Économie & géopolitique : ce que les complexes et fantasmes allemands coûtent à l’Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Allemagne s'est imposée comme le chantre de l'austérité budgétaire.
L'Allemagne s'est imposée comme le chantre de l'austérité budgétaire.
©Reuters

La preuve par le contre exemple

Du fait de son histoire, l'Allemagne s'est imposée comme le chantre de la rigueur budgétaire et mène une politique étrangère prudente, à la différence de ses partenaires de l'Union européenne, qui lui en font le reproche.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : Mardi 9 septembre, Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, a martelé sa conviction : "Nous avons prouvé qu'une politique budgétaire solide était la meilleure politique pour la croissance et l'emploi". Pour la chancelière, Angela Merkel, les politiques d’austérité sont en effet indispensables pour réduire les déficits publics et donc assainir les économies de l’Union européenne. Ses critiques lui reprochent une position dogmatique néfaste à la croissance. Quelles sont les conséquences économiques et sociales de la position de la chancelière allemande sur ses partenaires européens ?

Mathieu Mucherie : Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. L’Allemagne est la championne de la dépense tandis que l’Italie de Berlusconi était la championne de l’austérité. Les débats budgétaristes passionnent mais rares sont ceux qui s’intéressent aux données concrètes au-delà des postures politiques ; et le graphique ci-dessous ne sera jamais publié dans la presse allemande. Pire, ces débats tronqués qui se focalisent sur les intentions et non sur les résultats incitent aux manipulations comptables, au hors-bilan, d’autant que personne ne creuse les questions qui fâchent : quel coût pour les structures de défaisance et les banques régionales allemandes ? Le coût de la sortie du nucléaire et le coût du vieillissement ont-ils été provisionnés ? etc.  La BCE elle-même fait maintenant pression pour que les allemands relâchent un peu le carcan pour les autres qu’ils ne s’imposent pas à eux-mêmes. De ce point de vue, la réponse de M. Schäuble est une fin de non recevoir claire et nette.

Selon un baromètre annuel dont les résultats viennent d'être révélés, la plus grande peur des Allemands est l'inflation. Quelles conséquences sur l'économie européenne le traumatisme allemand de l'hyperinflation des années 1930, qui avait amené Hitler au pouvoir, a-t-il sur les politiques monétaires menées en Europe et sur la situation économique de la zone euro ?

Mathieu Mucherie : Aujourd’hui, la vision qu’ont les allemands (de droite comme de gauche) de la politique monétaire est celle de la Bundesbank ; et ce n’est pas un hasard, la pédagogie monétaire de la Bundesbank est omniprésente depuis longtemps outre-Rhin. C’est un élément majeur du consensus social et politique outre-Rhin. La peur de l’inflation en plein milieu d’une déflation, l’indépendance maximaliste du banquier central (en totale contradiction, soit dit en passant, avec les fondateurs de l’ordo-libéralisme, Eucken en tête), l’utilisation des agrégats monétaires uniquement quand cela les arrange, les intrusions dans les questions politiques, structurelles, budgétaires et salariales, etc.
Tout cela se fait dans le plus grand consensus en Allemagne, or ce pays est le pays ancre en zone euro (le moindre des paradoxes n’est pas que les anticipations d’inflation se désancrent en zone euro du fait de la stratégie du pays ancre…), c'est-à-dire le socle de la crédibilité de la BCE, c'est-à-dire que ce pays a un droit de véto sur tout ce qui est important (QE, taux négatifs, forward guidance, dévaluation). Des gens unanimes, formés par la BUBA et considérés par les autres comme exemplaires, contrôlent seuls les freins d’une institution qui de toute façon n’a pas la moindre intention d’accélérer. On comprend mieux pourquoi la zone euro sous-performe depuis des années toutes les autres zones monétaires, tant d’un point de vue macroéconomique que sur les marchés, et pourquoi le mandat d’une inflation à 2%/an en zone euro est de plus en plus outrageusement (et impunément) violé.

Le modèle économique allemand est avant tout mercantiliste et tourné vers les exportations. Ses contempteurs l’accusent de provoquer de profonds déséquilibres au sein de la zone euro. En quoi ce modèle constitue-t-il un frein au retour de la croissance en Europe ?

