Angela Merkel fête ses 10 ans à la tête de l'Allemagne : la chancelière qui prenait (trop) son temps<!-- --> | Atlantico.fr
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La chancelière allemande Angela Merkel.
La chancelière allemande Angela Merkel.
©Reuters

Joyeux anniversaire, Fraulein Merkel

Le 18 septembre 2005, pour la première fois, une femme, originaire d'Allemagne de l'Est qui plus est, arrivait au poste de chancelière fédérale en Allemagne. Dix ans après son accession au pouvoir, Angela Merkel est une femme d'Etat respectée, mais souvent critiquée pour ses méthodes de gouvernement, jugées trop lentes.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : Roland Hureaux, vous êtes très critique à l'égard d'Angela Merkel. Selon vous quel est son principal échec ? De même, quel principal grief peut-on lui faire ?

Roland Hureaux : Globalement, madame Merkel, à l'instar de son prédécesseur, a détruit l'Europe. D'abord, elle a continué la politique monétaire irréaliste imposée par son prédécesseur. Elle n'a rien fait pour permettre aux autres Etats européens de s'aligner sur la compétitivité allemande. Le déséquilibre entre l'Allemagne et les autres pays de l'Union va croissant. Inévitablement, il se traduira par la fin de l'euro et l'immense échec de la construction européenne. C'était peut-être inévitable, mais il était entre les mains de l'Allemagne de prolonger l'expérience grâce à une attitude modérée.

D'autre part, l'appel à des réfugiés et des immigrants (issus d'Afrique comme d'Asie) pour combler le déficit de l'Allemagne aura l'effet de détruire le traité de Schengen. L'Allemagne en fait l'exemple en rétablissant le contrôle à ses frontières ; et compte-tenu du fait que des centaines de milliers de réfugiés attendent encore pour y entrer, je doute du rétablissement rapide de la libre-circulation. Je crois que la décision d'ouvrir aussi massivement les frontières à une immigration incontrôlée, au moment où des risques d'infiltration terroristes ont été révélés au grand-jour, apparaîtra dans l'avenir comme une grave faute. Une de celles susceptible de déstabiliser l'Allemagne de façon durable. In fine, je ne serais pas étonné que cela se traduise par un résultat inverse : une attitude de fermeture, d'apartheid et peut-être même le retour d'un régime autoritaire. Il n'existe pas d'exemple dans le passé où la cohabitation de communauté très hétérogènes  ait pu se faire sans régime autoritaire. La Syrie de Bachar Al-Assad offre peut-être un avant-goût de ce qui nous attend...

J'ajoute encore que du point de vue des intérêts allemands, la renonciation au nucléaire est sans doute une grave erreur. Angela Merkel a cédé, pour des raisons électorales, à ce qui est en réalité un fantasme : l'énergie nucléaire est aujourd'hui extrêmement sécurisée. D'autre part, elle offre une alternative parmi les moins polluantes au charbon. Cela a bien évidemment eu des répercussions sur la France, puisqu'elle a mis à la mode les énergies alternatives ; en particulier les éoliennes qui auront le triste effet de polluer l'une des plus grandes richesses de l'Europe : ses paysages, témoins de 2000  ans d'histoire. Enfin, je souhaiterais souligner une réussite à son actif, puisqu'elle a réussi à rester 10 ans au pouvoir. C'est une politicienne accomplie, qui vit en regardant les sondages et les échéances électorales. Plus habiles que beaucoup de ses collègues européens, à se faire ré-élire.

Quel bilan global peut-on dresser de l'action d'Angela Merkel au terme de dix ans de pouvoir en Allemagne ?

Henri de Bresson : Je dois faire un rappel. Il s'agit de la troisième chancelière depuis la réunification après les chanceliers Helmut Kohl, la coalition sociale-démocrate de Gerhard Schröder et de Joschka Fischer. Elle arrive donc au pouvoir quinze ans après la réunification et il s'agit d'une chancelière originaire de l'Est, ce qui représente quand même quelque chose d'extraordinaire car l'Est ne représente qu'une petite partie de la population : 16 millions d'habitants sur 80 millions d'Allemands. Tout le monde se gaussait d'eux après la réunification et il s'avère qu'une chancelière de l'Est arrive au pouvoir en 2005. Elle a elle-même un parcours politique tout à fait étonnant. Une autre particularité allemande, où l'on a encore des hommes politiques d'après-guerre qui ont un passé personnel très particulier. Il ne s'agit pas du personnel politique de parti mais vraiment de personnalités avec un parcours. J'ai personnellement rencontré Angela Merkel après la chute du Mur lorsqu'elle était la porte-parole d'un petit mouvement politique allemand et il s'agissait déjà de quelqu'un à l'écoute. Elle a ensuite fait une carrière fulgurante.

