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Les attentats de Paris vus du monde musulman : beaucoup d’indignation dans les médias, nettement moins sur les réseaux sociaux...
©Reuters

Changer la focale

Un des présentateurs vedette de la chaîne Al-Jazeera a par exemple écrit sur Twitter que les attentats seraient le fait d'un mystérieux instigateur, nourrissant ainsi la propension des opinions arabes au complot. En Algérie, si la tendance était quand même à la solidarité, un dessin du caricaturiste Dilem dans le quotidien "Liberté" a rappelé la polémique bien française du "Qui tue qui ?" au moment de la décennie noire dans les années 1990.

Meriem Amellal

Meriem Amellal

Meriem Amellal est journaliste. Elle présente Une semaine au Moyen-Orient : émission sur le Moyen-Orient le vendredi à 18h40 sur France 24.

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Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Comment les attentats de Paris ont-ils été perçus dans les pays musulmans ? Comment ont-ils été reçus par, par exemple, les salafistes, les partisans des Frères musulmans ou les laïcs progressistes ? Etait-on dans la complaisance pour les uns et dans la condamnation unanime pour les autres ?

Meriem Amellal : La réponse est en quelque sorte dans la question. Les attentats de Paris ont été perçus selon les sympathies. Ils est évident qu’un musulman laïc ne réagira pas comme un salafiste ou même comme un partisan des djihadistes. Après les attentats du 11 septembre, on avait vu des images de joie partout dans le monde musulman. Vous noterez que ça n’a pas été le cas aujourd’hui. La raison ? Sans doute parce que le monde n’est plus le même. Le terrorisme a un autre visage. La grande majorité des pays arabes ont été frappés par des violences directement ou indirectement liées au terrorisme.Il ne peut donc y avoir d’indifférence. En revanche, une grande majorité des musulmans, aussi solidaires soient-ils avec la France et Paris, regrettent que les réactions de solidarité ne sont pas toujours  les mêmes lorsque ce sont eux qui en sont  victimes. Ce sentiment, on le retrouve surtout en Algérie. Mais ce pays, de par son histoire récente et son histoire commune ô combien délicate avec la France, est certainement une exeption. L’Algérie a connu dix ans de violences inouïes, des massacres de masse, des attentats à la voiture piégée, des fuisillades, des assassinats de journalistes et d’intellectuels. Aujourd’hui, la très grande majorité des Algériens est boulversée et choquée mais beacoup s’étonnent de voir le monde occidental découvrir  la violence de l’islalmisme radical. Car, pour beaucoup d’entre eux, Daech n’a rien inventé. En Algérie, à la fin des années 1990 surtout, les massacres ont été d’une très grande inhumanité. Des femmes enceintes ont été éventrées et leurs foetus mis dans des marmites. Certaine femmes ont été violées et écartelées. Les terroristes tuaient de jeunes appelés et envoyaient  leur têtes à leurs familles dans un sac. Ce n’est donc pas phénomène nouveau juste un "bis repetita". Dans le reste du monde arabe, l’Irak peut partager ce sentiement. Mais en somme, l’opinion publique est solidaire. Lorsque je parle avec des amis, qu’ils soient irakiens, iraniens, tunisiens, palestiniens, libanais ou algériens et je dirais même israéliens - même si ce n’est pas le monde musulman cela reste le Moyen-Orient - on me répète souvent la même phrase : "Derière chaque victime il ya une mère". C’est universel.

Ardavan Amir-Aslani : Globalement, il convient de distinguer entre deux groupes. D’abord celui des progressistes qui aspirent à un mode de vie séculier, aux échanges avec le monde et à la séparation de la religion et de l’Etat. Ce groupe est très souvent composé de personnes éduquées appartenant à des milieux aisés. Ensuite il y a le groupe, beaucoup plus vaste, des laissés pour compte, des frustrés en tous genres perpétuellement à la recherche de boucs émissaires. Le premier groupe, minoritaire, a mal vécu ces évènements tragiques. Très mal. S’identifiant à la souffrance des familles blessées dans leur chair, ce groupe ne cesse de se révolter dans les réseaux sociaux. Il n’en va pas de même du deuxième groupe qui, de l’Afrique du nord jusqu’aux confins du golfe persique, a tendance à voir en ces terroristes salafistes des héros, des vengeurs de l’humiliation du monde musulman. Pour eux tous les maux viennent de l’Occident et en dehors de l’Islam point de salut. 

Y a-t-il un décalage entre le discours officiel (tenu par les chefs de l'Etat), les prises de position dans les médias et l'opinion de l'homme de la rue ?

