôles administratifs ou de service civique dans des hôpitaux ou des écoles--mais également dans l'Unit 9900. Dans ce pays où le service militaire est obligatoire et où l'armée est un des piliers de l'identité nationale, beaucoup de jeunes autistes vivaient le fait de ne pas pouvoir faire l'armée comme une tragédie, et beaucoup d'entre eux aiment l'aspect ordonné de la vie militaire.

C'est un effort pensé et stratégique. Le programme Ro'im Rachok ("Voir dans l'avenir") aide les jeunes lycéens autistes à se préparer à la vie militaire. Les élèves doivent subir des tests pour déterminer s'ils sont éligibles. Les élèves ont ensuite une formation de trois mois : une formation technique à leur métier, mais également des rendez-vous fréquents avec des psychologues pour les aider à s'adapter. Le programme encourage également les élèves à réfléchir à leur avenir, et à voir l'armée comme une opportunité de devenir des adultes indépendants. 

En effet, les élèves peuvent continuer comme permanents dans l'armée, mais également, le secteur high-tech de l'économie israélienne prise beaucoup les gens issus d'unités comme Unit 9900, et le programme offre donc de réelles opportunités d'indépendance. Le programme est considéré comme un succès par l'armée israélienne, et celle-ci prévoit d'ouvrir d'autres postes aux jeunes autistes, comme le service qualité, la programmation, et l'analyse de données. 

L'armée israélienne, vecteur d'intégration

L'histoire d'Israël, très petit pays en état de guerre ou d'hostilité permanente face à des ennemis beaucoup plus importants, a fait de l'armée un pilier de la vie sociale du pays. Le service militaire est obligatoire - trois ans pour les hommes, deux ans pour les femmes - et la plupart des Israéliens sont dans l'armée de réserve. 

L'armée prend donc très au sérieux son rôle social, en plus de son rôle militaire, et s'efforce de servir l'intégration. L'intégration des handicapés dans l'armée israélienne n'est pas une nouveauté. Comme le raconte le Jerusalem Post, depuis 2004, l'association Yad leYeled HaMeyuchad ("Tendre la main à un enfant handicapé") aide également les jeunes handicapés qui veulent servir dans l'armée israélienne (les handicapés sont réformés de service militaire, mais beaucoup se portent volontaires). Ils sont intégrés dans leurs unités et apprennent la vie indépendante, souvent éloignés de leurs familles pour la première fois. L'association les aide à trouver un emploi après leur service militaire. 

L'intégration est tellement importante pour l'armée israélienne qu'elle va jusqu'à s'adapter aux...végétaliens. Ceux-ci ont droit à des menus spéciaux au réfectoire, et même à des bottes synthétiques et non en cuir, raconte Gili Cohen de Haaretz.

L'autisme, pas (que) une maladie

On voit l'autisme comme une maladie handicapante, et c'est très certainement une épreuve pour beaucoup d'autistes et leurs familles. Mais de plus en plus, les médecins préfèrent de parler de "neurodiversité"--l'autisme est une manière différente de voir le monde. Les autistes ont des problèmes de communication verbale et non verbale et d'intégration sociale, mais aussi des capacités à appréhender les concepts, les schémas, l'ordre, qui sont uniques. Dans cette manière de voir la chose, promue notamment par le docteur Temple Grandin, professeur à Colorado State University et elle-même autiste, l'autisme n'est pas une maladie à guérir, mais une autre forme de diversité de l'espèce humaine.

Tyler Cowen, professeur d'économie renommé qui s'est découvert autiste à un âge avancé a écrit un livre à ce sujet, Create Your Own Economy, qui montre comment les cadres cognitifs liés à l'autisme peuvent tous nous aider à mieux vivre. Pour lui l'économie moderne, de plus en plus fondée sur l'information, nous rend tous progressivement de plus en plus autistes--à classifier et ordonner les informations--et c'est une bonne chose. 

La France, en échec complet face à l'autisme

La France est un des rares pays au monde où la psychanalyse, freudienne ou lacanienne, discréditée scientifiquement de par le monde, a encore des lettres de noblesse. En 2012, année où l'autisme fut nommée cause nationale, la Haute autorité de santé (HAS) et l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) ont publié leurs recommandations sur les thérapies pour enfants et adolescents autistes et ont officiellement désavoué la psychanalysecomme le rappelle Peggy Sastre de Slate.

Le documentaire Le Mur, interdit de diffusion, rappelle comme le traitement en France de l'autisme, influencé par la psychanalyse, fait souffrir des enfants et des familles Alors que la plupart des scientifiques s'accordent à dire que l'autisme est un phénomène en grande partie génétique et neurologique, la psychanalyse le considère comme une forme de traumatisme psychologique, lié à un supposé besoin inconscient de la mère de détruire son enfant. Les psychanalystes prônent des pratiques comme le "packing", où un autiste est enveloppé dans un linge humide et froid, puis progressivement réchauffé, supposément pour l'aider à prendre conscience de son environnement--une forme de thérapie que des autorités scientifiques internationales comme le journal médical The Lancet dénoncent comme barbare et inefficace. 

A contrario, la prise en compte de la neurodiversité a donc permis à l'armée israélienne de trouver des ressources humaines uniquement adaptées à des tâches clés, et à un nombre de plus en plus importants de jeunes hommes de trouver de la dignité, de l'intégration et de l'indépendance dans leur vie. Un exemple dont on pourrait s'inspirer.

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