Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques : comment s’est jouée la victoire inattendue de la France au sein de la Commission Juncker<!-- --> | Atlantico.fr
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Pierre Moscovici, nouveau commissaire européen aux Affaires économiques.
Pierre Moscovici, nouveau commissaire européen aux Affaires économiques.
©Reuters

Coulisses

Au terme d'un subtil jeu politique européen, l'ancien ministre de l’Économie français a été nommé mercredi 10 septembre au sein de la puissante institution de Bruxelles, à la plus grande satisfaction de François Hollande.

Mathieu  Bion

Mathieu Bion

Mathieu Bion est journaliste et rédacteur en chef adjoint de l'Agence Europe, une agence de presse internationale spécialisée dans la couverture de l'Union européenne et de ses institutions. 

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François Beaudonnet

François Beaudonnet

Après avoir été en poste à Bruxelles, François Beaudonnet est désormais correspondant à Rome pour France 2. 

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Atlantico : Quels sont les domaines de compétences du nouveau commissaire aux Affaires économiques, Pierre Moscovici ?

François Beaudonnet :Contrairement à son prédécesseur, Pierre Moscovici a aussi la main sur la fiscalité, qui est un outil important. Il détient donc un gros portefeuille et un portefeuille clé. Pour le président de la Commission, Jean-Claude Junker, il était en effet évident que la fiscalité, qui une arme de compétitivité, revienne enfin au commissaire aux Affaires économiques.  Il a donc composé sa commission en fonction de ses priorités, dotée d’une organisation cohérente et hiérarchisée, pour éviter comme dans la précédente, que chacun travaille dans son coin, fasse ses analyses et prenne ses directives seul sans en référer à sa hiérarchie. Il y a eu ainsi jusqu’à 27 tunnels parallèles. Il a donc voulu en finir avec les annonces désordonnées et parfois contradictoires du passé au profit d’une équipe composée de commissaires regroupés dans leur domaine de compétence. Enfin, concernant la politique monétaire, a précisé Junker, elle demeure du ressort de la seule Banque centrale européenne (BCE). Il a néanmoins confirmé que Pierre Moscovici serait le représentant de la commission à l’Eurogroupe. Quant à savoir si le commissaire français représentera l’institution européenne dans toutes les instances économiques internationales, nous sommes encore dans le flou.

Mathieu Bion : Pierre Moscovici sera bien chargé de l’Ecofin. Au sein de la commission, il sera donc notamment chargé de la surveillance des politiques budgétaires des Etats membres et de l’application du pacte de stabilité et de la règle du déficit à 3%. Sa mission sera donc de vérifier le respect des engagements pris par les pays de l’Union européenne. Il devrait également avoir un rôle, selon Juncker, dans la représentation de la zone euro au niveau international. Enfin, dans le contexte actuel marqué par une croissance atone et un risque de déflation, un des grands enjeux est de savoir comment faire pour mettre en œuvre des politiques budgétaires et des réformes économiques structurelles, qui non seulement respectent les règles mais puissent stimuler l’investissement et la croissance dans le cadre d’une certaine flexibilité du pacte, qui autorise déjà aux Etats des délais supplémentaires. La tâche importante de Pierre Moscovici sera donc d’interpréter ces règles et de les faire appliquer au regard de la performance de chaque Etat, et notamment de celle de la France. Concernant la politique monétaire, elle est en effet toujours décidée par la Banque centrale européenne. Il ne sera donc en charge que de représenter la commission auprès de la BCE. 

Quels seront les pouvoirs et le degré d’autonomie de Pierre Moscovici, sachant qu’il aura au-dessus de lui un vice-président finlandais, Jyrki Katainen, pour le superviser ?