Meriem Amellal : Pour ce qui est de l’Algérie, il y a très peu de décalage. Il me semble que la presse reflète bien l’opinion. Une opinion solidaire mais un peu rancunière. Voyez les dessins de Dilem  dans le quotidien Liberté. L’un reprend la femeuse polémique du "Qui tue qui ?" une polémique venue de France à l’époque de la décennie noire. En gros, en France, on s’interrogait sur l’identité des meurtiers : terroristes ou militaires algériens ? Dans une période de terreur et de violence, le sentiment national et patriotique pousse la grand majorité des populations à soutenir et à être fière de leur armée. L’Algérie n’a pas dérogé à cette règle. Et bien que les Algériens critiquent sans cesse le rôle de leur armée dans le pays, ils soutenaient en grande majorité cette même armée dans la lutte contre le terrorisme. Mais les Algériens n’oublient pas que les Français ont été solidaires après chaque attentat et qu’ils les ont soutenus et même accueillis. "Il serait indigne de ne pas être solidaire", me disent cerains d’entre eux. En Syrie, les amis que j’a pu contacter m’ont dit qu’ils étaient très touchés. On se souvient de cette photo à Alep en janvier dernier de cette jeune femme brandissant une  affiche "Je suis Charlie"Mais les Syriens ne peuvent s’empêcher de se demander pourquoi lorsque la France est touchée, cela a pour effet de précipiter les attaques contre Daech. Je cite une amie qui m'a déclaré : "Même les Russes vont finir par rejoindre la coalition pour combattre main dans la main les djihadistes"

Ardavan Amir-Aslani : Bien entendu. Il n’existe aucun pays musulman démocratique à l’instar des pays occidentaux. Dans ces pays la presse est muselée et l’opinion publique ne peut s’exprimer librement. Ainsi, l’écho qui vient des capitales arabes est principalement l’écho des gouvernants et pas des gouvernés. Les pouvoirs en place se sont tous engagés dans une course à la solidarité orale tout en pensant le contraire. Chacun essayant de déceler dans les récentes tragédies l’avantage qu’il pourrait en tirer. Les Turcs espérant un soutien financier de la part de l’Europe sous prétexte du contrôle du flux migratoire sauvage, les marocains davantage de coopération entre les services de renseignement afin de mieux cerner les opposants, les syriens jouant le rôle de ceux qui disent "je vous avais bien prévenu".

L’homme de la rue, écarté de la possibilité de prendre la parole n’a que les réseaux sociaux comme refuge. L’absence de démocrate dans les pays musulmans empêche la libre expression des opinions.

Comment les attentats de Paris sont-ils perçus dans les pays du Golfe, le Qatar et/ou l'Arabie saoudite, souvent accusés de soutenir indirectement le djihadisme ?

Meriem Amellal : Dans certains pays du Golfe, comme Bahreïn, la ligne officielle ne reflète pas forcement l’opinion. La population y est majoritairement chiite et  le royaume est dirigé par une minorité sunnite. Dans ce cas précis, la population est très certainement plus farouchement anti-Daech et donc plus touchée par les attentats au-delà de la dimension humaine. On accuse souvent certaines monarchies du Golfe de jouer un double jeu, de condamner le terrorisme et à la fois de financer des idéologies extrémistes. En Arabie Saoudite, le clivage est certainement générationnel. Il est évident que la jeuneusse saoudienne, du moins ce que j’ai pu en entendre, a été choquée par ces attaques et est très critique envers son propre pouvoir. Critique dans la mesure du possible. Car cette même jeunesse est en désaccord avec le régime sur les questions de liberté d’expression et de liberté en général. Un ami saudien n’a dit sur un ton provocateur : "Daech décapite mais le régime wahhabite aussi" en faisant référence à Ali Al-Nimr, ce jeune étudiant condamné à mort et menacé d’execution pour avoir pris part à des manifestations inspirées du printemps arabe.

Ardavan Amir-Aslani :  Ces pays, facilement, expriment une solidarité. Illuminant leurs tours dorées en signe d’empathie. La réalité est autre. Les pays arabes du golfe persique s’inquiètent pour leur propre sort. Après avoir financé Daech ou Al-Qaeda, rebaptisé, Al-Nusra en Syrie, les pétromonarchies, et à leur tête l’Arabie Saoudite, ces pays commencent à comprendre que le monstre qu’ils ont créé peut revenir les hanter à l’instar de Frankenstein. Ils s’inquiètent aussi du réveil de l’occident aux réalités. Celle qui consiste à constater que le conflit de civilisation qui oppose l’occident à l’islam est celui qui oppose l’occident à une forme particulière de l’Islam sunnite : le Wahhabisme saoudien. Ces pays arabes du golfe persique ont peur du changement de politique étrangère de l’occident à leur égard.

Y a-t-il y compris des différences suivant les aires géographiques, entre le Maghreb, le Moyen-Orient et les pays africains et asiatiques à majorité musulmane (comme l'Indonésie, où vivent la majorité des musulmans dans le monde mais qui se trouve très loin de l'épicentre de Daech) ?