Sur le plan de son bilan, cette femme dont même les chrétiens-démocrates doutaient des chances de succès en raison de son manque d'expérience, de sa méconnaissance des grandes affaires du monde, cette femme s'est affirmée parce qu'elle s'adapte, elle apprend et a la capacité, l'énergie pour tenir ses équipes et ses adversaires se sont toujours rendus compte que c'était un tort de la sous-estimer. Sur le plan du bilan lui-même, elle a contribué à stabiliser, après les accomplissements de Gerhard Schröder et Fisher, puis Kohl, elle a stabilisé cette Allemagne dont la réunification n'a pas été un processus facile. Il reste encore aujourd'hui des différences de niveaux sociaux et de développement économique entre l'Est et l'Ouest. Elle a donc contribué à stabiliser cette Allemagne.  Sur le plan économique, elle a un peu vogué sur l'héritage de son prédécesseur Gerhard Schröder qui avait initié une réforme économique et sociale assez brutale en Allemagne, ce qui lui a apporté les succès économiques qu'on lui connaît ces dernières années et qui font que l'Allemagne apparaît désormais comme le phare économique, sinon politique, de l'Europe. Elle a su en même temps démentir les craintes selon laquelle l'Allemagne ne penserait qu'à ses intérêts et se désintéresserait de l'Europe. Merkel l'Allemande de l'Est a continué les choix de Kohl suivis par Schröder mais surtout faits par son ministre des affaires étrangères Joschka Fisher qui avait pris des décisions importantes pour l'Allemagne notamment à l'époque, au moment de la guerre en ex-Yougoslavie. Elle a montré quand même dans tout cette période de crise où elle a travaillé main dans la main avec Sarkozy d'abord puis Hollande, une capacité d'adaptation. C'est son caractère : elle ne va pas vite et on le lui a souvent reproché. Elle est assez claire sur ce qu'elle veut faire et elle avance dessus. Alors que les Allemands étaient très réticents à un gouvernement économique de l'Europe, elle a avancé sur ce thème, elle a laissé faire la Banque centrale européenne, elle lui a permis de faire des prêts aux pays en crise. On est encore sur la voie de ce gouvernement économique mais en tout cas, l'Allemagne n'a pas bloqué sur ce sujet.

Jérôme Vaillant : Au terme de dix années d'exercice du pouvoir en Allemagne, la chancelière A. Merkel pourrait s'enorgueillir d'avoir été choisie plusieurs années de suite par le magazine Forbes comme "la femme la plus puissante du monde" et de n'avoir pas de concurrence sérieuse à redouter sur la scène politique allemande. Son calme et sa sérénité viennent pourtant d'être pris en défaut. A l'occasion d'un discours fait sur la politique de l'Allemagne en matière de réfugiés devant le congrès du parti frère de la CDU, la CSU bavaroise, elle n'a pas supporté les critiques de son président Horst Seehofer, et est partie sans prendre congé et sans s'excuser: en claquant ainsi la porte, la chancelière a accusé le coup face à de nombreuses rumeurs affirmant qu'"un putsch était déjà en cours d'exécution contre elle". Rien ne permet de confirmer ces rumeurs, il reste que le ministre de l'Intérieur Th. de Maizière, a réintroduit la procédure de Dublin à l'encontre des réfugiés et que le ministre des Finances, W. Schäuble, n'est pas loin de penser comme Horst Seehofer que l'Allemagne a besoin de fixer une limite à l'accueil des réfugiés pour venir à bout de ce qu'il n'a pas hésité à comparer à une "avalanche" qui tombait sur le pays. Si la chancelière a eu le mérite de défendre en la matière les valeurs humanitaires de la constitution allemande et de l'Union européenne et se refuse à fixer un seuil à ne pas dépasser, elle a aussi grandement perdu de sa crédibilité auprès des Allemands et plus particulièrement des sympathisants de son propre parti. Elle se trouve ainsi désormais fragilisée et n'est plus aussi incontestée que les années passées.