Mathieu Mucherie : Ce modèle correspond bien à un pays ouvert et orienté haut de gamme, avec un pouvoir de marché et une spécialisation manufacturière. Le taux de change est alors une question relativement mineure, et la bourse aussi (plus de boites cotées en Malaisie qu’en Allemagne), et les taux BCE aussi. Le chef d’une grosse PME familiale spécialisé dans de l’optique haut de gamme et autofinancé à 150% se moque bien d’un quantitative easing européen, surtout si 50% de son chiffre dépend de l’Asie du Sud-est. Il faut juste qu’on ne l’embête pas trop avec les réglementations, les impôts et le coût du travail pour le volet des salariés les moins qualifiés, et ça l’Allemagne est douée : peu de fonctionnaires fédéraux, pas question de salaire minimum fédéral jusqu’à une époque très récente, des "mini-jobs" à 500 euros, Hartz IV, l’ex-RDA et la proximité de l’Europe de l’Est pour comprimer les coûts, et un immobilier pas cher.
Le problème c’est que ce modèle d’exportateur n’est pas exportable. Pour cause d’embouteillage macroéconomique : tout le monde ne peut pas être exportateur net (surtout en zone euro où 60% du commerce d’un pays se fait avec les autres membres de la zone). Si tous les pays de la zone euro se calaient sur le modèle allemand, notre excédent global atteindrait 1 Trillion de dollars : même une Amérique boulimique avec 5% de croissance ne pourrait pas absorber. Pour des raisons historiques aussi : la spécialisation productive ne se change pas en un jour, et le segment de l’industrie haut de gamme est déjà bien occupé. Pour des raisons de taux de change enfin et surtout : les pays périphériques ne peuvent plus dévaluer contre le Deutschemark, et c’est comme par hasard à partir de ce moment-là que les trajectoires de production industrielle ont divergé. Comme le disait Milton Friedman, un système de taux de changes complètement fixe génère des déséquilibres qui vont sans cesse croissants… jusqu’à ce que le système saute.  

Dans la crise ukrainienne, Berlin s’oppose à l’escalade avec la Russie, un de ses partenaires commerciaux clés à l’Est, quand de nombreux membres de l’Union européenne poussent au renforcement des sanctions politiques et économiques. L’attitude plus prudente et effacée de l’Allemagne est-elle contre-productive dans l’affirmation politique de l’UE ?

Jérôme Vaillant : Je pense au contraire que la chancelière a eu raison lors du dernier sommet de l'OTAN de faire preuve de modération avec cette idée toute simple que l'escalade n'est bonne pour personne sauf pour les faucons qui rêvent de gagner une nouvelle guerre froide et peut-être pas seulement froide. Sur le problème ukrainien, l'occident -  UE et Etats-Unis inclus - fait preuve d'une étonnante hypocrisie par absence d'analyse géopolitique.
Et pourtant on aurait pu savoir depuis le début des années 1990 après la disparition de l'Union soviétique que la question ukrainienne serait fatalement un enjeu extrêmement sensible pour la Russie qui a accepté de voir l'OTAN se déployer dans ce qui avait été l'empire soviétique (voir les bases US tolérées par Moscou pour aider au règlement (?) du conflit irakien) et pouvait espérer en un réel partenariat de la paix avec les pays occidentaux. Un tel partenariat impliquait la prise en compte des besoins de sécurité de la Russie et de la CEI et non une expansion continue de l'occident au détriment de l'ex-URSS.
Dans le cas de l'Ukraine qui compte un nombre important de russophones, cela signifiait que l'UE et les Etats-Unis ne devaient pas se contenter de soutenir l'Ukraine s'ouvrant à l'Europe mais devaient aussi prendre en compte les intérêts russes en Ukraine. Il aurait fallu négocier avec la Russie sur l'Ukraine au lieu de se contenter de ne voir que la demande de rapprochement de Kiev avec l'Occident qui était une façon de mettre un terme à la solidarité nationale entre pro-européens et russophones souhaitant un adossement à Moscou. Les erreurs ont été commises à l'origine et il est maintenant bien difficile d'éviter une escalade des sanctions entre occident et Russie. Pourtant fonder l'affirmation d'une politique étrangère de l'UE sur l'accroissement des sanctions face à Moscou ne peut remplacer une politique fondée sur l'équilibre en Europe qui devrait se doter d'une nouvelle politique est-européenne. L'Allemagne de par sa positon médiane en Europe, de par l'expérience qu'elle a faite en matière d'Ostpolitik dans les années 1970 avec en premier Willy Brandt, a compris plus vite que tout autre pays européen qu'il convenait de pratiquer une politique de prévention des conflits par la négociation pacifique. Et cela implique la prise en compte des intérêts des autres!
La politique ukrainienne de l'Allemagne consiste depuis le début à ne pas rompre le dialogue avec la Russie dans l'espoir d'un accord.  Ses espoirs ont été déçus, mais elle continue d'espérer que la négociation est préférable à tout conflit déclaré. Elle a pourtant suivi les initiatives américaines et européennes en matière de durcissement des sanctions parce que les provocations russes ne permettaient pas de faire autrement. Mais une politique d'escalade des sanctions ne fixe pas d'objectif diplomatique de sortie de crise, ce n'est pas une vraie politique parce qu'on ne cherche pas à répondre à la question sur le statut de l'Ukraine et son rôle en Europe. Ce rôle, s'il devait être celui d'un pont entre l'Est et l'Ouest, implique le respect de la dualité ukrainienne, la négociation ne peut être à sens unique. Qu'est-on prêt à concéder à la Russie? On devrait en tous cas plutôt chercher à apprendre de l'Allemagne qu'à faire entendre le cliquetis des sabres.

