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Théorie du complot, le retour : ces Français (heureusement moins nombreux) qui se convainquent que les attentats de Paris sont une manipulation pour abîmer l’image des musulmans
©Reuters

Parano

Les versions officielles qui expliquent le déroulé des attaques du 13 novembre à Paris sont remises en cause, notamment sur les réseaux sociaux. Ces théories sont sourcées avec des articles de la presse traditionnelle qui sont supposés dessiner un faisceau de preuves qui amèneraient une conclusion irréfutable.

Guilhem Fouetillou

Guilhem Fouetillou

Guilhem Fouetillou est professeur associé à Sciences Po et fondateur de linkfluence, institut d'analyse des conversations sur le Web.

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Hayette Hamidi

Hayette Hamidi

Hayette Hamidi est Secrétaire Nationale pour le parti Les Républicains et présidente du think tank France Fière. 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Les versions officielles qui expliquent le déroulé des attaques du 13 Novembre à Paris font-elles l'unanimité ? Comment les théories du complot, et plus généralement les propos conspirationnistes se structurent-ils ? 

Guilhem Fouetillou : Le principe du web,; c'est que l'on peut y trouver tout ce que l'on y cherche. Aujourd'hui, ce que l'on peut dire, c'est que l'immense majorité des publications sur les attentats de Paris ne remettent aucunement en cause les versions officielles, et sont d'abord dans la stupéfaction, l'entraide, la solidarité, ou s'exprime sur les choix du gouvernement et les conséquences politiques ou géopolitiques. Comme toujours bien sûr, on trouve de théories complotistes qui apparaissent, mais dans des lieux parfaitement identifiés. Comme à chaque grand événement, on retrouve des lectures obliques de ces événements. Deux types de complots s'expriment : comme pour les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis, il y à ceux qui accusent le gouvernement d'en être à l'origine, pour justifier l'Etat d'urgence et porter un coup aux libertés individuelles, pour assumer une politique anti-musulmane et anti-islam, pour faire écran de fumée devant les restrictions budgétaires à venir... Et un autre où c'est l'axe New York-Jérusalem qui en serait à l'origine, où une élite cachée, judéo-franc-maçonnique qui tirerait les ficelles de l'économie et de la géopolitique du monde. C'est presque caricatural, en tout cas pour ces attentats. Les ficelles sont grosses.

Comme d'habitude dans la réinformation, ces théories sont sourcées avec des articles de la presse traditionnelle qui sont supposés dessiner un faisceau de preuves qui sont amèneraient une conclusion irréfutable. Ainsi l’hôpital de la Salpêtrière avait organisé au matin des attentats une répétition d'une situation d'attentat. Les complotistes rappellent que le même cas de figure s'était produit aux États-Unis pour le 11 septembre... Mais statistiquement, il est toujours possible de trouver un hôpital qui ferait ce type de répétition. 
S'il y a des différences avec ce que l'on avait pu mesurer lors des attentats de Charlie Hebdo, avec une nette diminution de ce type de propos et de contenus, c'est aussi parce que beaucoup de médias et de nombreux internautes ont fait un travail pour améliorer l'esprit critique. D'autres se retiennent mais n'en pensent peut-être pas moins, car certains conspirationnistes avaient été appréhendés par la justice, que chacun était comptable de ses propos. 