Le bilan que les milieux économiques font des dix ans de pouvoir d'Angela Merkel est on ne peut plus mitigé. Certes le chômage est au plus bas depuis 1991 et l'emploi au plus haut, le budget est équilibré, mais la croissance est restée modérée tout au cours de la décennie, en dessous de la moyenne des pays de l'OCDE: 1,3% de 2005 à 2014. Alors que la mondialisation réunit, selon eux, les conditions pour permettre à un pays orienté comme l'Allemagne vers l'exportation de bénéficier d'une croissance plus forte (prix du pétrole, cours de l'euro par rapport au dollar). La faute en reviendrait à l'arrêt des réformes depuis 2010. Cela ne manque pas de sel de voir l'Institut d'études économiques de Cologne relever que dans la période précédente, la chancelière n'a guère fait qu'engranger les bénéfices des réformes engagées par son prédécesseur social-démocrate, Gerhard Schröder, au titre de l'Agenda 2010 et plus particulièrement des réformes Hartz: réforme des retraites, réforme des dépenses de santé, réforme de l'allocation chômage et plus généralement assouplissement du marché de l'emploi, réforme de l'impôt sur les sociétés, etc. Autrement dit, A. Merkel se serait reposée sur les lauriers de G. Schröder et n'aurait guère insufflé à titre personnel de politique nouvelle; comme Helmut Kohl, en fin de mandat, elle hésiterait à faire des réformes et gérerait au jour le jour les affaires courantes.
Il reste que l'OCDE prévoit pour l'Allemagne dans les années 2014-2020 une croissance annuelle moyenne de 3,2%, ce qui devrait réconforter la chancelière.


Quelles ont été ses dix plus grosses erreurs en tant que chancelière ?

Henri de Bresson : La question est compliquée parce qu'en réalité, Angela Merkel avance très lentement et on lui reproche en permanence de ne pas aller assez vite, de ne pas être assez claire sur ce qu'elle veut faire mais elle avance. Quand on fait le bilan, elle est aussi capable de décisions draconiennes comme elle l'a fait sur le nucléaire. Au moment de l'accident à la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, du jour au lendemain, elle a convaincu son parti, la droite allemande, qu'il fallait abandonner le nucléaire et passer à autre chose. Aujourd'hui, elle se retrouve prise dans un débat très difficile en Allemagne sur la question de savoir combien de réfugiés il faudrait accepter. Elle est partie sur un principe : "Nous ne pouvons pas, nous Allemands, ne pas ouvrir nos portes aux réfugiés car la guerre sévit en Syrie". Evidemment, cette position provoque des réactions très difficiles en Allemagne. D'une certaine manière, l'un de ses échecs est peut-être de ne pas avoir réussi à mieux intégrer l'Allemagne de l'Est dans une pensée dominante allemande d'après-guerre. On se retrouve donc avec des portions de la société est-allemande qui ont beaucoup de mal à accepter d'abord d'être toujours à la remorque de l'Ouest sur le plan économique et social mais en l'occurrence ne comprend pas du tout pourquoi on leur demande d'accueillir des réfugiés. Voici un problème que malheureusement, aucun chancelier de la réunification,  pas plus Merkel que les autres, n'est parvenu à régler. On attend beaucoup de Merkel. Dans sa manière d'avancer, jusqu'où ira-t-elle ? Elle n'a pas tout dit sur le plan européen. Beaucoup de gens attendent beaucoup d'elle. La France est dans une situation difficile sur le plan économique et sur le plan de la stabilité politique, encore plus avec la crise que traverse notre pays actuellement depuis les attentats. La France est donc un partenaire difficile pour l'Allemagne. Est-ce qu'Angela Merkel saura répondre aussi bien aux attentes des Allemands mais aussi à celles d'autres Européens sur  des sujets aussi importants que la défense européenne ? Il existe un doute sur ce que la chancelière attend de l'Europe.

