Pourquoi il est important de nommer l'islam dans les défis de la France de l’après Charlie<!-- --> | Atlantico.fr
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Faut-il éviter de parler de l'islam ?
Faut-il éviter de parler de l'islam ?
©Reuters

De quoi parle-t-on, au juste ?

Un mois après les événements tragiques qui ont frappé la France au cœur de ses principes et de ses identités, la question de la place de l'islam en France continue d'être posée par les responsables politiques, mais pas toujours dans les termes les plus justes.

Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Alors que Nicolas Sarkozy se disait  favorable samedi 7 février à une relance du débat sur "l'islam de France", le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve déclarait le même jour dans la ville de Lunel, marquée par la radicalisation de nombreux jeunes, que "l'islam de France est en très grande majorité un islam de tolérance". Le seul à ne pas s'être emparé de la question, c'est François Hollande, qui n'a parlé ni d'islam, ni d'islamisme au cours de sa conférence de presse du jeudi 5 février.

Atlantico : Dans le contexte actuel, et un mois après la tuerie de Charlie Hebdo et de l'Hyper casher, le président de la République aurait-il dû s'exprimer sur le sujet de l'islam et de l'islamisme ?

Ghaleb Bencheikh : Dans l’absolu et en toute rigueur le politique dans un Etat laïc n’a pas à se mêler des questions religieuses. Il se trouve hélas que dans notre pays se pose une question épineuse, celle de la gestion cultuelle de l’islam en France, et la question des devoirs et des droits des citoyens musulmans dans notre pays. Ceci étant posé, je ne suis pas contre qu’un ancien président de la république, lui-même ancien ministre de l’Intérieur, veuille en parler, à la limite près que je ne suis plus sûr que la formule "islam de France" soit très heureuse. Ce dont il est question, c’est simplement la présence  de plus en plus visible – des adeptes de la tradition religieuse islamique en France, à l’instar de leurs concitoyens fidèles d’autres traditions ou ne professant aucune religion.  Encore une fois, les citoyens musulmans doivent s’acquitter de leurs devoirs et jouir pleinement de leurs droits. La ligne de fracture, je l’établis uniquement entre les citoyens qui s’acquittent de leurs devoirs et ceux qui ne les accomplissent pas dans le cadre de la législation en vigueur. Une législation positive, comme une émanation rationnelle des hommes s’appliquant aux hommes.

Lire également : Un mois après l’élan du 11 janvier : ce qui n’a (toujours) pas été dit, ce qu’on devrait laisser dire

Dans le climat actuel, je le concède, le Président aurait éventuellement pu fustiger davantage le terrorisme abject qui sévit au nom de la tradition religieuse islamique, même si certaines personnes affirment que les criminels à l’origine de ces actes n’ont jamais lu le Coran, et appeler à la plus grande vigilance. Pour le reste, essayons de faire en sorte et œuvrons pour que notre nation puisse connaître sa cohésion nationale. Et, le ministre de l’Intérieur ne se trompait pas. Sauf que j’aurais utilisé dans sa phrase le mot bienveillance que celui de tolérance.

Qu'ils soient ministres, membres du CFCM ou autres, nombreux sont ceux qui mettent en garde contre les amalgames. Dans la mesure où les islamistes s'appuient sur le Coran, cette argumentation n'efface pas certaines ambiguïtés...

Ghaleb Bencheikh : Si, il y a une nécessité impérieuse de sortir de l’ambiguïté. Lorsqu’on se prévaut d’un idéal religieux pour semer la terreur, il est du devoir des adeptes de la religion concernée, non seulement de condamner le terrorisme, mais de tout œuvrer pour comprendre pourquoi on en est arrivé à ces situations extrêmes.

Nous assistons à la défaite de la pensée, à la démission de l’esprit et à l’abdication de la raison. Nous avons donc besoin d’un discours de discernement, de lucidité et d’intelligence. En tant que citoyen je ne suis pas d’accord avec la position « anti-amalgame » selon laquelle le terrorisme n’a rien à voir avec l’islam. Il est insupportable d’entendre les membres du CFCM soutenir cela, et sans cesse pérorer que l’islam n’est que bonté, paix et miséricorde. Il l’est certes dans sa version standard. Mais à côté, il faut qu’ils reconnaissent qu’il y a un discours relevant d’une polémologie virulente donnant une facture martiale à des passages coraniques qui, extraits hors contexte, sont résolument belligènes. Les hiérarques musulmans dans notre pays ont failli parce qu’ils n’ont rien fait contre la prolifération des thèses radicales. Aucun colloque de grande envergure n’a été tenu ni la moindre action dirimante n’a été menée. C’est bien beau de se dédouaner en s’exonérant avec candeur des dérives meurtrières, mais agir ainsi c’est se comporter en irresponsables. C’est l’incurie organique de ces hiérarques qui d’abdication en abdication, nous a menés, interminis, à cette situation dramatique.