Alexandre Del Valle : A chaque attentat terroriste, à chaque événement géopolitique spectaculaire, il y a des gens qui ont intérêt à nier la réalité parce que celle-ci contredit leurs représentations. Pour le 11 septembre, tous les anti-américains radicaux avaient intérêt à nier les attentats car l'ennemi yankee pouvait alors apparaître non plus comme un bourreau mais comme une victime, et il ne fallait pas que leur ennemi devienne un sujet de compassion. Sur internet, au-delà des théories sophistiquées du complot, ce que l'on observe est du même ressort que ce qu'avait dit le Président Erdogan pour le génocide arménien : il avait répondu dans un négationnisme en temps réel : "un musulman ne peut pas commettre cela", donc le génocide des arméniens est une invention des « ennemis de l’islam » qui veulent ainsi « salir » les musulmans et la religion du Prophète. Aujourd'hui dans les banlieues, cela n'arrange pas les extrémistes de tous bords de reconnaître la vérité des attentats attribués à des terroristes musulmans fanatiques. Cela ne convient pas aux extrémistes radicalisés au nom de l’islamisme de reconnaître que les français chrétiens ou autres puissent être victimes de tueurs aux cris de "Allah akbar", beaucoup de victimes des théories conspirationnistes et judéophobes totalitaires préfèrent dire ou faire croire que ce sont les « services de renseignement français », les « juifs », la « CIA », ou tout cela à la fois. Dans un incroyable renversement des responsabilités, les auteurs de ces rumeurs déresponsabilisantes et complotistes réussissent à transformer une formidable occasion de faire la critique de l’islamisme en une extraordinaire occasion de plaindre l’islam et les musulmans au nom du « refus de l’amalgame » et d’une dénonciation de l’islamophobie qui s’apparente en fin de compte à un détournement de l’antiracisme au profit de la défense de l’islamisme. Cette théorie du complot est donc très intelligente ou plutôt redoutablement efficace en termes de fanatisation et de guerre psychologique ou « guerre des représentations » : l’occasion de pouvoir faire une autocritique, d'aller à la source théologique et doctrinale des problème devient une occasion de faire une fantastique publicité pour l'islam et les thèses victimaires des islamisme. En effet, selon cette vulgate complotiste et victimaire, il est tout simplement impossible pour un « vrai musulman » de commettre des attentats, donc les attentats islamistes non seulement n’existent pas et donc ne sont pas à condamner, mais ce qu’il faut condamner est l’islamophobie, l'islam étant en réalité la plus tolérante et la plus belle des religions. C'est du génie marketing qui consiste à transformer une publicité négative (l’attentat terroriste au nom de l’islam et qui est nié en tant que tel) en une publicité positive (« vive le vrai islam » et « excusons nous d’être racistes envers les musulmans stigmatisés et donc bons par nature et victimes de notre méchanceté première »). La théorie du complot n'est pas quelque chose de débile. Ceux qui en sont à l'origine savent très bien que ce n'est pas la vérité, mais ils peuvent ainsi toucher des masses, ignorantes ou faibles d'esprit, et leurs négationnisme en temps réel permet premièrement de se dédouaner et excuser les bourreaux et deuxièmement de fanatiser et recruter des adeptes au nom d’une vision apocalyptique du monde fondée sur la lutte entre le Mal occidental judéo-chrétien et le Bien oriental islamique. De bourreau, l'islamiste devient la victime. Pour preuve, le processus de recrutement de l'Etat islamique commence toujours par la théorie du complot : complot juif, maçonnique, Illuminati, américano-sioniste », « judéo-croisé », etc. C'est comme cela qu'ils les accrochent les naïfs ou les jeunes en quête d’absolu puis les ressentimentaux désoeuvrés et marginaux qu’ils coupent ainsi du monde et investissent d’une mission salvifique universelle face aux Satans bouc-émissaires.

Quel profil peut-on établir des individus qui adhèrent à ces théories du complot ?

Guilhem Fouetillou :  Il existe aujourd'hui quelques centaines de sites conspirationnistes, qui produisent ces contenus et qui s'assurent de leur visibilité. Avec le référencement, les réseaux sociaux, ces derniers espèrent toucher un maximum de personnes. Internet donne potentiellement à chacun la potentialité de la visibilité du New York Times. Chacun de ces contenus peuvent circuler rapidement. Mais ceux qui consomment ce type de contenus ne peuvent pas être délimités à un groupe. Comme ils ne font pas appel à la partie la plus rationnelle de ces personnes, ce n'est pas parce que l'on est éduqué, cultivé, que l'on sera moins sensible ou plus critique de ce type de théorie. Après, il s'agit surtout de personnes en pertes de repères, de valeurs, qui sont dans une révolte importante. Ils trouvent alors dans ces théories un côté rassurant, parce qu'elles valident leur lecture du monde. 

Alexandre Del Valle : On se rend compte que la jeunesse d'aujourd'hui est de plus en plus massivement lassée -probablement à juste titre- des politiques menées depuis des années, du système scolaire, des médias, des visions officielles en tout genre, etc. Ce à quoi s'ajoute une baisse du patriotisme, de l'esprit civique, du respect de la loi, de la collectivité, une montée de individualisme et un culte néo-soixante-huitard de la révolte permanente contre tout... Sur internet au contraire il y a une forme de rébellion, ce qui y circule semble être le produit d'une liberté, alors que les médias traditionnels ne feraient que diffuser la « propagande officielle ». C'est très caricatural, certes... mais il est clair que cette défiance-méfiance s'exprime donc envers la société dans son ensemble, des les médias, aux juges et à la police en passant par hommes politiques, les professeurs et les intellectuels qui feraient tous partie du même système, face auquel des héros courageux comme les islamistes radicaux, les Soral et les Dieudonné lutteraient presque seuls.

