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5 mensonges d’État plus graves que l’affaire Jouyet-Fillon
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Mise en scène

La presse s'est emparée de l'affaire jouyet pour en faire ses choux gras, les partis politiques s'en sont saisis pour se renvoyer dos à dos la responsabilité. Mais cette affaire ne doit pas occulter les autres mensonges d’État, ceux qui ont et auront un impact concret sur la France et les Français... Budget, impôts, encadrement bancaire, vie privée ou coupes budgétaires de l'armée... Les exemples d'actualité ne manquent pas.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi

Jean-Michel Rocchi est président de Société, auteur d’ouvrages financiers, Enseignant à Sciences Po Aix et Neoma.

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Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin

Fabrice Epelboin est enseignant à Sciences Po et cofondateur de Yogosha, une startup à la croisée de la sécurité informatique et de l'économie collaborative.

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Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

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Jean-Bernard Pinatel

Jean-Bernard Pinatel

Général (2S) et dirigeant d'entreprise, Jean-Bernard Pinatel est un expert reconnu des questions géopolitiques et d'intelligence économique.

Il est l'auteur de Carnet de Guerres et de crises, paru aux éditions Lavauzelle en 2014. En mai 2017, il a publié le livre Histoire de l'Islam radical et de ceux qui s'en servent, (éditions Lavauzelle). 

Il anime aussi le blog : www.geopolitique-géostratégie.fr

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L'opposition dénonce l'attitude de Jean-Pierre Jouyet et une "affaire montée de toute pièce par l'Elysée". De son côté, la majorité renvoie la balle à l'UMP. Affaire Fillon ou Jouyet ? D'Etat ou simple péripétie politicienne ?

Si les vrai mensonges d'Etat étaient tout simplement ailleurs, juste sous nos yeux, dans l'actualité ! Les annonces du gouvernement sont en ce sens riches en enseignements... Des annonces budgétaires pour 2015 aux suppressions de postes dans l'armée, en passant par la baisse des impôts ou la non-création de nouveaux impôts, passage en revue des 5 derniers grands mensonges publics d'Etat.

1 - La sincérité budgétaire, vraiment ?

Jean-Yves Archer : Depuis 40 ans, la fin des Trente Glorieuses a provoqué l'apparition croissante et douloureuse d'un chômage de masse. Dès lors, les Etats européens et particulièrement la France ont recouru au "traitement social du chômage" et à toute une série de dispositifs aidés. Depuis le plan de relance Chirac – Fourcade de 1975 au début du septennat du président François Mitterrand et ses dérapages budgétaires.

Ainsi s'est constituée une dette publique qui est désormais de 2 023 milliards d'euros sans compter les 3 250 milliards de dette dite hors-bilan essentiellement composée d'engagements sur l'avenir (légitimes pensions futures des fonctionnaires, cautions bancaires accordées à l'UNEDIC ou Dexia, etc).

Il y a eu un mensonge collectif par omission car les citoyennes et citoyens n'ont pas vu venir ce fardeau qui est désormais intergénérationnel.

Pour ce mensonge-là, la phrase d'Albert Camus trouve pleinement à s'appliquer : "La vérité, comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur".

Le beau crépuscule des objets est effectivement le terme qui s'applique au carré de la non-sincérité budgétaire qui a été pratiquée autant par les gouvernements de droite que de gauche.

Premier côté de ce carré : la sous-estimation quasi-systématique et sans vergogne du taux de croissance à retenir pour l'année à venir. Tout le monde connait désormais ce jeu de mistigri qui continue par-delà la jeune existence du HCFP (Haut conseil des finances publiques) qui a estimé que 1% pour 2015 était un taux "optimiste" pour la future croissance du PIB. Effectivement, le FMI escompte 0,7% et les agences de notation et autres sont sur le chiffre de 0,6%.

Deuxième côté du carré de l'insincérité : il vient du corollaire de ce qui précède et concerne la surestimation des recettes. Dans la mesure où le taux effectif de croissance est plus faible que celui voté au terme de l'examen du PLF (projet de loi de finances), les recettes (essentiellement TVA et impôt sur les sociétés) sont moindres. Notre estimation - hélas fondée sur une certaine expérience - indique qu'un manque à gagner de près de 8 milliards est une quantification réaliste en matière de recettes.

