La révolution Syriza : les populistes grecs bien partis pour imposer le retour du politique face à des élites obsédées par une gestion technocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec.
Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec.
©Reuters

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Considérés comme, au mieux, démagogues, au pire dangereux, les partis populistes européens ne sont guère aimés par les élites politiques traditionnelles. Pourtant, en Grèce, un parti d'extrême-gauche, Syriza, est parvenu au pouvoir à la faveur de la crise. Naufrage annoncé disent certains. Mais, si dans six mois l'on constate que la "recette Syriza" fonctionne, le visage de la politique pourrait bien changer en Europe.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Les élites européennes se bornent à présenter les populistes de tout bord comme des démagogues, incapables de tenir leurs promesses. Si Syriza parvenait à tenir les siennes, qu'est-ce que cela changerait ?

Christophe Bouillaud : Cela serait sans doute une très mauvaise surprise pour une partie des élites européennes qui avaient tendance à croire que toutes les questions sociales étaient réglées une fois pour toutes, et que jamais plus aucun gouvernement européen ne repartirait d’elles pour penser la situation d’un pays et pour le sortir du marasme.

L’appauvrissement des Grecs n’était pas un "détail" des plans d’austérité, il était humainement inacceptable, d’où le résultat des élections grecques du 25 janvier 2015. Et de fait le gouvernement grec veut affronter directement cet appauvrissement, en remontant par exemple le salaire minimum. Face à cette nouveauté, du retour du social, des besoins des populations, on voit certaines réactions presque haineuses à l’encontre du gouvernement Syriza-Grecs indépendants. Le succès d’une "autre politique" de redressement économique, que celle d’austérité préconisée par la Troïka, l’Allemagne et quelques autres, serait de fait fort gênant pour certaines élites et quelques économistes.

Il officialiserait aux yeux du monde l’erreur commise avec la Grèce depuis 2010 en matière de politique économique. Mais il est sûr que les partisans de l’austérité ne tarderaient pas à expliquer le succès du nouveau gouvernement par les effets bénéfiques de la saignée administrée jusque-là. C’est le côté infalsifiable de la doctrine austéritaire : comme l’a dit fort justement l’économiste Marc Blyth dans son ouvrage Austerity paru en anglais en 2013, un pays finit toujours par se reprendre après une telle purge, mais à un niveau bien moindre d’activité qu’auparavant. Les partisans de l’austérité pourront toujours dire que leur purge sévère a marché, et que le gouvernement Syriza-Grecs indépendants profite simplement des efforts imposés par Nouvelle démocratie. Et si le nouveau gouvernement échoue, ils diront simplement qu’il ne fallait pas arrêter la saignée en plein traitement.

En dehors de ces croyants en l’ "austérité expansionniste" que nul fait ne pourra jamais détourner de leur foi, un succès du nouveau gouvernement grec ouvrirait à tous les autres Européens des perspectives inédites. Cela voudrait dire qu’il vaut mieux innover, suivre l’avis des économistes hétérodoxes, que de suivre les recettes habituelles (austérité, privatisations, libéralisation, etc.). En même temps, il faut souligner que, depuis l’annonce du QE (assouplissement quantitatif) version BCE, la politique monétaire européenne n’est déjà plus elle-même orthodoxe. Une partie des élites se sont déjà convaincues qu’il fallait innover ou périr.

Face à des élites obsédées par la gestion technocratique, les populismes européens sont-ils finalement les seuls à faire encore de la politique ? Qu'ont perdu les élites à déserter ce champ ?