Sur un autre plan, lorsque les ministres mettent en garde contre les amalgames, ils agissent par bienveillance et leur intention est louable, mais je pense qu’ils devraient scrupuleusement s’en tenir à la laïcité de l'Etat, et ne pas trop se mêler des questions religieuses dans notre pays.

Les islamistes ont une lecture biaisée dévoyée du patrimoine islamique, c’est certain. Mais il n’est pas sérieux non plus de s’en tenir à dire que ce qui est en train de se passer est sans relation aucune avec l’islam. Pour ne pas avoir apporté une refondation de la pensée théologique, ou aminima un contre-discours en occupant le terrain, les membres du CFCM sont comptables et responsables devant la nation, pour ne pas dire coupables de négligence et de légèreté. Ils ont laissé toute une jeunesse comme une proie facile à des sermonnaires doctrinaires qui captent sa conscience.

Philippe d'Iribarne : Entre les islamistes organisés et les musulmans qui réprouvent leur action, il y a une fraction de la population pour qui, "quand même, ce que ces gens font c'est pas mal qu'ils le fassent" même si eux ne sont pas prêts à passer à l'acte. Il n'y a pas une frontière nette et précise entre les islamistes et les gens l'on pourrait qualifier de "convertis à l'occident". La majorité des gens de confession musulmane en France sont convertis à l'occident mais ceux qui en rajoutent sur les interdits religieux, sur le Hallal, sur la burqa, inquiètent les Français, qui y sont très sensibles. Là, on n'est pas dans le terrorisme, et cela nourrit pourtant la polémique.  

Est-ce condamnable que de rappeler l'aspect conquérant et politique de l'islam ?

Philipe d'Iribarne : Certains affirment que l’islam est, de manière tout à fait générale, une religion de paix. Ils présentent ce trait comme relevant d’une position de principe, indépendante des circonstances, et professent que ceux qui tuent en son nom n’ont rien à voir avec lui. Ils citent à l’appui de leurs dires une version tronquée du verset V 32 qu’ils réduisent à : "Celui qui a tué un homme est considéré comme s’il avait tué tous les hommes"  (V 32). En fait, ce n’est pas un homme quelconque dont la vie est sacrée mais seulement "un homme qui lui-même n’a pas tué, ou qui n’a pas commis de violence sur la terre". Le verset suivant précise bien que les ennemis d’Allah et de son Prophète n’en font pas partie.

Le Coran n’exige, ni ne prohibe, la violence de manière générale. Celle-ci est ou non appropriée selon à qui on a affaire : "Muhammad est le Prophète de Dieu. Ses compagnons sont violents envers les impies, bons et compatissants entre eux" (XLVIII 29).

Les Occidentaux, me semble-t-il, tendent à projeter sur l’islam la vision, inspirée du christianisme, selon laquelle une religion est porteuse de valeurs qui concernent les rapports de chacun à autrui en général, quel qu’il soit, bon ou mauvais, proche ou étranger, ami ou ennemi. De ce fait, ils ont du mal à donner sens à l’opposition, centrale dans le Coran, entre les manières de regarder et de traiter les bons musulmans d’un côté et les mécréants de l’autre. De ce fait l’islam leur paraît contradictoire, alors que c’est eux qui ont du mal à saisir sa logique.

En janvier 2013, d'après un sondage Ipsos mené pour Le Monde, 74 % des Français estimaient que l'islam est incompatible avec les valeurs de la société française. Si la frange de l'islam qui pose problème aujourd'hui était clairement désignée, à savoir, le salafisme financé par les monarchies du Golfe, cela lèverait-il certain malentendus ?