François Beaudonnet : Pour qu’un sujet soit mis à l’ordre du jour du collège, un équivalent d’un conseil des ministres organisé tous les mercredis matins, les commissaires devront avoir le feu vert d’un des vice-présidents. Néanmoins, ces vice-présidents, qui sont au-dessus de Moscovici et de ses collègues dans l’organigramme, ne disposeront pas d’une direction générale de milliers de fonctionnaires, à la différence des commissaires. Or, cette DG est la véritable cheville ouvrière d’un commissaire européen. Sans elle, il n’est rien. En disposant de cette équipe, Moscovici aura donc un vrai pouvoir et une réelle autonomie. « Ce n’est pas à mon âge que je vais entamer une carrière de dictateur », a même déclaré Jean-Claude Junker, en paraphrasant le Général De Gaulle. Nous verrons bien comment les choses évoluent. Mais Junker et Moscovici se connaissent bien, ils ont passé des nuits ensemble à l’Eurogroupe et disent s’apprécier. Il y aura donc souvent un contact direct entre les deux hommes. Si un jour Moscovici a, par exemple, besoin de décrocher son téléphone, il appellera directement le président et non son vice-président. En réalité, ces postes de vice-présidents sont des postes d’affichage, souvent attribués à des représentants de petits pays, généralement à d’anciens premiers ministres. Ils auront plus un rôle de représentation qu’un rôle de décision, alors que les commissaires sont aux manettes, en particulier Moscovici et le commissaire britannique aux Services financiers, Jonathan Hill. Ce sont eux qui feront vraiment tourner la boutique.

Mathieu Bion :Ses pouvoirs sont réels. C’est lui qui va faire le gros du travail en amont. Il dispose par ailleurs d’une direction générale derrière lui, ce qui n’est pas le cas du vice-président finlandais. Néanmoins, l’organisation de la commission est caractérisée par sa collégialité. Il n’existe donc pas de véritable hiérarchie entre commissaires, qui possèdent chacun une voix. En cas de litige, c’est le président qui peut seul faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. En tout cas, je ne crois pas que Katainen réécrira toutes les propositions de Moscovici. Au mieux, pourrait-il retoquer à la marge certains sujets, mais les décisions du commissaire français resteront de toute manière dans la lignée de son prédécesseur. Il est très peu probable qu’il accorde d’entrée des délais à tous les Etats membres. On peut même s’attendre à un excès de zèle de Moscovici vis-à-vis de la France, pour bien prouver qu’il est indépendant, qu’il ne reçoit pas d’ordres de Paris et qu’il travaille dans l’intérêt général européen. Si Moscovici est aux manettes de la surveillance budgétaire, il devra toutefois préparer dans les trois mois un plan d’investissement en faveur de la croissance et de l’emploi - on parle de 300 milliards sur trois ans - avec ses collègues de la commission. 

Disons aussi que c’est bien joué de la part de Jean-Claude Juncker, car en choisissant un social démocrate français à ce poste, il contrecarre les critiques accusant la commission d’appliquer une politique exclusivement libérale. La composition de cette commission relève donc d’un équilibre très subtil. En plus de nommer un Français à ce poste, malgré la situation difficile de son pays, Juncker a nommé dans le même temps un Britannique aux Services financiers, alors que Londres ne souhaite qu’une chose, rapatrier les compétences dans ce domaine au niveau national. Résultat : il est difficile d’attaquer la France tout en épargnant la Grande-Bretagne. Donc tout le monde se regarde en chien de faïence et personne ne souhaite attaque son voisin, parce que sinon tout l’édifice risque de s’écrouler. De son côté, l’Allemagne, qui n’a pas de poste important, a néanmoins placé ses alliés économiques et diplomatiques là où il faut. Elle n’aura donc pas trop de souci à faire entendre sa voix, d’autant qu’il ne s’agit que de la commission, or un texte, une fois sorti, est forcément modifié par les Etats-membres en conseil, puis par le parlement.

Comment s’est faite, côté coulisse, cette nomination de Pierre Moscovici ?

