Pourquoi limiter les coupes dans le budget de la Défense ne suffira pas à l'armée pour faire face à la guerre en cours <!-- --> | Atlantico.fr
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Le président François Hollande a annoncé, lors de ses vœux aux armées, que les contraintes budgétaires de l'armée seraient revues
Le président François Hollande a annoncé, lors de ses vœux aux armées, que les contraintes budgétaires de l'armée seraient revues
©Reuters

Sur la défensive

Le président François Hollande a annoncé, lors de ses vœux aux armées, que les contraintes budgétaires de l'armée seraient revues pour mieux mener la "guerre" contre l'islamisme.

Michel Goya

Michel Goya

Officier des troupes de marine et docteur en histoire contemporaine, Michel Goya, en parallèle de sa carrière opérationnelle, a enseigné l’innovation militaire à Sciences-Po et à l’École pratique des hautes études. Très visible dans les cercles militaires et désormais dans les médias, il est notamment l’auteur de Sous le feu. La mort comme hypothèse de travail, Les Vainqueurs et, chez Perrin, S’adapter pour vaincre (tempus, 2023). Michel Goya a publié avec Jean Lopez « L’ours et le renard Histoire immédiate de la guerre en Ukraine aux éditions Perrin (2023).

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Atlantico :  Concrètement, quels vous semblent être les besoins budgétaires de l'armée pour apporter une réponse efficace sur les terrains d'opération ?

Michel Goya : Il n’est pas inutile de rappeler que dans un pays qui produit pour plus de 2 000 milliards d’euros de richesse chaque année, moins de 50 sont prélevés pour assurer la défense de la France et des Français, pour environ 850 consacrés aux autres actions publiques et sociales. Pire, cet effort diminue régulièrement depuis vingt-cinq ans. Si, en termes de pourcentage du PIB, la France mondialisée faisait le même effort que la France de 1990, c’est entre 80 et 90 milliards qui seraient consacrés à la sécurité et à la défense. Autrement dit et alors que la guerre contre les organisations djihadistes, commencée dès les années 1990, prenait de l’ampleur, la France baissait la garde.

Pour le seul ministère de la défense, l’effort de défense a été gelé en valeur constante depuis 1990 alors que les dépenses de l’Etat augmentaient, elles, de 80 %. Sans cet empressement à toucher les "dividendes de la paix" à la fin de la guerre froide et en considérant que l’on ait maintenu le même effort de qu’à l’époque, on aurait investi plus de 200 milliards d’euros (de 2014) supplémentaires dans notre outil de défense, dont environ 80 milliards en investissements industriels et technologiques. Le budget s’élèverait aujourd’hui à environ 56 milliards d’euros au lieu de 31,4 et si les contribuables français faisaient le même effort que les contribuables américains ce budget avoisinerait même les 80 milliards d’euros. Nous serions déjà plus puissants militairement que la Russie.

Surtout, ce financement aurait permis d’absorber largement tous les grands programmes de recapitalisation des années 1980 en les adaptant évidemment au contexte actuel. Nous aurions peut-être déjà deux porte-avions et de nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque, l’avion Rafale équiperait presque complètement nos escadrons, nous aurions sans doute renouvelé notre flotte de ravitailleurs en vol et de transport, nos troupes au sol, enfin, ne pourraient plus être confondues avec celles de l’opération Daguet en 1991. Avec un système félin plus avancé et nos engins Scorpion, notre infanterie, pour ne citer qu’elle, serait la mieux équipée du monde. Nous aurions enfin eu suffisamment de moyens pour explorer les voies nouvelles comme les drones, la robotique ou le cyber et y être en pointe plutôt qu’à la traîne. Bref, on serait infiniment mieux préparé à tous les défis en cours, qu’ils s’agissent de la lutte dans le Sahel, de l’affrontement contre Daesh voire de Boko Haram et de l’engagement sur le territoire national.

Pourra-t-on rapidement adapter le budget de la Défense aux nouvelles exigences définies par le Président ? Est-ce juste une "question de volonté" politique ?  