Ghaleb Bencheikh : Certes, il vaut mieux nommer ce qui pose problème et qualifier la source de tous nos ennuis. En revanche, une réflexion fondamentale nous fera dire : comment voudrait-on parler, d’une manière générale, de l’incompatibilité de l’islam et de la République quand aucune religion au monde n’a renoncé au pouvoir temporel d’elle-même, motu proprio ? Ce n’est pas seulement grâce à la parabole des deniers de César que l’Eglise catholique s’est désengagée du politique, mais grâce à un travail considérable de théologiens de renom qui ont compris à la suite de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat du 9 décembre 1905 quelle était l’évolution de ce monde. Et aucune religion au monde, pas même l’islam, ne peut résister à la laïcisation et la sécularisation, surtout une fois que ses propres intellectuels, théologiens et adeptes les ont intégrées et comprises. Aujourd’hui l’absence d’une structure cléricale favorise, de facto, la collusion du politique et du religieux. Mais cette intrication n’a aucune valeur sacrale. Le califat n’est pas garanti par le divin et la charia n’est qu’une construction humaine, quand bien même elle s’adossait à des versets coraniques de type prescriptif. Le simple fait d’avoir quatre écoles juridiques le prouve.   

D’autre part, je ne vois pas en quoi les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité de la République seraient incompatibles avec la tradition islamique d’ouverture, de miséricorde et de solidarité. En revanche le radicalisme, l’intolérance, la minoration de la femme, le fait de se prévaloir d’une lecture aliénante et passéiste pour l’imposer à autrui tombent sous le coup de la loi. En démocratie, les citoyens tiennent à ce que la loi soit appliquée, à commencer par les citoyens musulmans, pour que leurs coreligionnaires qui dévoient leur religion ne leur imposent pas ni à leurs concitoyens leur vision du monde surannée.

L’éducation, l’instruction, l’acquisition du savoir, science et connaissance sont les maîtres-mots pour prémunir des germes du fanatisme.  

Entre Islam et nation française, comment sortir de l’émotion pour revenir à la raison ?

Charles Gave : Les journalistes de Charlie Hebdo ont été assassinés, non pas au hasard en fonction de leur appartenance ethnique mais  en application d’une autre Loi,  celle là, de nature religieuse. Dans le Coran, il semble bien en effet que le Prophète intime aux croyants l’ordre de tuer tous ceux qui diraient du mal ou se moqueraient de Dieu, du Livre sacré ou du Prophète.

En termes simples, ces assassinats seraient donc parfaitement en accord avec l’enseignement du Prophète.  En tout cas  c’est bien ce que croyaient les assassins puisqu’ils ont dit en sortant des locaux de Charlie Hebdo : « Nous avons vengé le Prophète ».

Et les condamnations venant du monde musulman sont plutôt embarrassées sur ce point. Après tout, les tueurs n’auraient rien fait d’autre que suivre la volonté de leur Prophète.

Les tueurs ne partageaient en rien le legs constitutif de l’âme française mais partageaient un autre legs, ou du moins le croyaient ils, celui constitutif de l’âme musulmane. Si tel est le cas, il paraît normal de se poser un certain nombre de questions.

La première, et la plus importante est simple : l’Islam est-il compatible avec nos valeurs démocratiques ? Poser cette question serait être raciste. Voilà une contre-vérité considérable. Une religion n’est pas de l’ordre de la nature, mais de l’ordre de la pensée. J’ai donc parfaitement le droit de penser que la religion musulmane n’est pas soluble dan une démocratie et de clamer haut et fort que je refuse les valeurs que cette religion véhicule. Si tel est le cas, être « islamophobe » n’est pas un crime, mais un devoir pour tout individu attaché aux Lumières. M’interdire de le penser ou de le dire serait une considérable atteinte à ma Liberté de penser et de m’exprimer. C’est en tout cas ce que pensait  Ellul, l’un des grands penseurs du siècle dernier pour qui Démocratie et Religion Musulmane étaient simplement incompatibles. Etre contre le fascisme, le nazisme ou le communisme n’a rien à voir avec le racisme et tout à voir avec des idées inacceptables pour un partisan des Lumières. Il en est de même pour ceux qui sont accusés d’Islamophobie. Chacun a le droit d’être islamophobe comme chacun a le droit d’être contre le fascisme, le communisme ou la théocratie tant que son opposition s’exerce de façon légale.

C’est une question à laquelle nous ne pouvons pas répondre en Occident et à laquelle seuls les Musulmans peuvent répondre.