Du fait de son histoire, l’Allemagne a désormais tendance à fuir les conflits, à limiter sa politique militaire et s’oppose à une défense européenne. Est-elle capable de surmonter ses complexes pour assumer son rôle de leader politique en Europe ? Et comment ?

Jérôme Vaillant : La question est double : la défense européenne et les opérations extérieures. En matière de défense européenne, il est peu probable que l'Allemagne abandonne la politique qui a été la sienne depuis les années 1950 et confirmée après le Traité de l'Elysée de 1963, à savoir que la défense de l'Europe est assurée dans le cadre de l'OTAN, éventuellement par le développement en son sein d'un pilier européen mais celui-ci ne semble plus guère être porteur depuis quelques années. L'Europe reste incapable d'assurer par elle-même sa défense, il convient d'en prendre acte et de ne pas rêver.
La question de la politique d'intervention dans des conflits extérieurs est une autre affaire: dans ce domaine, l'Allemagne n'a pas cessé de prendre ses responsabilités au cas par cas, Helmut Kohl montrant progressivement la voie à suivre, Gerhard Schröder poursuivant sa politique avec toujours plus d'engagements militaires extérieurs (Bosnie, Afghanistan, Corne de l'Afrique, etc.) jusqu'à impliquer plus de 10.000 soldats allemands dans des opérations extérieures. La chancelière Merkel a revu cette politique d'Opex à la baisse réduisant considérablement les effectifs de la Bundeswehr en opération. Il reste que la Bundeswehr se conçoit aujourd'hui comme "une armée en opération" et qu'elle œuvre à sa modernisation pour pouvoir accéder aux demandes de ses partenaires et plus généralement de la communauté internationale. 
Il reste aussi qu'avec le temps, l'Allemagne - avec essentiellement Schröder, Steinmeier, Fische, deux sociaux-démocrates et un vert! - a développé une véritable doctrine de politique étrangère qui n'a cessé de sous-tendre ses interventions : la guerre ne peut être qu'un ultime recours (ultima ratio) une fois que tous les moyens de négociation ont été épuisés. Cela explique que l'Allemagne de Schröder,  qui avait témoigné sa solidarité aux Etats-Unis après le 11 septembre 2001 en s'engageant en Afghanistan - ne les ait pas suivis dans l'aventure irakienne de 2003 là où les commentateurs ont voulu voir d'abord une rupture de son suivisme atlantique. Même chose pour la Libye qui constitue pourtant un cas de figure à part dans la mesure où l'Allemagne pouvait témoigner de sa solidarité avec ses partenaires européens sans intervenir militairement. Elle n'avait pas besoin de s'abstenir lors du vote à l'ONU.
L'année 2014 a commencé sous de nouveaux auspices puisque la nouvelle ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, et le ministre des Affaires étrangères, Frank Walter Steinmeier, appuyés en cela par le président fédéral, Joachim Gauck, ont fait part de la nécessité pour l'Allemagne d'assumer à l'avenir plus de responsabilités dans le monde, y compris militaires. La chancelière, réticente, s'est malgré tout laissée convaincre comme l'accord donné à la livraison d'armes aux Kurdes du Kurdistan et sa participation à la coalition forgée par les Etats-Unis contre le mouvement dit "Etat islamique" le montre.
Il reste qu'en France où la décision revient à l'exécutif, on juge les réactions de l'Allemagne lentes. C'est aussi que celle-ci s'est elle-même donné des règles pour contrôler toute intervention militaire, l'Armée fédérale, étant une armée du Parlement qui l'encadre et doit avaliser ses opérations dans le moindre détail. Comment ne pas voir là une réaction salutaire à son passé qui restera encore longtemps une composante de sa politique étrangère. On l'a bien vu en 2006 quand l'Allemagne fut appelée par Israël à participer au contrôle du Sud-Liban. C'est la marine qui y a été envoyé et non pas l'infanterie pour ne pas risquer de se retrouver en conflit avec les belligérants, palestiniens ou israéliens!
L'Allemagne prend ses responsabilités et revendique le leadership pour les questions monétaires et européennes, ce dont il n'est pas sûr que tous ses partenaires lui en soient reconnaissants. Elle ne revendique pas un rôle hégémonique en matière de politique étrangère, elle cherche seulement à jouer son rôle sans exagération et dans la mesure de ses moyens, consciente qu'elle est trop grande pour ne pas jouer de rôle et trop petite pour être un leader. Elle voit bien comme la France que c'est l'Europe qui peut lui permettre de jouer encore un rôle.