Meriem Amellal : Il y a certainement des différences entre Maghreb et Machrek et monde arabe et monde asiatique musulman. Ces differences sont géographiques, culturelles mais aussi historiques et contextuelles. En Tunisie ou au Liban, les attentats de Paris ont eu une résonnance particulière. Les réactions des populations ne sont pas les mêmes qu’en Jordanie par exemple, bien que le pays ait été profondement choqué par la mort de son pilote brûlé vif par les djihadistes de l’organisation Etat islamique. Dans le pays, on ne perçoit pas Daech à travers des attentats réguliers mais plus à travers la présence massive de réfugiés syriens. Le camps d’Al-Zaatari est devenu la quatrième ville jordanienne. Mais il faut noter tout de même qu’il y a dans ce monde musulman des sympathisants islamistes et ces sympathisants, qu’ils soient d’Asie, du Maghreb ou du Machrek, sont unanimes et sur la même ligne de pensée.

Ardavan Amir-Aslani :  Globalement, plus on est loin de la Mecque moins on a tendance à être extrémiste. L’islam de l’Indonésie ou celui de l’Inde est plus modéré car plus loin du fanatisme Wahhabite. Hélas même l’éloignement n’est plus une garantie de modération car l’argent saoudien voyage et tend à changer la nature de l’Islam autochtone aux pays asiatiques ou africains. Ainsi l’Islam tolérant des mausolées du Pakistan devient Wahhabite à coups de pétrodollars. Il en va de même des marabouts du Sénégal.

Le "monde musulman" ne se limite pas aux pays à majorité musulmane. Comment perçoit-on les attentats de Paris quand on est par exemple un Saoudien exilé à Londres ?

Meriem Amellal : La réaction des musulmans qui vivent en dehors de leurs pays, en Occident, est très différente. Au-delà de la compassion, les Syriens ont peur de la conséquence des attaques sur leur propre sort. Notamment les réfugiés. Les autres musulmans, ceux de France notamment, resentent une double peur, celle de subir un autre attentat, mais aussi celle de l’amalgame. En Occident, se retrouvent aussi ceux qui ont quitté la guerre et le terrorisme islamiste. Ceux-là sont souvent farouchement opposés à l’Islam radical et pencheraient pour une tolérance zero et seraient favorables à plus de repression. Ils se comparent même parfois à des "républicains laïcs convertis", plus rigoristes que les autres sur les lois de la République. 

Ardavan Amir-Aslani : Un saoudien à Londres a d’abord peur. Peur, parce que les masques tombent. Parce que le monde commence à comprendre que l’argent entre les mains saoudiennes est dangereux. Cet argent finance des kamikazes, des bombes et des Kalashnikov qui visent nos familles. Le saoudien a peur, car son pays est démasqué. Il ne voit plus de regards enviant ses pétrodollars chez les passants mais un regard fondé sur la méfiance.

Y a-t-il y compris des différences de perception entre monde sunnite et monde chiite, clivage qui traverse l'islam moderne ? Quelle est la réaction en Iran par exemple ?

Meriem Amellal : En Iran, on condamne unanimement  les attaques de Paris. Je schématise : d’abord parce qu’on est chiite et qu’on déteste Daech. Mais aussi parce qu’on est avide de libertés limitées dans cette République islamique. La France reste le symbole des Lumières pour beaucoup de jeunes Iraniens. Des jeunes qui sont également fiers de leur propre culture. Leurs propres Lumières apportées par les Perses au monde arabo-musulman.

Ardavan Amir-Aslani : L’Iran chiite est la principale cible de l’islam wahhabite de Daech. L’Iran est donc solidaire de l’occident car le djihadisme est leur ennemi commun. Rappelons que le seul peuple musulman qui est sorti dans les rues par solidarité le lendemain du 11 septembre était le peuple iranien. Les images des capitales dansantes des pays arabes sont encore fraiches dans les esprits. Le chiite, et l’iranien chiite à fortiori figurent en tête de listes d’ennemis à abattre chez les terroristes de Daech. Et puis l’occident comprend maintenant que le monde qui entoure l’Iran est un monde de plus en plus incertain et dangereux, mis à feu et à sang par l’irruption de cette secte sanguinaire médiévale qu’est Daech. Plus on regarde le Moyen-Orient plus on constate que le seul pays stable de la région avec un Etat digne de ce nom est l’Iran. Puis l’occident a compris que le conflit de civilisation qui le menace n’est pas avec l’Islam au sens large mais avec la version wahabbite de l’Islam sunnite, celle revendiquée par Daech et ses financiers saoudiens dont le contrepoids naturel est l’Iran chiite et perse. Le monde a enfin compris que seul l’Iran et ses alliés peuvent abattre cette secte abjecte qu’est Daech en déployant des troupes au sol. On a enfin réalisé que tant que cette abomination, qu’est l’Etat islamique, n’est pas anéantie, elle continuera à servir d’aimants pour les jeunes issus de l’immigration musulmane. C’est ce que les Russes ont compris, d’où la volonté de Poutine d’en finir avec les 17.000 Tchéchènes, daghestanais et autres ingouches du Caucase qui se battent dans les rangs de Daech. L’occident a enfin compris que loin d’être le problème, l’Iran est la solution.

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