Troisième côté du carré : le gouvernement sait fort bien que le chômage va continuer de s'accroître. Dès lors, nous risquons d'enregistrer un apport de plus de 15.000 personnes additionnelles sans emploi par mois. A rapporter des 35.000 qui sortent du système d'indemnisation chômage et relèvent, mois après mois, de la solidarité nationale, donc des budgets sociaux, donc de l'impôt. 2015 verra, du fait de l'ampleur de l'atonie de la croissance et des risques déflationnistes, s'alourdir les budgets sociaux et donc ce volet de la dépense publique. N'en déplaise à la présentation budgétaire qui pense pouvoir rogner 20 milliards de dépenses sur le budget social de notre Nation. Ici, le mensonge est patent mais les décideurs veulent y croire : nous sommes alors en situation de déni et en phase d'illusion. Dans le "Dialogue des carmélites", Georges Bernanos écrit : "Les plus dangereux de nos calculs sont ceux que nous appelons des illusions". Oui, ici, en matière de dépenses, il y a manque objectif et subi de sincérité. Là encore, droite et gauche ont souvent subi et ainsi gommé la hausse tendancielle des charges publiques.

Quatrième côté du carré : en toute quiétude, il concerne le premier poste budgétaire, à savoir la charge de la dette. Evaluée à 46 milliards, (PLF 2014), l'idée qui court au sein de l'exécutif est de considérer que les taux vont être orientés à la baisse et ainsi permettre de desserrer l'étau de plusieurs milliards suite au travail technique remarquable qu'effectue chaque semaine l'Agence France Trésor.

Pour notre part, nous n'apportons aucun justificatif fondé à cette thèse. A l'inverse, nous estimons que la cessation graduelle du QE (quantitative easing) de la politique de la FED va progressivement faire repartir les taux à la hausse. Des personnalités aussi diverses que Philippe Dessertine (par ailleurs membre du HCFP) ou Jean-François Dehecq (Président d'honneur de Sanofi) tablent sur une remontée des taux après l'été 2015. Donc, dans le cadre de ce budget, il nous parait réaliste d'énoncer que la charge de la dette sera supérieure aux prévisions quand bien même le gouvernement a eu le cran, si l'on peut dire, de sortir cet argument de taux lissés (donc contenus) lors de ces entretiens avec Bruxelles et ses 3,6 milliards d'euro d'oral de rattrapage.

En synthèse, surestimation du taux de croissance et donc des recettes, sous-évaluation des dépenses sociales, imprécision de prospective sur les taux obligataires sont des éléments matériels qui constituent le socle du manque de sincérité du budget pour 2015 qui affiche un déficit prévisionnel de 87 mds (contre 82 mds l'année précédente) dont il n'est pas absurde ou noir Soulages d'affirmer qu'il sera plus près du seuil symbolique de 100 milliards d'euros, essentiellement du fait que la crise est toujours vive et présente par-delà la qualité des équipes administratives de Bercy.

François Mitterrand a écrit : "Un physicien affirmera que l'oxygène se raréfie sur les hauteurs. Comparaison n'est pas raison. Le politique, le vrai, celui pour qui l'Histoire exige de grands horizons, ne respire qu'en altitude." (L'Abeille et l'Architecte). Puissent les cimes ne pas priver de souffle le décideur public ultime et à l'inverse lui fournir la respiration requise au redressement d'un solde budgétaire qui ne sera pas à 4,3% du PIB (projet PLF 2015).

2 - Pas de nouvel impôt ou pas de hausse d'impôts ?

Jean-Yves Archer : Dans son entretien télévisé de jeudi dernier, le Chef de l'Etat a pris plusieurs engagements. Il a notamment déclaré qu'il n'y aurait "pas d'impôt supplémentaire". Chaque contribuable s'est senti soulagé par une telle annonce et pourtant la situation est un peu plus confuse qu'il n'y paraît au premier abord.

Ainsi, pas d'impôt supplémentaire, cela signifie au sens propre et littéral : pas de nouvel impôt. Autrement dit, cela n'empêcherait pas de glisser une nouvelle hausse de TVA si les circonstances devaient venir à l'exiger.

Au plan de la lettre, il y a du flou "donc un loup" pour reprendre le mot acide Madame Martine Aubry. Au plan de l'esprit, il y a du mou dans la voilure car l'instabilité fiscale qui caractérise depuis tant d'années notre pays serait, si nous avons bien entendu, définitivement stoppée suite à l'oukase présidentiel.