Le président de la République a simplement annoncé que le budget de 2015 (31,4 milliards d'euros) serait intégralement respecté, ce qui paraît la moindre chose et prouve que ce n’était finalement pas plus assuré que la loi de programmation militaire « sanctuarisé ». Cela n’est pourtant même pas forcément vrai, 7 % du montant n’étant même pas encore financé et reposant sur des recettes exceptionnelles, essentiellement des ventes de fréquences radio aux opérateurs télécom, pas du tout assuré. Il n’est pas inutile de rappeler que seulement 400 millions d’euros ont été prévus pour financer le surcoût des opérations alors que l’on sait pertinemment que celui-ci sera de l’ordre du triple. Le président de la République a évoqué l’idée proposée par le ministre de vente de matériels à des sociétés privées qui les reloueraient ensuite aux armées. Le moins que l’on puisse dire est que cette innovation laisse globalement sceptique.

Quant au ralentissement du rythme des réductions d’effectifs, c’est évidemment une bouffée d’oxygène dont on ne connaît pas encore la dimension et qui ne sera de toute façon effectif qu’à partir de 2016 alors que la très grande majorité des suppressions aura déjà eu lieu, pour des économies par ailleurs très modestes. On est loin de la mobilisation générale. Les Etats-Unis du début des années 1980 ou de l’après 11 septembre 2001 ont été bien plus ambitieux. Les marges de manœuvre existent pourtant mais il faudrait tailler dans d’autres budgets moins essentiels ou au moins faire sortir les dépenses de défense du carcan des 3% de déficit, ce qui dans les deux suppose un minimum de volonté politique.

Les terrains d'action dans la lutte contre le djihadisme international se multipliant, et les budgets n'étant pas infini, faudra-t-il faire des choix en termes d'opérations extérieures ? 

C’est déjà le cas. Après tout, Al-Qaïda dans la péninsule arabique a revendiqué les attentats des frères Kouachi et on n’envisage pas pour autant de lutter contre, de la même façon qu’on ne combat plus en Afghanistan où pourtant Al-Qaïda se réimplante. On se désengage progressivement de république centrafricaine et si rien ne change on allégera encore les effectifs des forces en Afrique. Par ailleurs, on ne peut pas dire que l’opération Barkhane et ses 3 000 hommes pour l’ensemble du Sahel soit une opération massive. La réduction des effectifs et des volumes ne laisse finalement guère d’autres choix que les raids et frappes comme mode opératoire, ce qui est utile mais ne suffit généralement pas pour obtenir un effet stratégique.

Les bases de l'islamisme radical en France se forgent surtout autour des thématiques de la délinquance et des prisons des terreaux que l'armée n'a pas pour mission d'endiguer. Est-ce forcément la réponse la plus efficace de ne concentrer les moyens que sur la seule Défense ? Ne devrait-elle pas absorber qu'une fraction d'un effort plus global ?

Les forces militaires et policières n’ont pas la même vocation. Les premières peuvent appuyer les premières en particulier dans la mission de protection, qui est une mission courant en opérations extérieures, mais ne peuvent se substituer aux secondes. Les militaires, sauf en situation d’état d’urgence et encore, n’ont pas de compétences de police judiciaire. Fondamentalement, les forces armées sont faites pour affronter des forces ennemies à l’étranger et les forces de police pour neutraliser des délinquants. Dans ce combat global ou les réseaux terroristes sont liés à des ennemis extérieurs, les deux formes sont complémentaires. Pour autant, l’action ne se limite pas au combat mais aussi à la prévention. Les prisons constituent un front important de cette guerre. Le problème est matériel et nécessite des investissements importants mais il est aussi idéologique. Entre l’accusation de laxisme dès lors que l’on s’intéresse au problème de la réinsertion, ou même simplement à la dignité de la vie carcérale, et celle d’autoritarisme fascisant lorsqu’on s’efforce de contrôler plus étroitement le comportement de certains prisonniers, la question de l’efficacité de la prison n’est pas jamais résolue alors qu’elle est essentielle à notre sécurité. Parmi les occasions nées de l’émotion de dépasser les blocages politiques, en voici une qui mériterait d’être saisie rapidement. Il en existe d’autres comme l’éducation et la formation professionnelle, où les forces armées, qui constituent un remarquable système de formation peut jouer un rôle. Tout cela a là aussi un coût mais l’insécurité a un coût économique aussi, plus difficile à cerner mais sans doute bien plus important.

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