Que peut faire l’UE (et la France), toujours en crise, pour espérer surmonter ces complexes allemands et renforcer l’unité politique et économique du continent ?

Jérôme Vaillant : Il ne faut pas attendre de grands revirements de la part de l'Allemagne: pays réformiste, elle est le pays des évolutions lentes  mais ces évolutions vont bien dans le sens d'une prise de responsabilité croissante. Le mieux est de comprendre les ressorts du fonctionnement allemand en matière de politique étrangère et d'interventions militaires pour les intégrer dans la politique étrangère de la France et de l'UE. Il faut anticiper les lenteurs allemandes et surtout apprendre à écouter les responsables allemands, politiques comme militaires qui souvent encore ont le sentiment d'être appelés à la rescousse par leurs partenaires pour faire une  politique qui a largement été décidée sans eux.
Sur la question du Mali, la Bundeswehr a fourni à la France une aide logistique, elle fut en l'occurrence rapide, mobilisant près de 300 hommes qui n'étaient pas comme la plupart des troupes françaises déjà pré-positionnées en Afrique. La question du Mali a fait évoluer les mentalités en Allemagne en confrontant celle-ci à la nécessité de réagir à l'occasion vite là où son mode de décision engendre plutôt la lenteur des processus... démocratiques.
La question posée va évidemment plus loin : l'UE aura-t-elle avant longtemps une politique étrangère et une politique de défense commune ? Aucun de ses membres n'est prêt à faire l'effort financier nécessaire, à plus forte raison en période de crise et de déficits publics,  et leur multiplicité rend les accords difficiles. La seule issue me semble-t-il est de promouvoir une politique européenne négociée entre eux par les principaux pays qui font le noyau de l'Europe: c'était l'idée du "papier Schäuble/Lamers" de 2007, rejeté non sans intransigeance par la France et les chrétiens-démocrates allemands eux-mêmes qui n'ont pas voulu, au bout du compte, d'une Europe à deux vitesses. Cela indique la méthode mais ne dit pas encore quel est l'objectif : l'UE veut-elle être une Europe puissance et puissance pour quoi faire? A l'heure d'aujourd'hui il n'y a dans aucun pays de l'UE de réponse qui dépasse le stade de balbutiements.
Mathieu Mucherie : La pédagogie ne fonctionne pas. Tout a été tenté pour les amadouer depuis plus de 6 ans, y compris des restrictions budgétaires à contre-temps vers 2010-2012, y compris des lynchages scandaleux (le « défaut volontaire » sur la Grèce, le coup d’Etat contre Berlusconi, le bombardement bancaire sur Chypre), y compris les pires violations du Traité européen qui en fait remontent à l’avant crise (l’OPA de la BCE sur l’euro alors que les taux de changes relevaient en principe de l’Eurogroup, l’absence de votes au sein du Conseil de la BCE, etc.). Et tout a été tenté pour démonter la pédagogie de bazar de la Bundesbank : de Paul Krugman à Scott Sumner, de Martin Wolf à Adam Posen, tous les auteurs sérieux ont consacré des centaines de pages à ridiculiser les concepts "d’austérité expansionniste", d’Euro-dollar à l’équilibre à 1,55, d’hyperinflation imminente avec une masse monétaire terne, etc. Rien ne marche, ni la diplomatie, ni les études empiriques, ni les théories monétaires les plus admises. La BCE ne change pas de cap, elle communique mieux sous Draghi que sous Trichet mais elle ne change pas sur le fond. Le seul parti qui progresse en Allemagne c’est l’AfD, un parti fondé par des économistes qui s’opposent à la BCE car elle est jugée trop laxiste, inflationniste…