Entendu ? Mais pas reçu ce message présidentiel si l'on se réfère aux nombreux sondages post-émission qui montrent que l'opinion est ultra-méfiante sur cette annonce.

Il faut dire que le chasse-neige Ayrault ("seul un Français sur dix sera concerné par les hausses d'impôts") a hélas apporté, dans les années récentes, un lourd discrédit à la parole publique désormais plongée dans la poudreuse de la suspicion citoyenne. A skier hors-piste, en godille, on finit avec une popularité en vrille.

Pour notre part, compte-tenu des contraintes budgétaires et, répétons-le, de la crise qui serait un défi pour tout gouvernement au-delà de sa couleur politique, nous ne donnons pas quitus à cette idée de stabilité fiscale. Elle serait déjà difficile en période de belle et bonne croissance, en période de disette budgétaire, elle est tout simplement un corset intenable. D'autant qu'il y aura évolution, ne serait-ce que du fait de la fiscalité écologique.

Sur 112 milliards de fiscalité dite affectée (les taxes non votées par le Parlement pour les différentes Agences), des plafonds ont été fixés mais l'Etat n'a qu'un moyen de cesser cette dérive (stigmatisée par un rapport de la Cour des comptes dès le 4 juillet 2013), c'est l'arme complexe à manier de la rebudgétisation qui est évoquée en page 18 de la synthèse du PLF ("Les règles de gouvernance de la LPFP").

Toujours dans le même document, à imprimatur officielle, il faut relever un point bizarrement passé inaperçu (page 22 du document précité). Un tableau très complet intitulé : "Les principaux éléments de cadrage économique du PLF 2015" reprend les principaux agrégats et variables macroéconomiques.

Une observation mérite d'être portée à l'appréciation du lectorat :  les dépenses de consommation des ménages sont décrites :  0,2% pour 2013, 0,3% pour 2014, et 1,3 % pour 2015.

Cette fois le loup a de grandes dents car chacun conçoit que ce chiffre est assez peu en phase avec les difficultés de pouvoir d'achat qui se répandent comme une marée noire sur la vie de millions de Françaises et de Français.

Alors, découplage de Bercy avec le monde réel ?  Que nenni. En revanche, si la dépense de consommation est ainsi inflatée, "vous" augmentez mécaniquement vos recettes prévisionnelles de TVA.  Oui, le loup sait chasser sur toutes les lignes et n'est ni fou, ni flou. Un rien filou ?  A vous de juger...

Sur ce sujet, le silence a été bien ordonnancé conformément aux préceptes de Fénelon ("Les Aventures de Télémaque") : "Quiconque est capable de mentir est indigne d'être compté au rang des hommes, et quiconque ne sait pas se taire est indigne de gouverner".

3 - "Mon véritable adversaire [...] c'est le monde de la finance". Ah bon ?

Jean-Michel Rocchi : Dire "mon ennemi c’est la finance" est une formule vide de sens et démagogique. Tout d’abord on notera la sémantique "la finance" qui est typique de la technique du bouc émissaire, si on veut appeler un chat un chat il aurait mieux valu parler de "l’industrie financière", voire des banques mais alors on touche aux contradictions du système étato-soviétique à la française :