Peuvent -ils changer une ligne du Coran ou en changer l’interprétation ?  Voila qui paraît difficile. L’ancien et le nouveau testament ont été écrits par des hommes, inspirés ou non par Dieu. Des hommes peuvent se tromper et donc il est possible d’interpréter différemment à différentes époques le même texte. Le Coran a été écrit par Mahomet sous la dictée de Dieu, par l’intermédiaire d’un archange,  et il est supposé être incréé et éternel. Voila qui rend tout changement, toute altération difficile, voir impossible. De plus,  et toujours d’après le Coran, si un musulman est dans un pays non gouverné par la sharia, il doit soit essayer de changer le gouvernement pour qu’il applique la sharia, soit quitter le pays. Les assassins auraient pu quitter la France, nul ne les en empêchait. Ils ont choisi  de tuer et c’est là que l’on retrouve leur responsabilité individuelle.

Ces hommes, ces femmes, ont été élevés dans les écoles de la République. Où ont-ils appris ces notions, et qui leur a appris à haïr notre façon de penser, voilà qui devrait intéresser les autorités. Il faut, et de toute urgence comprendre comment ces idées se sont diffusées et empêcher leur propagation. Comme les idées religieuses se diffusent en général dans les lieux de culte,  tous les prêches dans les mosquées devraient avoir lieu en français et uniquement en français. Ce serait une mesure facile à mettre en application.

En fait, le peuple Français n’a aucun problème avec les musulmans dans la mesure où ils respectent les lois républicaines. Par contre, il semble bien qu’une partie des musulmans en Grande Bretagne, en France, en Allemagne aient des difficultés avec nos principes laïcs excluant la religion du domaine public et qu’ils veulent changer cet état de choses. Je comprends que certains pensent cela. Après tout, nous avons bien encore chez nous des partisans de la Royauté  ou des admirateurs de Staline ou des Marxistes impénitents. Chacun a le droit d’être idiot. C’est un principe républicain fondamental. Mais nul n’a le droit d’utiliser la violence, sauf l’Etat.

Qu’ils forment des partis, qu’ils se présentent aux élections et qu’ils proposent comme programme de changer les principes constitutifs de nos sociétés, voila qui serait acceptable. Essayer de nous faire changer par la terreur n’est simplement pas  envisageable. Si ce drame fait prendre conscience à la majorité Musulmane, chez nous ou ailleurs, qu’ils ont un problème, alors on peut -être espérer qu’il n’aura pas été inutile.

Si en plus il permet au reste de la population de discuter calmement de la meilleure façon de traiter ce qui est à l’évidence un problème, alors nous aurons vraiment progressé. (Extrait d'un article publié sur le site de l'Institut des Libertés).

Dans une "lettre ouverte" publiée le 11 janvier 2015 (lire ici), le philosophe Abdennour Bidar écrivait à l'adresse du monde musulman :

"D'où viennent les crimes de ce soi-disant « État islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c'est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre, le cancer est dans ton propre corps. Et de ton ventre malade, il sortira dans le futur autant de nouveaux monstres - pires encore que celui-ci - aussi longtemps que tu refuseras de regarder cette vérité en face, aussi longtemps que tu tarderas à l'admettre et à attaquer enfin cette racine du mal !"

Partagez-vous l'analyse d'Abdennour Bidar ?

Ghaleb Bencheikh : Oui, assurément, je reprends à mon compte cette parole attribuée à François Mauriac : ce n'est que du dedans qu’une jeune âme probe et intègre puisse aspirer au salut. Aussi, est-ce un travail nécessaire d’une pensée subversive qui puisse nous sortir de l’ornière. Et, pour reprendre la métaphore médicale, nous ne voulons pas que la partie gangrénée puisse emporter tout le corps. Au-delà du discours incantatoire, c’est un travail de réflexion et d’action d’ordre théologique qu’il faut mener avec tout l’outillage intellectuel de la batterie de disciplines des sciences de l’homme et de la société. Savoir construire un contre-discours intelligent depuis l’instance académique jusqu’au niveau familial empruntant les mêmes canaux que celui des islamistes. En outre, affirmer très fort la « déjuridicisation » de la révélation coranique, ne pas s’y enferrer quant à la production du droit, s’affranchir des enfermements doctrinaux et laisser place à une spiritualité intériorisée en brisant les liens drastiques d’une normativité religieuse culpabilisante.    

