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Populisme, ce sobriquet par lequel les démocraties perverties dissimulent leur mépris pour le pluralisme
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Bonnes feuilles

Le « populisme » évoque un courant d'opinion fondé sur l'enracinement (la patrie, la famille) et jugeant que l'émancipation (mondialisation, ouverture) est allée trop loin. Si le « populisme » est d'abord une injure, c'est que ce courant d'opinion est aujourd'hui frappé d'ostracisme. Cet ouvrage a pour but de montrer sur quoi repose cet ostracisme, ses fondements et ses arguments. Et les liens entre le peuple et l'enracinement, entre les élites et l'émancipation. Extrait de "Populisme - les demeurés de l'Histoire", de Chantal Delsol, édité aux éditions du Rocher (2/2).

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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L’accusation de populisme – puisqu’il s’agit bien d’une accusation et non d’une dénomination objective –, rend compte d’une réticence de l’opinion dominante à accepter le destin d’une véritable démocratie dans l’espace européen.

La démocratie, défendue pour la première fois par Aristote, postule que la politique se déploie dans le règne de l’opinion et non dans celui de la vérité. La décision politique, comme la décision morale, est engluée dans les circonstances, conduite par la liberté, jamais sûre de son fait103. La démocratie est ce régime qui détache la politique de la religion et d’une manière générale de la vérité d’un dogme, et ainsi la laisse à la merci de tous, parce que, dans ce genre de décision, éthique en somme puisqu’elle quête un bien, tout le monde est considéré comme capable. La naissance de la démocratie signe la reconnaissance de la conscience et du jugement individuels.

Cet arrachement de la politique au règne de la vérité constitue une phase importante de l’émancipation de l’humanité. En s’instaurant sur la planète européenne, il signe un épisode de la reconnaissance de la dignité de tous les hommes, instruite par le christianisme, même si elle apparaît déjà avant le christianisme. Dans sa version moderne, il se trouve décrit avec une force inégalée par Kant au long de son opuscule Qu’est-ce que les Lumières ?, où le philosophe insiste sur la sortie de l’homme de l’âge de la minorité pour devenir un adulte capable de penser par lui-même. La fin de la politique comme vérité salue la fin des hommes supérieurs, qui disent et savent et décrètent ce que les gouvernants doivent concrétiser pour le bien public. Il ne s’agit pas de prétendre que tous sont également savants. Mais la politique vient alors se ranger sous le signe de la prudence, qui réclame des qualités considérées comme également partagées : « Les peuples, bien qu’ignorants, sont capables d’apprécier la vérité104 », écrit Machiavel (citant Cicéron) qui s’inspire des anciennes républiques. Le peuple n’est certes pas aussi compétent que l’élite. Mais il est tout aussi prudent, donc capable de prendre des décisions politiques.

L’accusation de populisme n’entre pourtant pas dans la catégorie du discours technocratique qui, identifiant la politique à une science, réclame par là d’en confier la décision à un petit groupe de savants, le peuple en étant exclu. La technocratie est une récusation de la démocratie comme règne de la doxa, de l’opinion. Tandis que l’accusation de populisme est le refus de considérer comme des opinions certains jugements portés par le peuple. Autrement dit, elle ne tient pas les opposants pour des enfants, comme la technocratie, mais pour des idiots. Et par là, comme la technocratie, elle manque à la démocratie. Elle s’en défend, naturellement, en arguant à juste titre que les démocraties doivent bien se défendre contre leurs adversaires – tout le monde peut comprendre que certaines démocraties occidentales du XXe siècle aient interdit des partis néo-nazis ou des partis communistes, puisque ces partis utilisaient clairement la démocratie pour la détruire. Mais justement, cet argument n’est qu’une Populisme final argutie : les populismes européens ne revendiquent pas la suppression de la démocratie, ni ne la menacent quand ils parviennent au pouvoir. Ce qu’ils réclament, au contraire, c’est une alternative, une diversité, un débat, la réception des opinions contraires. Et c’est précisément là ce qu’on leur refuse. Le débat n’est accepté – bien étroitement – qu’entre les divers partisans de l’émancipation. Il y a là une hypocrisie majeure : aucune démocratie n’oserait demander l’interdiction d’un parti dit populiste, justement parce que les arguments réels manqueraient, et finalement les démocraties européennes tentent d’ostraciser par l’injure les expressions qui menacent l’opinion dominante.

Le raidissement de l’idée d’émancipation laisse ainsi prospérer des courants dits populistes dans l’ensemble de l’Europe, sauf dans les lieux privilégiés où la défense de l’enracinement a été reconnue et intégrée au débat : il n’y a pas de populisme au Royaume- Uni ou en Espagne.

Où l’on voit que nos démocraties ont cessé de respecter ce que les Lumières appelaient de leurs voeux, et ont mis en place des vérités monopolistiques proches de celles des anciens régimes contre lesquels elles se sont érigées. Autrement dit, la pensée de l’émancipation, qui désolidarisait la politique de la vérité en réclamant le conflit des opinions, finit par se solidifier elle-même en dogme, niant son principe intrinsèque (la liberté de pensée) dans l’élan de sa réalisation totale. Hegel avait déjà décrit le danger de la pensée universelle qui en viendrait à « se fixer sous la forme du cosmopolitisme pour s’opposer à la vie concrète de l’État105 ». La vie concrète, nourrie par les identités et les enracinements, n’est pas destinée au bannissement par l’idéal d’émancipation, faute de quoi on façonnerait un nouveau despotisme, celui de l’abstraction.

Il est normal qu’une démocratie lutte en permanence contre la démagogie, qui représente depuis l’origine sa tentation, son fléau mortifère. Mais une démocratie qui invente le concept de populisme, autrement dit, qui lutte par le crachat et l’insulte contre des opinions contraires, montre qu’elle manque à sa vocation démocratique. Elle manifeste que ses élites, en dépit de leurs discours, n’ont pas accepté la controverse, et renouent avec la perpétuelle lutte de classes, exaspérées de ne pouvoir imposer leurs vérités.

Le populisme serait donc le sobriquet par lequel les démocraties perverties dissimuleraient vertueusement leur mépris pour le pluralisme.

Extrait de "Populisme - les demeurés de l'Histoire", de Chantal Delsol,édité aux éditions du Rocher, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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