  • Il existe, particulièrement en France, depuis toujours des relations incestueuses entre la haute administration et les banques (de Georges Pompidou à Emmanuel Macron). En son temps certains ont qualifié la loi du 3 janvier 1973 portant réforme de la Banque de France de loi Rothschild. Emmanuel Macron venant de la Finance serait donc l’ennemi de François Hollande ? On perçoit l’absurdité d’un tel propos.
  • François Hollande avait évoqué une séparation de l’activité de banque commerciale et de celle de banque d’affaires sur le modèle du Banking Act de l’administration Roosevelt en 1933 (dit Glass-Steagall Act). Du point de vue concret (en dehors de quelques auditions de banquiers par des parlementaires, débats assez pathétiques qui ont tourné à la tragicomédie le résultat est là : il ne s’est rien passé).
  • Les banques contribuent via l’impôt sur les sociétés à financer le déficit budgétaire et les représentants de l’Etat ne veulent pas savoir comment les banques gagnent de l’argent (c'est-à-dire le niveau de risque pris) du moment que les impôts rentrent. Les banques savent aussi jouer sur l’arme des emplois créés en négociant un protectionnisme de fait sur le marché bancaire domestique.
  • Les grandes banques françaises comme par exemple la Société Générale ont relancé les activités sur les marchés financiers... comme quoi la réduction de la voilure suite à la crise financière n’a pas duré longtemps
  • Sur les marchés dérivés les positions spéculatives représentent 90 à 95%, les opérations de couverture le petit montant résiduel. Les Etats ne veulent pas la fin des opérations spéculatives, tout au plus ont il interdit les positions spéculatives des CDS nus (naked CDS).
  • L’Etat français aurait pu demander une enquête sur les opérations de Goldman Sachs ayant aidé l’Etat grec à masquer à l’Union européenne son niveau réel d’endettement. Qu’a fait Hollande sur ce sujet ? Rien. Il est vrai que les relations incestueuses existent aussi en Europe, Mario Draghi, l’actuel président de la BCE (qui a réglé la note de l’affaire grecque) est un ancien haut responsable de Goldman Sachs !

Pourquoi c'est grave ?

Les banques dans le monde d’aujourd’hui fonctionnent de la même façon qu’avant la crise, rien n’a véritablement changé.

  • En théorie, l’Union Bancaire serait un mieux en matière de contrôle des banques. En fait, le progrès est essentiellement formel : les tests sur les actifs et les stress test ont été transparents. On peut émettre des réserves : les tests étaient plus centrés sur l’activité de crédit que sur les risques réels de marché. Les scénarii retenus n’étaient pas extrêmes du point de vue économique alors qu’à l’évidence la récession est une possibilité pour la zone euro.
  • Le niveau de crédit aux PME et TPE est insuffisant, la rémunération négative des dépôts bancaires auprès de la BCE l’atteste.
  • Suite à Bâle III, les Etats occidentaux se sont assuré un financement du déficit budgétaire avec des obligations souveraines pondérées à 0% (le taux sans une des plus grandes escroqueries intellectuelles de la Finance). A l’inverse le capital risque, lui, est pondéré à 100% ce qui s’est traduit par une allocation en baisse de la part des investisseurs institutionnels.

    La création de la banque publique (un replâtrage d’institutions déjà existantes) doit pallier l’insuffisance des fonds alloués par le secteur privé. Nous sommes dans un phénomène d’effet d’éviction bien connu du privé par le public. La baisse de l’offre privée étant très inférieure à l’offre publique légèrement en hausse, l’effet sera catastrophique en termes d’emplois créés par des PME-PMI financées par le capital investissement.
  • Mettre fin aux chiffres mensongers : alors que les médias se sont alarmés récemment du fait que le seuil psychologique des 2 000 milliards d’euros d’Obligations Assimilées du Trésor - OAT (la dette publique de la France) était atteint, pourtant ce chiffre est faux car il est minoré.

    La dette publique comprend en effet pour partie de la dette obligataire indexée : les OAT indexées sur l’inflation française (OATi) et sur l’inflation de la zone euro (OATei), les remboursements à l’échéance seront donc supérieurs au nominal. Le chiffre des 2 000 milliards c’est en nominal. Le montant de la dette indexée est donc minoré, le chiffre de la dette publique est donc faux car sous-estimé. Au-delà de chiffres truqués et non fiables, ne faut-il pas cesser d’émettre des titres très dangereux pour les finances publiques comme les OATi et OATei ?

4 - Un gouvernement protecteur de la vie privée... mais espionné lui-même par la NSA et travaillant main dans la main avec cette dernière

Fabrice Epelboin : L’Etat Français - ainsi que la population française - espionnée par la NSA, sans que cela ne pose de problème à quiconque ? C’est vrai que c’est assez déroutant, et ce ne sont pas les micro-révélations parues dans la presse française qui peuvent apporter quelque éclairage que ce soit. Il faut reconnaître que l’explication est complexe.