Il faudrait surtout souligner qu’une partie des élites s’accommode fort bien de la situation de désarroi économique que l’austérité renforce. La "gestion technocratique", ce n’est pas du tout le refus de faire de la politique, mais c’est au contraire une politique bien précise qui profite à certains groupes et pas à d’autres groupes. Les politiques d’austérité sont des politiques, si j’ose dire, extrêmement politiques mais qui se présentent comme neutres, techniques, objectives, inévitables, or, avec ces politiques technocratiques, on choisit de protéger les épargnants plutôt que les contribuables ou les bénéficiaires de services publics, on néglige les travailleurs surnuméraires qui auraient besoin d’une demande forte pour trouver un travail, on accepte un fort niveau de chômage, on en profite pour défaire des protections sociales, on privatise ce qui peut l’être, on néglige la formation de capital fixe et de capital humain pour préparer l’avenir.

Cette ligne politique, le fameux There is No Alternative dans sa version technocratique contemporaine, finit par être minoritaire dans beaucoup de pays, parce qu’elle ne garantit plus la protection que les individus attendent de la part de l’Etat contre les aléas de la vie. Aux Etats-Unis, le "contrat social" est, au moins, que l’Etat ne doit pas permettre à l’économie de stagner et qu’il faut toujours lutter contre le chômage. C’est ce qu’a redit finalement Barack Obama en parlant de la Grèce. Dans l’Union européenne, en pratique, ce n’est pas le cas. L’austérité a été choisie sciemment parce qu’elle servait certains intérêts. Maintenant, les élites des grands partis de gouvernement s’étonnent d’y perdre beaucoup d’électeurs. Cependant, c’est inévitable : vous donnez la priorité au service de la dette publique, vous laissez filer le chômage, vous augmentez les impôts, et vous vous étonnez ensuite que les citoyens qui ne sont pas – ô surprise ! - tous des rentiers finissent par s’énerver contre vous.

Un succès de Syriza pourrait-il marquer un retour du politique au cœur de l'Europe ? En quoi l'Europe et son fonctionnement en seraient-ils chamboulés ?

Le succès de Syriza montrerait surtout qu’il existe une autre façon de gérer une économie capitaliste, plus attentive aux besoins de la population, et peut-être même plus favorable aux vrais entrepreneurs qu’aux rentiers et aux fraudeurs. On peut même se demander si, du coup, on n’ira pas voir de nouveau ce qui s’est passé en Islande depuis 2008, un bel exemple de redressement économique qui n’a pas suivi les recettes de l’orthodoxie économique. Au niveau européen, il faut espérer que les dirigeants de l’UE commenceront enfin à raisonner de manière plus conforme aux promesses de l’idée européenne de la fin des années 1940, et qu’ils comprendront que le chômage de masse n’est pas un petit détail de l’histoire contemporaine de l’Europe … Cela voudrait dire qu’il leur faudrait au moins faire comme aux Etats-Unis, que les autorités européennes n’auraient plus le droit, au moins moral, de laisser le chômage monter comme ils l’ont fait ces dernières années dans l’Europe du sud pour résoudre d’autres problèmes supposés plus importants.

Finalement qui sont les plus déraisonnables : les élites qui répètent que rien n'est possible ou les populistes qui affirment que ça l'est ?

J’aurais tendance à dire que chacun voit la raison là où sont ses intérêts ! Les élites qui répètent que rien n’est possible défendent les intérêts de certains groupes sociaux, de certaines tranches d’âge, de certaines entreprises. Ceux qui affirment que des choses peuvent changer défendent d’autres intérêts, d’autres groupes sociaux, d’autres tranches d’âge. Prenons l’exemple des gros fraudeurs face au fisc. Ne rien changer, c’est, en fait, les favoriser, vouloir tout changer, c’est les considérer comme des groupes n’ayant pas droit à ces avantages, de fait, sinon de droit. L’opposition entre "les élites" et "les populistes" correspond à des conflits croissants d’intérêts entre groupes sociaux : faut-il privilégier les porteurs de la dette publique ou les aspirants salariés en quête d’emploi ? C’est un choix politique au sens fort du terme. Personnellement, je n’ai guère d’hésitation à privilégier les aspirants salariés en quête d’emploi.

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