Mathieu Bion : L’Allemagne était très réservée sur cette nomination depuis de longs mois. Jusqu’au conseil européen, fin août, il y a eu des frictions, notamment pour faire reconnaître le caractère exceptionnel de la situation économique actuelle. La nomination d’un vice-président finlandais, favorable à la rigueur budgétaire et utile pour garder un œil sur ce que fait la France ou pas, a permis d’une certaine manière de rassurer Berlin. Mais il y a encore deux jours, certains bruits donnaient Pierre Moscovici commissaire à la Concurrence.

François Beaudonnet : Il y a eu des rumeurs orchestrées par l’équipe de Juncker pour brouiller les pistes. Ils sont restés très discrets, ont allumé des contre feux et fait fuiter des fausses informations. On savait les Allemands très opposés à cette nomination. Il y a donc eu des discussions. Angela Merkel a obtenu tout ce qu’elle voulait par ailleurs en termes de nominations, décrochant notamment celles de vice-présidents adeptes de la rigueur budgétaire. Il y a eu une volonté allemande d’affichage. L’idée était de montrer que s’il y a bien un Français dans les lieux, il aura des gens sérieux au-dessus de lui et que les Allemands ne le laisseront pas faire. Il y a quelques jours, les choses demeuraient toutefois incertaines. Des bruits ont en effet évoqué étonnamment Moscovici à la Concurrence, avant d’être vite démentis. Mais pour les observateurs à Bruxelles, cette nomination n’a rien d’une surprise.

La nomination de Pierre Moscovici est-elle une victoire politique pour François Hollande ? Quels avantages peut-il en tirer pour l’avenir ?

François Beaudonnet : La France ne pouvait pas rêver mieux. Cette nomination est clairement une victoire pour François Hollande. C’est même une des seules bonnes nouvelles dont il peut se prévaloir. Pour lui, cela doit être un petit rayon de soleil dans un univers très sombre. Les critiques ne s’étaient d’ailleurs pas focalisées sur la personne de Pierre Moscovici, plutôt apprécié à Bruxelles et par ses homologues, mais sur son origine française, sachant que la France peine à se réformer et reste le mauvais élève de l’Union européenne depuis des années. D’une certaine façon, le cancre est en train de devenir le professeur. Le calcul qui a été fait par Hollande est double. Officiellement, il s’agit d’un poste prestigieux et de pouvoir, la France est un pays important, donc il faut qu’elle ait ce poste. Officieusement, l’idée était de se dire : nous aurons quelqu’un dans la place, qui sera au cœur du système, nous servira de relais et sera plus bienveillant avec nous. En ce sens, c’est donc pour le gouvernement français une bonne nouvelle. Mais je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un bon calcul. Nous verrons bien. Soit Moscovici est très sévère vis-à-vis de la France et on dira que c’est parce qu’il est Français. Soit il s’autocensure et fait preuve de mansuétude et on l’accusera de faire des cadeaux à son pays. Une chose est sûre, il sera très observé dans les prochains mois.

Mathieu Bion : En décrochant cette nomination demandée depuis longtemps, François Hollande peut en effet savourer sa victoire, seulement quelques mois après les élections européennes qui ont vu en France la poussée de forces politiques hostiles à l’intégration européenne. Ceci dit, l’Europe sans la France, n’est plus l’Europe. Désormais, Hollande peut donc essayer de réorienter la politique économique vers un soutien à la demande et faire en sorte d’utiliser la flexibilité budgétaire en contrepartie de réformes structurelles. Il y a là une fenêtre qui s’ouvre pour le gouvernement français pour faire valoir sa position. Il serait toutefois trompeur de s’attendre à des cadeaux de Pierre Moscovici à son pays concernant sa politique budgétaire. L’idée est de trouver un équilibre entre des engagements de la France à se réformer (flexibilisation du marché du travail, réforme des retraites, coupes dans les dépenses) et une flexibilité, déjà inscrite dans les règles budgétaires actuelles, et des délais supplémentaires pour ramener son déficit en dessous des 3% du PIB. Tout dépendra de la façon dont la France appliquera ou non ses réformes. Junker fait ainsi le pari que le message sera mieux transmis à Paris et aux Français s’il est relayé par Moscovici à travers ses déclarations et sa langue.

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