Commençons par un peu de géopolitique des réseaux. Pour espionner un pays tout entier, la méthode la plus efficace consiste à écouter les cables sous-marins qui connectent différents pays au reste de l’internet. Si le pays A est connecté à internet par un cable arrivant au pays B, alors le pays B peut - s’il dispose des technologies nécessaires - espionner le pays A. Un rapide coup d’œil à une carte des réseaux sous-marin montre que - surprise - la France est dans une position de choix dès qu’il s’agit de surveiller l’Afrique de l’ouest, l’Afrique du nord et une large partie du Moyen et du Proche Orient. Une position stratégique, donc, qui permet à la France d’acouter une multitude de pays que les Etats-Unis ne peuvent espionner de la sorte.

De leur coté, les Etats-Unis disposent, grâce à leurs systèmes de surveillance, de quantité d’informations dont les dirigeants français pourraient avoir besoin, que ce soit dans des missions antiterroristes ou dans tout un tas d’autre choses. Les Etats-Unis peuvent ainsi fournir une multitude d’informations à la France, comme celles que ses citoyens laissent sur les services Cloud Américains, tel Facebook ou Google, qui sont sous étroite surveillance, comme l’ont montré les documents fournis par Edward Snowden.

C’est dans ce contexte que se sont conclu les accords Lustre en 2010 - révélés par la presse Allemande en 2014. Ces accords ont été signés dans le cadre d’un élargissement du groupe Echelon à plusieurs autres pays, dont la France, et prévoit que les services de renseignement des deux pays puissent echanger des informations issues de leurs systèmes de surveillance respectifs.

Ainsi, depuis 2010, la France et la NSA travaillent main dans la main à ce qui est censé être une lutte contre le terrorisme. C’est en tout cas de cette façon que la mise en place de ces technologies de surveillance globale ont été “vendues” aux populations, et dans le cas de la France, ça marche très bien, personne ne proteste, ou presque.

De la lutte antiterroriste à la société de la surveillance

Mais ces outils de surveillance globale peuvent faire bien plus que lutter contre le terrorisme, et leur encadrement - si on peut l’appeler ainsi - prévu dans des lois telles que la Loi de Programmation Militaire, n’en limite pas vraiment l’utilisation à la seule lutte contre le terrorisme. A vrai dire, il n’y a pas vraiment d’encadrement. En laissant passer des lois aussi liberticides, les députés Français (et leurs collègues à l’étranger) ont ouvert une boite de Pandore qui devrait reléguer la démocratie à un court moment de l’histoire de l’humanité. Les pays disposant de telles technologies - qui vont de la Big Data à la collecte massive de données personnelles, commencent doucement à avancer vers d’autres usages qui n’ont strictement rien à voir avec le terrorisme.

La Belgique a ainsi initié une chasse aux abus des chômeurs, l’Ausralie fait de même  - en reconnaissant explicitement que ce sont les mêmes outils qui servent à lutter contre le terrorisme et contre la fraude des chomeurs - et la France a récemment approuvé un amendement au sein de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) ouvrant la voie à une chasse similaire.

Evidemment, en pleine affaire des LuxLeaks, qui montrent la complicité du président de la Commission européenne avec une évasion fiscale massive de la part de très nombreuses multinationales, le timing est innoportun, mais dans la mesure où l’ensemble des “partis de gouvernement” en France s’accorde sur la mise en place de la société de la surveillance (et sur l’évasion fiscale des multinationales), ce n’est pas comme si on avait le choix.

La suite consistera à surveiller tout ce qui sera tôt ou tard assimilé à du terrorisme, et les dérives ne manqueront pas d’arriver. Les étudiants qui manifestent, les Zadistes de Notre Dame des Landes ou ceux du barrage de Sivens, l’opposition politique dans son ensemble - si ce n’est déjà fait, car rien n’empêche l’exécutif de le faire dès à présent.

Bien sûr, les premiers à être traqués - après les chômeurs - seront les Français qui prennent quelques libertés avec les aides de l’Etat, les impôts, la sécurité sociale et tout un tas d’autres choses. La triche étant un sport national - à l’image de nos dirigeants politiques - le climat social devrait s’en ressentir au point de devenir exécrable.

Dans un second temps, ce seront tous ceux en mesure de porter atteinte au pouvoir qui seront traqués - journalistes d’investigation, juges, avocats, lanceurs d’alerte - avant de s’attaquer à toute forme d’opposition, ce qui nous amènera à une nouvelle forme de système politique qu’il serait trop rapide de qualifier de dictature tant elle n’aura strictement rien à voir avec les dictatures du passé. Un régime politique que Pierre Bellanger nommait dans un récent article une “quasi démocratie”.