Jérôme Vaillant :  Peut-être vaut-il mieux parler de manquements ou de défaillances sans en chiffrer le nombre. La chancelière doit assumer non seulement les succès induits par les réformes Schröder de l'Agenda 2010, elle doit aussi en assumer les faiblesses, en particulier l'accroissement des "petits boulots" et de la précarité qui s'ensuit pour les personnes les plus fragiles de la société allemande: au delà des chômeurs, les familles monoparentales et les personnes âgées. Au point que sociologues et économistes parlent de "nouveaux risques sociaux" qui se manifesteront de façon plus vigoureusement encore lors du passage de ces catégories à la retraite. Au moins, la chancelière a-t-elle accepté, sous la pression de son partenaire social-démocrate de revenir sur l'âge de la retraite à 67 ans pour le ramener à 63 ans et a-t-elle introduit un salaire minimum dans la plupart des branches qui, contrairement aux craintes des milieux économiques, n'a pas impacté le retour du pays à la croissance.

La faiblesse structurelle de la chancelière est de manquer d'une politique clairement affichée, son art consistant à coller aux idéaux de ses différents partenaires, tout aussi bien les Sociaux-démocrates lors de la première grande coalition de 2005 à 2009 ou pendant l'actuelle grande coalition (depuis 2013) que les Libéraux - son partenaire préféré -  avec lesquelles elle a été au pouvoir de 2009 à 2013.

En tant que femme et en tant qu'Allemande de l'Est, A. Merkel n'a pas cherché à faire évoluer le statut des femmes ou à privilégier les Länder de l'Est, au nom d'une sorte de neutralité qu'elle se devait de s'imposer pour rester crédible.

C'est en matière de politique étrangère qu'A. Merkel a le plus infléchi la politique de son prédécesseur. H. Kohl avait préparé l'Allemagne unifiée à s'impliquer toujours un peu plus au niveau international, G. Schröder a poussé beaucoup plus loin les engagements extérieurs de l'Armée fédérale, dans les Balkans, au niveau de la Corne africaine, en Afghanistan, mais un coup d'arrêt a été porté à son engagement militaire quand il a, avec la France, refusé de s'engager dans la nouvelle guerre d'Irak en 2003, estimant que celle-ci n'était pas légitime. Dans la foulée, A. Merkel, sans remettre pour autant en cause le partenariat transatlantique, a réduit l'importance des effectifs de l'armée allemande en opération extérieure, les faisant passer d'un maximum de 12.000 hommes sous G. Schröder à moins de 3000 aujourd'hui. La faute  a été commise lorsque, à l'initiative du ministre allemand des Affaires étrangères de l'époque, Guido Westerwelle, A. Merkel a toléré que l'Allemagne s'abstienne lors du vote du Conseil de sécurité sur la Libye. Elle aurait pu aussi bien voter comme ses alliés sans pour autant s'engager dans les opérations militaires menées par La France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Cela explique aussi que face aux attentats terroristes de Paris, l'Allemagne aborde la question en terme de police et non d'actions militaires. Le vice-chancelier S. Gabriel, a refusé de parler de guerre et c'est d'abord le ministre allemand de l'Intérieur, Th. de Maizière, qui négocie avec la France dans le cadre européen, bien plus que la ministre de la Défense, U. von der Leyen.

Pour conclure provisoirement cette question, une remarque d'ordre institutionnel s'impose: certes la chancelière décide de la politique du gouvernement

mais elle exerce le pouvoir à la tête d'une coalition, ce qui la force à tenir compte de l'avis de ses partenaires. Ses décisions ne reflètent pas en ce sens seulement son avis, elles sont le produit d'une alchimie complexe du compromis entre partenaires au gouvernement, à quoi il faut ajouter les dissensions évoquées plus haut entre CDU et CSU, partis frères mais en constante situation de rivalité.

Quels sont les dossiers brûlants qui l'attendent désormais ?

Henri de Bresson : Dans l'immédiat, il faudrait savoir quelle aide, en Allemagne, on apporte aux Français pour assurer la sécurité non seulement de la France mais de l'Europe et jusqu'où les Allemands vont-ils prendre conscience qu'avec les responsabilités politiques qu'ils ont désormais, ils ne peuvent pas laisser les Français et les Britanniques s'occuper de la défense européenne tout seuls. Il faut que l'Allemagne rentre dans le jeu, qu'elle accepte de prendre des responsabilités, ce qui n'est pas évident. Troisième problème : l'Allemagne est-elle prête à avancer plus loin pour finaliser une union économique et monétaire qui semble devenir nécessaire pour stabiliser la zone euro.