Mais ceux qui sont touchés ne sont pas que les musulmans de naissance: la plupart de mes étudiants par exemple, issus de l'immigration ou pas, croyants ou pas, sont adeptes à des degrés variés certes de théories du complot aussi farfelues les unes que les autres. Ma plus grande difficulté en tant que professeur de géopolitique est de leur faire comprendre que les théories du complot sont trop simplistes et manichéennes pour être vraies et qu’elles sont une arme de guerre destinées à mobiliser des naïfs à des fins politiques totalitaires. Et l’on répond que nous sommes « naïfs » ou complices des comploteurs si l’on refuse de souscrire à ces théories du complot. La vision dominante est que la vérité est forcément rebelle et tout ce qui est officiel est faux. Et ce phénomène prend une ampleur importante : si il y a quinze ans, seuls les jeunes néo-nazis ou d'extrême gauche adhéraient à des théories complotistes totalitaires, aujourd’hui, ces idées gagnent la jeunesse dans une très forte proportion, en partie à cause du caractère incontrôlable des réseaux sociaux et à cause de l’inadaptation des lois en vigueur.

Et la théorie du complot est le début de tous les totalitarismes, qu'ils soient rouge, bruns ou vert. Tous les idéologues totalitaires adorent et surtout fabriquent et répandent des théories conspirationnistes pour mobiliser et intoxiquer. Quand les situations sont complexes, comme on le voit aujourd'hui en Syrie où il y a des guerres dans la guerre, où les intérêts de chacun peuvent sembler contradictoires, la vérité est trop paradoxale et trop peu manichéenne pour satisfaire une soif d’explication manichéenne totalisante. A contrario de la complexité et du caractère paradoxal de la vérité, la théorie du complot, limpide, manichéenne, répond au besoin de logique simple, fermée et implacable de nombreux être humains fanatiques ou simplement manipulables car ignorants. Elle est en effet pour eux immédiatement compréhensible, infiniment plus satisfaisante que la complexité des choses.

Hayette Hamidi : Incontestablement, le déroulé présenté par le Procureur de la République de Paris fait l'unanimité. Plusieurs facteurs peuvent l'expliquer. Tout d'abord, des milliers de jeunes franciliens se sont retrouvés bloqués au Stade de France pendant de longues minutes sans information... Ils ont véritablement et malgré eux, été acteurs de ces événements et ressenti directement pour la première fois, la peur et l'angoisse des attentats. Des centaines d'autres, moins chanceux en ont été réellement victimes. De ce fait, de par l'ampleur du nombre des personnes concernées, toutes les familles franciliennes ont été, de près ou de loin, touchées par ces actes odieux. Ensuite, les premières informations sont arrivées massivement des réseaux sociaux. Or, cette diffusion "populaire", parfois très détaillée et illustrée, qui échappe au contrôle de l'Etat, est considéré comme plus fiable et véridique que les média mainstream. Ces informations concordant parfaitement avec le scénario présenté par la suite, par le Procureur de Paris, il n'y a donc pas eu de place pour la conjecture. Pour terminer ce schéma dramatique, les révélations sur l'identité des terroristes a fini de réveiller certaines consciences incrédules : une fois encore, il s'agissait incontestablement de jeunes français, radicalisés de façon fulgurante et connus de tous pour avoir volontairement rejoint la Syrie. Aujourd'hui, toutes les discussions sont donc concentrées sur les mesures policières de l'état d'urgence et la sécurité qui devient plus que jamais la priorité absolue des français. Certains considèrent qu'elles ne sont pas assez ciblées, d'autres qu'il aurait fallu agir bien avant et d'autres encore qu'il faut aller plus loin... Tous attendent énormément de nos responsables politiques qui doivent, tout en préservant l'unité nationale, apporter des réponses concrètes et efficaces afin que cette tragédie ne puisse plus jamais se reproduire.

La situation dans les quartiers populaires, à l'image du reste des territoires, est particulièrement délicate. Les habitants essayent de ne pas tomber dans la psychose tant le terrorisme touche, dorénavant, l'ensemble des couches de la société. D'ailleurs, de manière plus significative qu'après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Casher du début d'année, s'est fait entendre clairement l'expression d'un refus de la barbarie et l'envie de faire bloc avec la nation. De nombreux quartiers ont été touchés jusque dans leur chair et la répétition de cette sauvagerie à quelques mois d'intervalle a fait naître, même chez les plus jeunes, l'impératif d'éradiquer les terreaux de la radicalisation, quitte à devoir faire le ménage eux-mêmes ! En plus du sentiment d'unité et de patriotisme retrouvé chez certains, les habitants refusent d'être injustement pris en otage et attendent une réponse sans concession face aux commerçants de la mort. Il n'est plus concevable que les groupes terroristes puissent recruter, voire se servir de nos territoires, comme base arrière. On observe également, le sentiment d'être une nouvelle fois les victimes sur le long terme de ces attentats, qui inévitablement augmenteront les discriminations professionnelles. Les conséquences de l'idéologie mortifère des groupes terroristes sont devenues dramatiquement concrètes pour les habitants des quartiers populaires et ne sont donc plus supportables. Il n'est plus concevable de subir jusque sur nos trottoirs la haine de ceux qui n'ont comme projet que le démantèlement de nos libertés.

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