Tout cela pourrait bien sûr prendre un tout autre chemin, si par exemple un tout autre courant politique arrivait au pouvoir par les urnes. Si Marine Le Pen arrivait ainsi au pouvoir, les cibles pourraient ainsi être assez différentes. Ironiquement, c’est la seule possibilité à ce stade pour que la population réalise le danger que fait peser sur la démocratie ces outils de surveillance de masse que nous sommes en train d’installer.

5 - Une toute puissance militaire française, toujours garante de son rayonnement international. Sauf que...

Jean-Vincent Brisset : Il est vrai que la France reste, par rapport à l'immense  majorité des pays, une puissance militaire. Parce qu'elle possède encore, outre une dissuasion nucléaire indépendante et dotée de deux composantes, de vraies capacités, dont celle d'entrer en premier, de mener seule certaines opérations de projection, d'être présente quasiment partout dans le monde, et en particulier sur de très vastes zones où la France est souveraine, loin du territoire métropolitain.

Le "savoir-faire", et pas seulement dans les opérations menées sur le territoire des anciennes colonies, est aussi reconnu. L'enseignement militaire français est aussi considéré comme étant de haut niveau, tout comme les concepts d'emploi et les doctrines.

Mais cette puissance militaire et son rayonnement sont menacés. Certes, le Président de la République s'est personnellement engagé  à "sanctuariser" le budget de la Défense. Mais, très rapidement, on s'aperçoit que cette promesse n'est pas et ne sera pas tenue. On comptabilise en effet dans ce budget des "ressources exceptionnelles", en particulier des ventes de fréquences qui ne pourraient pas être réalisées avant 2017 et d'ensembles immobiliers, qui ont sans doute été surévaluées. Comme l'écrivait la Cour des Comptes, le montant "n'est pas garanti" et le calendrier est "lui aussi incertain".

Mais les problèmes financiers ne s'arrêtent pas là. Les opérations extérieures en cours, au Sahel, en Afrique Centrale et en Irak, mais aussi au Liban coûtent beaucoup plus que ce qui a été budgétisé. La solution retenue consiste donc à reporter certaines dépenses et étaler des programmes. Et aussi à tailler dans les effectifs. Comme vient de le dire le Chef d'Etat-major des Armées, les personnels militaires supportent les deux tiers des suppressions de postes de l'ensemble de l'Etat. Et pour les matériels, on envisage des systèmes de financement par l'industrie par le biais de location de matériels à leurs fabricants qui relèvent de visions à très court terme.

Jean-Bernard Pinatel : La France, sur les plans diplomatique et militaire, disposait jusqu’à présent d’un potentiel  qui devrait placer notre pays dans le top 5 des Etats les plus influents du Monde. Grâce à la volonté du Général de Gaulle, notre pays est une des cinq puissances nucléaires qui disposent d’un arsenal déclaré et, de ce fait, possède un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU. Cette position lui confère un droit de véto et donc une capacité d’influence considérable sur toutes les décisions de la communauté internationale. Ce "soft power" s’exerce aussi au travers de ses 156 ambassades, de 17 représentations auprès d’organisations internationales et de 98 postes consulaires. Le nombre et la qualité de ses diplomates et de ses structures diplomatiques la place au 4ème rang mondial. Par ailleurs, son passé colonial et  la francophonie offrent à la France un potentiel d’influence considérable à condition de l’utiliser à bon escient. Ainsi, la France a pu réunir à Paris, en décembre 2013, 40 chefs d’Etats africains pour discuter de la sécurité en Afrique.

L’armée française, jusqu’aux dernières réductions d’effectifs et budgétaires, a démontré, tant sur le théâtre afghan qu’en Libye et au Mali, ses capacités opérationnelles et la valeur militaire qui anime ses officiers, ses sous-officiers et ses soldats. Tant par son budget que par ses capacités, elle se classait immédiatement derrière les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Les Américains  ont encore récemment témoigné de leur admiration pour la souplesse et la rusticité de nos forces armées. Même avec des effectifs limités, ces qualités leur permettent de faire face à différentes situations opérationnelles et de combattre au sein et avec l'appui des armées et populations locales, tout ce que culturellement l'armée américaine ne sait pas faire.