Jérôme Vaillant :  Le dossier le plus brûlant est celui des réfugiés, sur lequel la chancelière a pris une position en flèche en Europe comme au sein de son gouvernement.

Les communes lui demandent des aides plus substantielles que celles qui leur ont ou vont leur être accordées pour financer l'accueil et l'intégration de ceux-ci, beaucoup d'Allemands, après avoir pratiqué une politique de bienvenue à leur égard, sont en train de se confronter à la réalité et ont du mal à imaginer que l'Allemagne suffise à la tâche. Pour la chancelière, c'est une tâche qui incombe à l'ensemble de l'Europe: sans répartition des tâches entre les différents Etats membres de l'Union, sans une politique commune et aussi consensuelle que possible au niveau européen aucun Etat ne parviendra à maitriser les flux de réfugiés et les flux migratoires en général. L'Allemagne met ainsi en exergue la nécessite d'une solidarité européenne qu'elle ne trouve pas encore chez les pays de l'Est européen ou même du côté de la France. La France par ailleurs attend, au nom du même principe de solidarité, un plus grand soutien de la part de l'Allemagne dans ses opérations extérieures et en matière de lutte contre le terrorisme. L'Allemagne perçoit cependant bien aujourd'hui que des compromis vont devoir être faits entre ces différents besoins de solidarité, ce qui inclut les domaines comme la crise grecque où un certain dogmatisme, une certaine rigidité allemande a provoqué plus de ruptures qu'il n'était besoin, malgré les compromis acceptés par l'Allemagne au fur et à mesure de l'évolution de la crise. La question reste pour tous les membres de l'UE de vérifier jusqu'où l'intégration européenne doit aller et dans quels domaines vitaux celle-ci doit d'abord trouver son accomplissement - sans nier qu'il subsistera longtemps encore des différences culturelles et des pratiques politiques autres dans l'appréciation de ces questions par les différents pays.

Quelles fractures sa politique a-t-elle laissées en Europe ?

Henri de Bresson : Si un clivage existe, il ne repose pas uniquement sur les épaules de l'Allemagne. Il s'agit du clivage entre d'un côté le couple franco-allemand et ceux qui ont du mal à suivre la marche en avant qu'ont imposée notamment sur le plan économique de l'Union monétaire  les Français et les Allemands à la suite de la crise. On s'aperçoit qu'en Europe de l'Est, certains pays éprouvent beaucoup de difficulté à suivre ce rythme actuellement. Les Anglais se posent la question de savoir s'ils doivent rester ou non dans l'Union européenne. Un risque de fracture de l'Union européenne n'est donc pas à écarter. Les Britanniques choisiront dans deux ans de rester ou non en son sein et on a beaucoup de mal à gérer les Européens de l'Est, que ce soit en Hongrie, en Slovaquie ou désormais avec les Polonais qui ont désormais un gouvernement très nationaliste. Ce bilan de la réunification européenne est donc compliqué. Ce n'est pas la faute d'Angela Merkel, c'est l'Allemagne de la réunification qui a du mal à accepter des responsabilités politiques que sa puissance économique lui confère. Il lui faut donc assumer des responsabilités, clairement assumées par la classe politique, ce qui a débouché, entre autres sur des accords, nés dans la douleur, sur la Grèce. Mais à chaque fois, effectivement, il faut arracher à l'Allemagne et à la chancelière, des accords, des pas en avant pour consolider la zone euro et désormais sur le plan de la sécurité, que l'Europe puisse mettre en commun ses moyens. L'Allemagne a du mal à avancer et le rôle de Merkel y est pour quelque chose. Elle a tout pour avancer mais elle le fait toujours plus lentement que ce qu'on voudrait notamment en France. Sa problématique est aussi de ne pas créer de rupture avec sa propre opinion publique qui a beaucoup de mal à l'accepter. Chez Angela Merkel, on retrouve toujours ce soin de ne pas perdre le contact de son opinion publique. De temps à autre, elle est capable de taper du poing sur la table, notamment sur le nucléaire ou plus récemment sur les réfugiés mais de manière générale, elle va d'abord essayer de trouver un consensus avant d'agir. Quand les Français se retrouvent en situation de crise, au Mali ou désormais avec les attentats de Paris, ils peuvent avoir l'impression qu'elle ne bouge pas.

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