Budget mammouth mais profs mal payés : où passe concrètement le budget de l'Education nationale ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les professeurs français font partie de ceux qui sont les moins bien payés de l'OCDE.
Les professeurs français font partie de ceux qui sont les moins bien payés de l'OCDE.
©Reuters

Où vont les sous ?

La part du PIB alloué par l'Etat français à l'Education nationale est parmi les plus élevées des pays de l'OCDE, alors que les professeurs français font partie de ceux qui sont les moins bien payés. Voici quels sont les principaux postes de dépense.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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En France, 6,1% du PIB est alloué à l'Education nationale, classant la France devant l'Allemagne, l'Autriche ou le Japon. Comment sont concrètement investis ces 145 milliards d'euros annuels ? Quels sont les principaux postes de dépenses ?

Eric Verhaeghe : Dans ce chiffre, vous intégrez l'ensemble des dépenses d'éducation, qu'elles soient publiques ou privées. On oublie trop souvent que l'Etat ne représente qu'une grosse moitié de ces dépenses, et les collectivités locales un quart. Le reste est partagé entre les familles et les entreprises, qui financent, par exemple avec l'apprentissage, l'effort éducatif français. Les entreprises mettent quand même un ticket de 15 milliards annuels dans cet effort. Ce n'est pas rien.
La plus grande partie de la dépense est absorbée dans la masse salariale des enseignants et des innombrables personnels qui tournent autour des enseignants. En gros, pour quatre enseignants, il faut compter un administratif ou un agent chargé de la vie périscolaire : les cantines, l'entretien des bâtiments, l'animation. La France doit probablement être le pays industrialisé où la paperasserie et la bureaucratie sont aussi présents dans le système éducatif. La machine éducative française, avec son obsession des règles, a multiplié les procédures et les usines à gaz incompréhensibles. Ce grand système de brassage des populations appelé le "mouvement" des enseignants, c'est-à-dire leur mobilité géographique sur le territoire, absorbe par exemple une énergie et une masse salariale colossales.

Les professeurs français font pourtant partie de ceux qui sont le moins bien payés de l'OCDE - et gagnent 72% du salaire des actifs français ayant un diplôme équivalent. Comment expliquer qu'un si gros budget n'assure pas de meilleurs rémunérations ?

Pour deux raisons. La première tient au temps de travail. Avec des vacances scolaires de quinze jours toutes les sept semaines et des obligations horaires réduites, les enseignants français ont fait le choix du temps de loisir au détriment de la rémunération. Deuxièmement, les enseignants français sont, par élève, beaucoup plus nombreux qu'à l'étranger. Cette particularité française explique que, pour une masse salariale égale, il faille payer beaucoup plus d'enseignants en France qu'à l'étranger.

Ce problème provient du manque de polyvalence des enseignants. Par exemple, il est courant qu'à l'étranger un même enseignant enseigne l'anglais et l'allemand ou le français et l'italien, ou l'histoire et la géographie. En France, ce principe de la bivalence n'est pas accepté. On enseigne la physique ou la biologie, mais pas les deux. On enseigne la philosophie ou les lettres, mais pas les deux. Forcément, cette absence de bivalence oblige à recruter beaucoup plus. Pourtant, au collège par exemple, on voit mal pourquoi cette bivalence n'existe pas. Elle entraîne de fait un renchérissement de la masse salariale qui se traduit par une conséquence simple : une politique salariale malthusienne dont les enseignants sont victimes.

Ce paradoxe n'est en rien neuf : est-il insoluble ? Face à quels blocages culturels fait-on face ?

Sur le cas de la bivalence, c'est un véritable serpent de mer. Chaque fois qu'un ministre a essayé de l'introduire, il a dû affronter le conservatisme des filières universitaires qui forment les futurs enseignants.

On oublie trop souvent que l'offre éducative dépend de la capacité des universités à préparer le vivier des candidats aux concours enseignants. Pour pouvoir recruter un enseignant, il faut en effet qu'il y ait un candidat (si possible compétent) au concours de recrutement. Vous ne pouvez donc pas penser le concours enseignant en dehors de l'offre universitaire.

Allons plus loin : l'offre universitaire dicte largement le contenu des concours enseignants. L'affaire des langues anciennes au collège en est le meilleur exemple : supprimer ou réduire la place du latin et du grec au collège, c'est réduire le nombre de recrutements en langues anciennes. Et par conséquent tuer très rapidement les trois quarts d'unité de langues anciennes dans les unités françaises. Dans beaucoup d'universités comme à Reims, Clermont-Ferrand, ou Caen, on compte depuis de nombreuses années plus d'enseignants que d'étudiants en langues anciennes. Si vous diminuez de moitié ou des deux tiers les places au CAPES ou à l'agrégation dans ces disciplines, vous supprimez purement et simplement ces unités d'enseignement dans ces universités-là. Pour préserver l'emploi dans les universités, cela fait des années que l'on maintient artificiellement des enseignements marginaux au collège.

Quels autres postes devraient voir leur financement repensé ?

L'Education nationale devrait utilement s'interroger sur ce que j'appelle la pédostructure, c'est-à-dire la masse de personnels non enseignants qui vivent sur le dos de la bête. On en compte 200 000 aujourd'hui. Les rectorats sont par exemple truffés de personnels à la productivité faible mais qui coûtent très cher. La machine a par ailleurs pris le pli de se compliquer la vie. Prenez l'exemple du baccalauréat : la fabrication des sujets représente plusieurs milliers d'équivalents temps plein d'enseignants chaque année. Il faut ensuite recruter des centaines d'administratifs pour organiser l'examen, mobiliser des dizaines de milliers de chefs d'établissement, de surveillants, de correcteurs, pour un "rite de passage" dont l'utilité pédagogique laisse perplexe.

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