Les allemands ne sont impressionnés ni par les politiciens non-allemands ni par les économistes anglo-saxons. La plupart considèrent encore que la crise en Grèce n’est pas une affaire monétaire mais une question de coût du travail. Ils changeront peut-être d’avis le jour où la contagieuse déflation les frappera, ce qui peut arriver assez vite compte tenu du ralentissement chinois et des soucis en Russie et ailleurs. Mais ils sont capables de s’entêter, et on peut compter sur le triangle de fer Berlin-Francfort-Karlsruhe pour maintenir la surenchère le plus longtemps possible (c’est à la fois une question de pouvoir et une question d’orgueil). 
Alors il ne reste plus que la voie de la confrontation. La chaise vide à la BCE. La menace à la dévaluation sauvage. En un mot : une alliance franco-italienne qui exigerait des comptes de la part de la BCE (à commencer par des votes) et qui dans les médias tabasserait la Bundesbank comme un enfant martyr. A partir de là, les Allemands en minorité seraient forcés de choisir : prendre enfin les responsabilités d’un hégémon monétaire (renoncer à la stratégie mercantiliste, accepter les missions d’un prêteur et d’un importateur en dernier ressort) ou ne pas les prendre (avec à la clé l’implosion de l’euro). C’est une stratégie dangereuse, je le sais bien, comme tout chicken game en théorie des jeux. Mais tout vaut mieux que de rester dans un système monétaire doublement hypocrite qui fonctionne concrètement en free riding vis-à-vis de la FED et où le pays ancre (qui ne joue plus le rôle d’une ancre mais d’un boulet) accepte les gains de l’union monétaire (la non-dévaluation des autres) tout en refusant ses coûts (et tout en donnant des leçons à des pays qui coulent du fait de l’euro cher). 
Pour l’heure, c’est l’Allemagne qui se prépare à l’affrontement, c'est-à-dire à l’enterrement du QE et à la crise d’hystérie quand l’euro passera en dessous d’un certain seuil (1,19 ?) : pendant que Weidmann fait dissidence et que ses collègues demandent aux Etats des garantis sur les ABS, les franco-italiens fourbillent des armes au fond très budgétaires ; leurs arguments restent fiscaux et sociaux, très peu monétaires. Matteo Renzi parle de déflation, mais pas le représentant de la banque centrale italienne. Le dernier exemple (il est vrai lilliputien face aux enjeux, mais révélateur) réside dans la phraséologie utilisée par Arnaud Montebourg pour théâtraliser son départ : alors qu’il avait les arguments monétaires en tête, il a préféré communiquer sur le "refus de la rigueur" (alors que la France la pratique assez peu et alors que ce n’est plus le sujet en Europe…), convaincu en bon avocat et en animal politique que le peuple n’est pas assez instruit pour entendre des propos sur les taux de changes ou sur la masse monétaire.

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