Abdennour Bidar poursuit : 

"Même les intellectuels occidentaux, quand je leur dis cela, ont de la difficulté à le voir : pour la plupart, ils ont tellement oublié ce qu'est la puissance de la religion - en bien et en mal, sur la vie et sur la mort - qu'ils me disent « Non le problème du monde musulman n'est pas l'islam, pas la religion, mais la politique, l'histoire, l'économie, etc. ». Ils vivent dans des sociétés si sécularisées qu'ils ne se souviennent plus du tout que la religion peut être le cœur du réacteur d'une civilisation humaine !" […]  

"Il ne faut donc pas que tu t'illusionnes, ô mon ami, en croyant et en faisant croire que quand on en aura fini avec le terrorisme islamiste l'islam aura réglé ses problèmes ! Car tout ce que je viens d'évoquer - une religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive - est trop souvent, pas toujours, mais trop souvent, l'islam ordinaire, l'islam quotidien, qui souffre et fait souffrir trop de consciences, l'islam de la tradition et du passé, l'islam déformé par tous ceux qui l'utilisent politiquement, l'islam qui finit encore et toujours par étouffer les Printemps arabes et la voix de toutes ses jeunesses qui demandent autre chose."

Est-il important aujourd'hui d'oser parler de cet "islam quotidien" et "tyrannique" ? Pour quel bénéfice ?

Ghaleb Bencheikh : A titre personnel, je commence à me méfier, dans le tintamarre et le vacarme tumultueux actuels autour de la question islamique, des différentes épithètes accolées au vocable islam. En revanche, la tyrannie, le dogmatisme, le littéralisme, le formalisme, le machisme, le conservatisme et la régression caractérisent la quasi-totalité des consciences croyantes évoluant en contextes islamiques et même une partie de nos concitoyens musulmans vivant en France. A vrai dire, il s’agit d’une réalité complexe de sociétés humaines travaillées par le fait religieux dans sa coloration monothéiste islamique avec un contreprojet social et politique attentatoire à la dignité humaine. C’est vrai. Tant qu’on raisonne au sein des clôtures dogmatiques avec une « raison religieuse » et une « pensée magique » on reproduira dans la quotidienneté d’une vie ordinaire une religiosité aliénante et un système de superstitions crétinisantes. En outre la domestication, la manipulation et l’idéologisation de la tradition religieuse par des pouvoirs en manque de légitimité démocratique aggrave la situation de peuples entiers laissés se vautrer dans l’ignorance. Avec la psychologie de la horde ils abdiquent leur conscience individuelle au profit de consciences collectives enclines au soulèvement millénariste. Et, avec cela, la jonction entre les thèses wahhabites et la doctrine des Frères Musulmans donne lieu au désastre que nous connaissons. 

Bien sûr, quand on arrive à ce point de terreur et de mépris de la vie, il faut oser parler de tout et il est important d’interroger tout. Et surtout savoir tout problématiser y compris cet « islam quotidien » et « tyrannique ». Maintenant faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain ou y a-t-il une vision programmatique pour renouer - pas pour le reprendre tel quel -  avec l’humanisme d’expression arabe qui a prévalu en contextes islamiques, à travers l’histoire, et le conjuguer avec toutes les idées du progrès et de la civilisation ?

Il suffit pour cela de l’audace intellectuelle et de la hardiesse morale. En dépit des exactions de Boko Haram, de l’imbécillité du wahhabisme et de l’abjection de Daesh, il y a encore dans des contrées sous climat islamique, le sens de la parole donnée, la magnanimité, et la solidarité avec un sens aigu de la générosité, de la sollicitude et l’hospitalité. Et, cela, Abdennour Bidar le sait. Il est héritier de la grande tradition soufie.

En réalité, nous nous retrouvons dans la même situation que celui dont la maison commence à se fissurer et prendre l’eau d’un peu partout et surtout que ses fondations sont ébranlées. Mais il tient à ses pierres de taille. Auquel cas, au lieu de la démolir en la rasant, il essayera de la « déconstruire » en prenant une à une ces belles pierres de taille afin de reconstruire avec l’agrégat obtenu un beau palais. Il tiendra surtout à le consolider avec d’autres matériaux. Ils sont en l’espèce : humanisme, liberté, démocratie, laïcité, et respect de la dignité humaine.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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