Mais ce potentiel est érodé année après année par les responsables politiques qui arrivent au pouvoir, ignorants des questions stratégiques et de défense et qui, malgré leurs  dénégations, considèrent le budget de la défense comme une variable d’ajustement.

Pourquoi c'est grave ?

Jean-Vincent Brisset : Au-delà de ces problèmes visibles de manière immédiate et comptable, ce sont les capacités militaires qui sont atteintes dans le court terme et, pire encore, qui sont lourdement hypothéquées pour l'avenir. Tout d'abord, les coupes dans les effectifs et les dissolutions d'unités rendent encore plus difficile la vie de tous les jours des militaires, déjà largement sollicités par les opérations extérieures. Les ratés du système de solde Louvois ont provoqué de gros dégâts et des pertes de confiance dans l'institution. Les promotions ont aussi été limitées, ce qui est particulièrement nocif dans un système qui privilégie l'avancement au mérite. C'est peu de dire que le moral des armées est au plus bas.

Les opérations extérieures posent aussi de graves problèmes d'usure des matériels. Ceux-ci sont utilisés dans des conditions difficiles et parfois abandonnés sur place comme en Afghanistan. Dans un contexte budgétaire aussi restreint, cela pose des problèmes immédiats de disponibilité. Mais, surtout, on hypothèque gravement l'avenir en consommant des potentiels qui ne sont pas extensibles.

Le déroulement des opérations extérieures démontre aussi que, maintenant, la France est en train de perdre sa capacité à agir de manière indépendante. Parce que les achats nécessaires n'ont pas été faits, les forces sont tributaires d'aides extérieures, Etats-Unis, Europe ou location, pour la logistique, les drones, le ravitaillement en vol.

On note aussi que, faute de crédibilité politique en Europe et en raison d'une surestimation surprenante des capacités des forces africaines amies, l'armée française reçoit très peu d'aides sur le terrain. Tant que le tempo de ces opérations se maintiendra au niveau actuel, la situation continuera de s'aggraver même si les capacités à faire beaucoup de choses avec très peu de moyens - qui font l'admiration de nos alliés américains - resteront. Mais la voie actuellement empruntée conduit inéluctablement à une perte de la qualité opérationnelle et amènera à un modèle d'armée "à l'allemande", peu capable d'intervenir hors de ses frontières.

Jean-Bernard Pinatel : Cette tentation a été permanente dans l’Histoire de France. Le comte de Guibert, penseur militaire avertissait Louis XVI, dont la gouvernance ressemble à celle de François Hollande, en ces mots : "ce qu'il y a de plus cher et de plus onéreux c'est d'avoir une demi-armée car avec cela on n'est jamais au niveau de sa politique, ni de son rang ni du rôle qu'on doit jouer et toute dépense qui est insuffisante est celle qu'il faut vraiment regretter."

Un rapport de la Cour des comptes[1]révèle que nous n'avons même plus une demi-armée opérationnelle en permanence.Diminution des crédits et des effectifs, vieillissement des matériels : entre 2011 et 2013 le taux de disponibilité des avions et hélicoptères de nos armées (MCO) est passé de 59 à 41% pour l'Armée de l'Air et de 54 à 41% pour l'armée de terre.

Sur le plan des effectifs, en 10 ans, entre 2009 et 2019, terme de la loi de programmation militaire en cours, l’armée professionnelle aura perdu 80 000 personnes soit le quart de ses effectifs. Enfin, les restrictions financières se traduisent par une paupérisation des unités et la baisse des jours et des moyens de formation et d’entraînement de nos forces.

Il en est de même de l’influence française dans le Monde. Un chef d’Etat doit prendre ses décisions en matière de politique étrangère et de défense avec un seul critère : les intérêts stratégiques et permanents de la France. Au lieu de cela et  sous l’impulsion  de leaders d’opinion comme BHL, l'émotion médiatique a été propulsée au premier rang des facteurs déterminants de la décision stratégique. François Hollande, par des décisions prises sous le coup de l'émotion a pratiquement anéanti  l'influence française au Moyen-Orient et en Russie que nous avions mis des siècles à établir.

Propos recueillis par Franck Michel / sur Twitter


[1]La Cour des comptes a rendu public, le 29 septembre 2014, un rapport sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires

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